Pourparlers tendus entre les États-Unis et la Russie sur la Syrie

Les entretiens du 23 octobre à Vienne entre les ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de la Russie, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite ont été dominés par l’opposition entre Washington et Moscou sur l’exigence américaine d’un départ du président Bachar al-Assad.

Ces discussions sont intervenues après plus de trois semaines de frappes aériennes russes en Syrie, qui ont apparemment commencé à changer la situation sur le terrain. Les forces gouvernementales syriennes ont progressé sur plusieurs fronts, comme dans la province occidentale de Lattaquié et autour de la deuxième ville de Syrie, Alep. Elles se battent contre un assemblage de milices islamistes dominées par l’État islamique (EI) et le Front al-Nosra, filiale d’Al-Qaïda, qui a reçu le soutien des États-Unis et de leurs alliés régionaux.

La réunion a également laissé entrevoir que l’Administration Obama pourrait préparer une escalade de sa propre intervention en Syrie, une tentative dangereuse de contrer l’influence croissante de la Russie dans le conflit.

À la veille des pourparlers de Vienne, le secrétaire d’État américain John Kerry a répété l’insistance de Washington sur un renversement d’Assad. Il a dit que tous les pays s’intéressant à la Syrie, y compris l’Iran et la Russie, étaient d’accord sur la nécessité d’un gouvernement unifié, laïque et pluraliste.

« Il y a une chose qui empêche qu'on puisse agir rapidement pour y arriver, c'est une personne qui s'appelle Assad: Bachar al-Assad », a dit Kerry. « Donc la question est de savoir si on peut arriver à un processus politique au cours duquel le transfert et la répartition du futur pouvoir en Syrie est correctement alloué par le peuple syrien.»

Kerry exige en substance que des négociations garantissent à Washington ce qu’il a été incapable d’atteindre à travers la guerre de changement de régime par procuration qu’il a déclenché il y a quatre ans en Syrie, et qui a coûté la vie à plus d’un quart de million de gens et forcé à l’exode près de la moitié de la population.

Répondant à la position américaine vendredi, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a condamné la « fixation » des États-Unis sur Assad et insisté sur le fait que « le sort du président syrien doit être décidé par le peuple syrien » et non dicté par des puissances extérieures.

Les pourparlers de Vienne faisaient suite à la visite d’Assad à Moscou la semaine dernière pour des discussions avec le président Vladimir Poutine et d’autres hauts responsables russes. C’était la première fois qu’il quittait le pays depuis 2011 et cela était censé signaler la reconnaissance par la Russie de son rôle à la tête du « gouvernement légitime » de la Syrie.

Les États-Unis veulent le départ d’Assad et son remplacement par une marionnette de Washington tout en gardant en grande partie la structure de l’État syrien. Moscou est déterminé à maintenir son influence en Syrie, avec ou sans Assad comme président. Il en va de la seule base militaire russe hors de l’ancienne Union soviétique et de la position stratégique de la Syrie en matière de pipelines, vitale aux intérêts de l’oligarchie russe. Les forces armées américaines et russes ont été lâchées en Syrie avec des objectifs diamétralement opposés, même si les deux camps affirment être là pour combattre le « terrorisme ».

Rien de substantiel n’est apparemment sorti des discussions de vendredi si ce n’est l’accord de tenir une autre réunion dès cette semaine.

Kerry a déclaré que les pourparlers seraient suivis d’une « réunion plus large afin de déterminer s’il y a suffisamment de points communs pour faire avancer un véritable processus politique. »

Il semble que c’est l’intransigeance de Washington qui ait dicté jusqu’à présent la forme des discussions. Les États-Unis se sont opposés à l’inclusion de leurs alliés supposés en Europe qui avaient demandé à être présent au même titre qu’aux pourparlers « P5 + 1 » ayant conduit à l’accord nucléaire avec l’Iran. Ceux-ci incluaient les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, Chine, France, Russie, Royaume-Uni et États-Unis, plus l’Allemagne.

Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a appelé mercredi à une organisation similaire des pourparlers syriens qui devaient être « élargis aux partenaires régionaux. » Des sources diplomatiques ont dit que la position européenne était que l’Iran devrait être inclus dans les discussions.

Lavrov a déclaré jeudi que Moscou voulait aussi que les pourparlers soient élargis « afin d’assurer au maximum une lutte efficace. » Il a indiqué que l’Iran, l’Égypte, la Jordanie, le Qatar et la Chine devraient être ajoutés aux quatre pays réunis à Vienne. « Ce quatuor n’est manifestement pas suffisant », a-t-il dit.

Kerry et d’autres responsables américains ont indiqué qu’ils voulaient limiter les négociations à ceux qui étaient « directement impliqués » c’est-à-dire les États-Unis, l’Arabie saoudite et la Turquie, qui ont été les principaux soutiens des milices islamistes en Syrie tout en y menant des frappes aériennes contre des positions de l’EI, et la Russie qui mène sa propre intervention militaire.

L’Iran cependant est lui aussi directement impliqué; des responsables iraniens ont annoncé le 23 octobre une intensification du soutien militaire au gouvernement Assad, qu’ils ont qualifié de mission consultative. Téhéran a également annoncé la mort de plusieurs commandants et soldats iraniens en Syrie.

Kerry a catégoriquement rejeté une participation iranienne aux pourparlers. « Il viendra un moment peut-être où nous parlerons à l’Iran, mais nous n’en sommes pas là, » a-t-il dit.

Résumant l’arrogance de l’impérialisme américain, il a ajouté: « Si certains pays avec lesquels nous avons des divergences devaient participer à toutes sortes de réunion, on pourrait très vite et facilement déterminer si un pays est là comme obstacle ou comme un... participant qui cherche une solution. »

Le New York Times du 23 octobre avait en première page un article s’appuyant sur des fuites de hauts responsables de l’administration Obama et montrant que Kerry et d’autres faisaient pression pour que les États-Unis créent en Syrie des zones d’exclusion aérienne sous prétexte de protéger la population civile.

La proposition aurait été faite lors d’une réunion à la Maison-Blanche le 19 octobre, où le secrétaire à la Défense, Ashton Carter, l’aurait repoussée, selon le journal, par « des estimations donnant à réfléchir des vastes ressources militaires nécessaires au maintien de telles zones » et par l’ avertissement d’un « affrontement involontaire » avec l’armée russe si la puissance aérienne des États-Unis était utilisée pour contrôler certaines régions du pays.

Le Times a rapporté que les partisans d’une zone d’exclusion aérienne croyaient que le Pentagone avait délibérément «gonflé» son estimation du coût de l’opération dans le but d’étouffer la proposition.

Le Pentagone a néanmoins déployé, la semaine dernière, une dizaine d’avions de combat A-10 sur la base aérienne d’Incirlik en Turquie, à partir de laquelle l’aviation américaine mène des frappes aériennes en Syrie.

Ces avions à vol lent, équipés entre autre de canons à tir rapide et de missiles, servent à apporter une puissance dévastatrice à l’appui aérien rapproché de forces terrestres. C’est ce type d’avion qui a été utilisé dans l’attaque de l’hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF) à Kunduz en Afghanistan, massacrant 22 personnes parmi les patients et le personnel médical.

(Article paru d'abord en anglais le 24 octobre 2015)

 

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