L’UE adopte un plan pour refouler les réfugiés

Un sommet des chefs de gouvernement de l'Union européenne s’est terminé jeudi matin sans qu'aucun détail des longues discussions ou des décisions prises ne parvienne aux médias ni au public. Associated Press a cité un projet de texte qui dirait que les dirigeants de l'UE ont discuté des moyens à long terme pour mettre fin à « la situation dramatique à nos frontières extérieures et renforcer les contrôles à ces frontières. » 

AP a rapporté que les propositions discutées comprenaient le déploiement de personnel supplémentaire pour fermer les frontières de l'UE et le don d'au moins €1 milliard à des organismes d'aide internationaux afin de maintenir les réfugiés dans des camps près des zones de conflit comme la Syrie. On augmenterait aussi l'aide au Liban, à la Turquie et à la Jordanie, qui hébergent des millions de personnes fuyant les combats en Syrie. 

La réunion des chefs de gouvernement suivait une réunion des ministres de l'Intérieur de l'UE mardi où, après 10 heures de pourparlers, ceux-ci avaient convenu d'un nouveau système de quotas de distribution des réfugiés aux divers Etats membres. Les quotas ont fait l'objet de véhémentes disputes. 

Contrairement à la procédure habituelle où de telles questions de politique exigent l'accord unanime, les ministres de l'Intérieur ont pris une décision à la majorité. Le gouvernement polonais, initialement opposé au plan des quotas, a accepté de le soutenir au cours de la réunion, en échange de certaines concessions. 

Contrairement à la proposition initiale de la Commission de l'UE, il n'y aura pas de quotas fixes déterminés sur la base de la population, le pouvoir économique et le taux de chômage. Chaque gouvernement adoptera bien plutôt l’attribution des admissions sur une base volontaire. En outre, les différents États auront le droit de choisir les réfugiés qu'ils acceptent de recevoir. 

La réunion était centrée sur la distribution d'un total de 120.000 réfugiés sur les centaines de milliers cherchant déjà à entrer en Europe. Dans les deux prochaines années, 15.600 réfugiés actuellement en Italie et 50 400 actuellement en Grèce sont censés être pris en charge par d'autres pays. 

Quelques 54.000 réfugiés devant initialement être réinstallés en Hongrie, le seront en Italie, en Grèce et dans d’autres pays, car la plupart des réfugiés enregistrés en Hongrie ont déjà quitté le pays et le gouvernement hongrois refuse d'en accepter plus et de se conformer à un système de redistribution. 

Étant donné que l'UE s'attend à l'arrivée d'au moins un million de réfugiés rien que cette année, le chiffre de 120.000 devant être réinstallés sur deux ans n'est qu'un chiffre symbolique. Avec un afflux moyen de 6.000 réfugiés par jour, le maximum sur deux ans sera atteint en seulement 20 jours.

Contrairement aux affirmations officielles, l'objectif du système de quotas n'est pas de « répartir justement » la charge à travers l'Europe. C’est plutôt un nouveau mécanisme en train d'être mis en place pour maîtriser le flux des réfugiés, accélérer leur expulsion et fermer les frontières extérieures de l'UE. 

Ce sont les ministres de l'Intérieur de l'Allemagne et de l'Autriche qui ont le plus insisté sur les quotas. Bien que Berlin et Vienne se soient engagés à prendre des réfugiés supplémentaires, ils espèrent que ces règlements conduiront à une diminution spectaculaire du nombre de réfugiés. 

Après la réunion, la ministre autrichienne de l'Intérieur Johanna Mikl-Leitner, a insisté sur le fait que les nouvelles règles visaient un effet dissuasif. « La chose tout à fait décisive aujourd'hui c'est que nous arrivons au début de la fin », a-t-elle dit à la chaîne de télévision ORF. « Parce que si 120.000 sont distribués uniformément, y compris aux soi-disant 'pays peu attrayants', c'est un coup double et un signal à deux égards. D'abord, c'est un allègement de la charge le long de la route à travers les Balkans et un allègement de la charge de l'Autriche. Deuxièmement, les réfugiés n'auront plus le droit de décider où ils demandent l'asile. » 

Mikl-Leitner a indiqué que le système de quotas n’est qu’une première étape pour stopper l'afflux de réfugiés. Elle a souligné que « le contrôle des frontières extérieures et la mise en place de hot spots [centres d'accueil de masse] sont tout à fait décisifs pour réduire l'afflux de réfugiés ». 

Le ministre allemand de l'Intérieur Thomas de Maizière s’exprimé de la même manière. « Nous avons besoin de mettre fin à l'afflux, » a-t-il dit. Il a ajouté dans un communiqué de presse que l'objectif des mesures était « la protection des frontières extérieures de l'UE, le rapatriement cohérent des immigrants qui n’ont pas besoin de protection, et le respect et l'application des règles du Régime d'asile européen commun par tous les Etats membres ». 

Contrairement aux affirmations de plusieurs organisations de réfugiés, les règles relatives aux quotas ne remettent pas en cause l'accord de Dublin. Selon cet accord, le premier pays européen où entre un réfugié doit le prendre en charge et initier la procédure d'asile. La décision de l'UE est très explicite sur le fait que le mécanisme de répartition de la règle de Dublin n'a pas été remplacé, mais seulement élargi pour faire face à une situation d'urgence.

En outre, le document de l'UE énumère sans ambages et dans le menu détail les mesures répressives que les réfugiés auront à subir. Ils n’auront pas le droit de déterminer où ils seront envoyés. En outre, seuls les réfugiés en provenance de pays avec un taux de reconnaissance moyenne de 75 pour cent seront répartis. À l'heure actuelle, ce sont principalement des réfugiés de la Syrie et de l'Érythrée qui remplissent ces critères.

En outre, les réfugiés concernés ne recevront aucun document international valide pour voyager. Cela signifie en pratique un élargissement des conditions de résidence en Allemagne à l'ensemble de l'Europe. En effet, les réfugiés seront captifs dans leur pays d'affectation. Ils doivent pointer régulièrement aux autorités et recevront seulement des prestations non monétaires.

L'élément central de l'accord est la mise en place rapide des soi-disant «hot spots» dans les Etats frontaliers de l'UE. Le mot est synonyme de camps de concentration où les réfugiés qui y arrivent seront enregistrés dans une procédure accélérée et leurs demandes d'asile soumises à un examen préliminaire.

L'enregistrement des réfugiés sera fait par l'agence de protection des frontières Frontex, le Bureau européen d’aide à l’asile (EASO) et Europol, l'autorité européenne de police. En plus d'un examen médical, le but principal de ces procédures est de déterminer le pays d'origine, la route empruntée pour arriver dans l’UE et l'identité de ceux qui ont aidé à la fuite des réfugiés. Les empreintes digitales de tous les réfugiés seront prises.

Toute personne qui passe à travers le filet des «hot spots» sera expulsée. Frontex, dont le mandat va être élargi, sera chargé de cette tâche. Le budget pour l'agence Frontex sera augmenté de 54 pour cent à €176 millions et l'UE veut accorder €500 millions supplémentaires pour les déportations.

Le premier camp est actuellement en construction à Catane en Sicile. Les plans pour un deuxième camp dans la ville grecque du Pirée sont bien avancés.

La règle de Dublin qui fait porter sur la Grèce et l'Italie la responsabilité des procédures d'asile des réfugiés qui arrivent dans ces pays est devenue pratiquement inapplicable en raison de la hausse spectaculaire du nombre des réfugiés. Rien que cette année, 442,400 réfugiés ont déjà traversé la Méditerranée vers l'UE, dont 319 000 sont passés par la Grèce, selon un rapport publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Rien que depuis août, les autorités grecques ont enregistré 192.000 réfugiés.

Les autorités grecques et italiennes n’avaient ni la volonté ni la capacité d'effectuer la procédure d'asile toutes seules et ont réexpédié les réfugiés avec des documents de voyage temporaires. C’est ce qui a commencé la longue marche des réfugiés à travers les Balkans à destination de l'Allemagne où le gouvernement s'attend maintenant à l’arrivée d’environ 800.000 réfugiés cette année.

Les règles de quotas et la mise en place de «hot spots» visent à reprendre le contrôle de l'afflux de réfugiés et de faciliter une mise en œuvre complète de la règle de Dublin, dont le but principal est de maintenir les réfugiés en dehors des pays riches de l'UE comme l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et les pays du Benelux (Belgique, Hollande et Luxembourg). L'opposition aux quotas de distribution des états d’Europe de l’Est est basée, en partie, sur la peur qu’à l'avenir, des masses de réfugiés en provenance des pays les plus riches de l'Ouest seraient renvoyés vers l'Europe de l'Est en conformité avec la règle de Dublin.

Outre le maintien des réfugiés dans les pays frontaliers de l'UE, l'Union européenne recherche à déployer des renforts militaires aux frontières extérieures. Dans une lettre d'invitation au sommet de mercredi des chefs de gouvernement de l'UE, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a dit que l’exclusion des réfugiés était la tâche la plus urgente. « Nous, Européens, ne sommes pas actuellement en mesure de gérer nos frontières extérieures communes », a-t-il écrit, « donc certains Etats ont décidé de se protéger en fermant leurs frontières nationales. La protection de la Communauté européenne est notre premier devoir et obligation et nous avons échoué sur ce front ».

Parallèlement à la construction de clôtures de fil de fer barbelé en Bulgarie, en Grèce et en Hongrie avec le soutien financier de l'UE, la police de protection des frontières sera massivement armée avec l'aide de Frontex et l’armée sera postée aux frontières extérieures afin d'empêcher les réfugiés d'entrer dans l'UE. Suivant l'exemple du gouvernement hongrois, le gouvernement bulgare a annoncé qu'il allait déployer jusqu'à 1.000 soldats sur sa frontière avec la Turquie.

Le Ministre Président hongrois Victor Orban a agi d'une manière particulièrement belliqueuse, qualifiant le flot de réfugiés de « danger brutal » et déclarant, «Ils nous envahissent. Ils ne se limitent pas à frapper à la porte, ils la défoncent à coups de pied ».

Orban est loin d’être le seul à parler ainsi. L'Union chrétienne-sociale bavaroise, qui fait partie de la coalition gouvernementale allemande, a invité Orban à une réunion à huis clos où on lui a permis de répéter ces remarques, provoquant des applaudissements enthousiastes. Cela ne démontre que trop clairement qu’Orban n’est pas un paria. Au contraire, il parle au nom de la politique européenne dominante. Ceci contraste avec l'attitude de larges couches de la population qui ont répondu à la crise des réfugiés par des démonstrations de solidarité et une volonté d'aider les migrants désespérés.

(Article paru en allemand le 24 septembre 2015)

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