Canada: Les libéraux apportent des changements cosmétiques à la politique étrangère agressive de Harper

Dans les deux premiers mois depuis que le gouvernement libéral du Canada a pris ses fonctions, le premier ministre Justin Trudeau et ses plus proches alliés ont clairement démontré de par leurs gestes que le «vrai changement» tant vanté en politique étrangère canadienne ne sera en fait que cosmétique.

Pendant une longue période, les libéraux ont été le parti préféré de l'élite dirigeante pour occuper le gouvernement. Associés à une approche «multilatérale» en matière d'affaires étrangères, leur préoccupation principale est maintenant de refaçonner la politique militaire agressive du gouvernement conservateur de Stephen Harper de façon à diluer l'opposition populaire au pays et à faire progresser les intérêts impérialistes canadiens avec plus d'insistance à l'étranger. La pierre angulaire de cette politique est leur poussée pour élargir le partenariat stratégique d'Ottawa avec les États-Unis, une initiative qui a pris de l'ampleur la semaine dernière avec l'annonce que Trudeau assistera à un dîner d'État à la Maison-Blanche le 10 mars, une première pour un premier ministre canadien en 19 ans.

Pendant la campagne électorale fédérale, Trudeau a cherché à exploiter l'opposition populaire à la guerre au Moyen-Orient, promettant à plusieurs reprises qu'un gouvernement libéral mettrait fin à la «mission de combat» du Canada en Irak et en Syrie en rappelant les six chasseurs-bombardiers CF-18 qui effectuent actuellement des missions de bombardement dans ces deux pays. Mais dès le lendemain de leur victoire, les libéraux battaient en retraite en commençant par cet engagement.

Trudeau a d'abord refusé de donner un calendrier pour le retrait des chasseurs-bombardiers et son ministre de la Défense Harjit Sajjan a indiqué que les avions de combat pourraient rester sur place pendant plusieurs mois au-delà de l'échéance du 31 mars fixée par Harper. Le gouvernement envisage maintenant une série d'options pour accroître la participation du Canada à la coalition militaire dirigée par les États-Unis, notamment le stationnement de forces spéciales de commandos en Irak et l'envoi d'unités de l'armée régulière pour former des forces de procurations constituées de combattants kurdes et de soldats de l'armée nationale irakienne. Comme on a pu constater graphiquement le mois dernier lorsque les 69 membres des forces spéciales canadiennes déjà déployés dans la région ont été engagés dans une bataille de 17 heures avec des militants de l'État islamique, les militaires canadiens participent essentiellement à des missions de combat.

Au cours des deux premiers jours de la nouvelle année, les six CF-18 ont mené trois missions de bombardement distinctes, frappant des objectifs de l'État islamique près de Ramadi et de Mossoul en Irak.

Quel que soit le sort ultime de l'engagement pris par les libéraux de rappeler les CF-18, Trudeau et son gouvernement sont déterminés à maintenir l'alliance étroite d'Ottawa avec Washington dans ses efforts pour renforcer la prédominance des États-Unis dans la région productrice de pétrole la plus lucrative du monde. 

Soutien à l'agression impérialiste des États-Unis 

Trudeau a également précisé que son gouvernement allait se ranger aux côtés des États-Unis dans leurs autres grandes offensives militaires stratégiques qu'ils mènent partout dans le monde. Ce faisant, le gouvernement canadien intensifiera sa collaboration avec la force la plus agressive et déstabilisante de la planète qui, tant sous Obama que sous Bush, a recours à des guerres d'agression, des assassinats ciblés, la surveillance de masse, la restitution et la torture pour défendre l’hégémonie mondiale des États-Unis.

En Europe de l'Est, Trudeau poursuit la position antirusse belligérante de son prédécesseur dans la question de l'Ukraine et il a promis d'accroître son soutien au régime pro-occidental de Kiev. Lors d'une réunion avec le président ukrainien Petro Porochenko en marge du sommet sur les changements climatiques qui s'est tenu à Paris en début décembre, Trudeau s'est engagé à mettre en œuvre l'accord de libre-échange finalisé par Harper et le premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk en juillet. Les libéraux ont approuvé la présence continue de 200 militaires canadiens dans l'ouest de l'Ukraine pour former des unités de l'Armée et de la Garde nationale ukrainiennes, poursuivant du coup le rôle de premier plan du Canada dans les déploiements agressifs de l'OTAN contre la Russie en Europe de l'Est et en Baltique.

Trudeau a eu sa première réunion en tête-à-tête avec Obama en novembre en marge du forum sur la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC). Les États-Unis et leurs alliés ont utilisé cette occasion pour tenir des entretiens bilatéraux sur leur intention croissante d'isoler la Chine par le biais de moyens économiques, géostratégiques et militaires. Les libéraux veulent que le Canada adhère à l'accord commercial du Partenariat transpacifique (PTP), le bras économique anti-Chine du «pivot vers l'Asie» de Washington, mais pour des raisons de politique intérieure, ils se retiennent de le déclarer publiquement.

Au Moyen-Orient, Trudeau a promis de respecter le soutien indéfectible des conservateurs envers Israël et le traitement brutal de la population palestinienne. Le gouvernement libéral est également déterminé à maintenir les liens étroits que le gouvernement précédent a forgés avec les régimes despotiques du Golfe qui constituent une source importante de soutien pour les intérêts impérialistes américains dans la région. Cette approche a été démontrée par le soutien réaffirmé des libéraux à un contrat de vente d'armes à l'Arabie saoudite de 15 milliards de dollars – une annonce faite quelques jours seulement après que Riyad ait décapité de façon provocatrice 47 prisonniers, dont l'imam chiite dissident Nimr al-Nimr.

Au cours d'un récent voyage au Royaume-Uni, en Égypte et en Irak, Sajjan a rencontré le ministre égyptien de la Défense du régime dictatorial sanguinaire d’al-Sisi pour discuter d'une collaboration accrue dans les domaines militaires et de la sécurité. La possibilité que le Canada déploie des troupes supplémentaires de «maintien de la paix» dans le Sinaï aurait été discutée. Après la réunion, Sajjan a déclaré aux journalistes que dans la lutte contre l'État islamique, il faut regarder au-delà de l'Irak et de la Syrie.

Le ministre de la Défense du Canada a aussi évoqué la possibilité de déployer des forces canadiennes en Libye, où l'État islamique a pris le contrôle de secteurs autour de la ville de Syrte lors de la guerre civile qui a succédé en 2011 à la guerre de «changement de régime» de l'OTAN. «Il est indéniable qu'un mouvement se dessine en faveur de la création d'une sorte de force de maintien de la paix ou d'une force d'entrainement en Libye», a déclaré George Petrolekas, un ancien général des Forces armées canadiennes ayant servi dans les Balkans.

Le nouveau gouvernement espère utiliser l'accord sur le changement climatique conclu le mois dernier à Paris pour développer des opportunités lucratives pour les sociétés canadiennes et faire progresser la coopération stratégique en matière d'environnement et d'énergie avec ses voisins nord-américains. Trudeau a ainsi exhorté les États-Unis et le Mexique à s'unir avec le Canada pour élaborer une stratégie énergétique «continentale» dans le but de renforcer la capacité de l'Amérique du Nord à exercer un contrôle et à concurrencer sur le marché international de l'énergie afin de défendre leurs intérêts sur la scène mondiale.

Cette stratégie jouit du soutien de sections importantes de l'élite dirigeante américaine. En 2014, un document produit par le Conseil sur les relations étrangères, coécrit par le général à la retraite David Petraeus, appelait à une stratégie énergétique continentale commune, faisant valoir que ce serait là un moyen important pour projeter la puissance américaine dans le monde entier. 

Création d'«une force militaire rationalisée, plus souple et mieux équipée» 

Pour s'assurer que la bourgeoisie canadienne ait bien «une portée mondiale», les libéraux se sont engagés à procéder à d'importantes augmentations des dépenses militaires. Ils ont adopté le plan du gouvernement conservateur de hausser les dépenses dans le domaine de la défense au cours de la prochaine décennie de 10 pour cent et ils ont l'intention d'entreprendre un programme d'achat de plusieurs milliards de dollars comprenant de nouveaux avions de combat, des navires de guerre et des hélicoptères.

Un examen de la défense est prévu, soit le premier depuis que les conservateurs ont présenté leurs priorités en 2008. Dans leur discours du Trône, les libéraux se sont engagés à «bâtir une force militaire rationalisée, plus souple et mieux équipée». Cet examen est soutenu par le chef d'état-major, le général Jonathan Vance, un vétéran de la guerre en Afghanistan, qui a déjà travaillé en étroite collaboration avec Sajjan, lui-même ayant servi en Afghanistan comme officier de renseignement des FAC.

Un récent éditorial du Toronto Star se plaignait ardemment que les dépenses militaires du Canada, qui équivalent à environ 1 pour cent de son PIB, sont bien loin de l'objectif de 2 pour cent de l'OTAN. Le quotidien d'allégeance libérale publie: «Compte tenu des responsabilités du Canada en tant que partenaire dans la défense de l'Amérique du Nord, pays membre de l'OTAN et fervent partisan de l'ONU, l’armée canadienne doit devenir une force de combat qui, bien que modeste, sera véritablement robuste et capable de mener des opérations aux côtés de nos alliés américains et autres, plutôt qu'une gendarmerie légèrement armée dont le mandat est principalement axé à patrouiller nos cieux et nos côtes.»

Cette perspective reflète celle des hauts gradés des Forces armées. Pendant la campagne électorale, il a été révélé que le général Tom Lawson, l'ancien chef d'état-major de la Défense, a rencontré à plusieurs reprises son homologue américain en 2013 pour envisager la création d'une force d'intervention conjointe des forces militaires des deux pays qui serait capable de se déployer partout dans le monde.

Le bilan des libéraux 

Les libéraux ont une longue histoire d'enrober leur politique étrangère impérialiste prédatrice dans une rhétorique «progressiste» et un bref examen de leur histoire révèle que le récent changement de ton n'apportera pas de changement de fond dans le rôle agressif du Canada dans le monde dans leur alliance avec l'impérialisme américain.

En 1999, le gouvernement libéral de Jean Chrétien a entrainé le Canada dans la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie, sous le prétexte de protéger les civils. Deux ans plus tard, les libéraux finançaient la création de la Commission internationale sur la souveraineté des États, un organisme soutenu par l'ONU qui a formulé les justifications idéologiques de la «responsabilité de protéger» ou doctrine R2P, sous la bannière de laquelle une intervention impérialiste dévastatrice après l'autre a été lancée contre des pays en grande partie sans défense au cours de la dernière décennie. Quelques mois seulement après que la Commission ait achevé ses travaux, les libéraux déployaient des troupes canadiennes pour envahir l'Afghanistan. En 2004, le premier ministre libéral Paul Martin a déployé des troupes canadiennes en Haïti afin de soutenir le renversement du président Jean-Bertrand Aristide.

Ces politiques ont ouvert la voie aux conservateurs pour adopter un programme encore plus agressif et ouvertement militariste quand ils ont pris le pouvoir en 2006. Le gouvernement Harper a étendu la participation du Canada dans la lutte contre l'insurrection et l'occupation néocoloniale en Afghanistan, participé au bombardement aérien de la Libye en 2011, qui a entrainé la mort de dizaines de milliers de personnes, déployé des troupes, des avions et des navires de guerre en Europe de l'Est pour soutenir l'Ukraine contre la Russie, et lancé l'intervention actuelle du Canada en Syrie et en Irak. Bien qu’étant dans l'opposition, les libéraux ont embrassé ce programme dans tous ses éléments essentiels, soutenant à plusieurs reprises l'extension du déploiement en Afghanistan, la guerre en Libye et les provocations agressives antirusses menées par l'OTAN. Bien que le parti de Trudeau ait voté contre l'envoi des avions CF-18 en Irak et en Syrie, les libéraux ont toujours soutenu que les troupes canadiennes devaient être présentes sur le terrain pour assurer la participation du Canada dans la nouvelle ruée pour la domination du Moyen-Orient.

Dans certains aspects de leur politique étrangère, les libéraux se préparent à utiliser différentes méthodes pour réaliser leurs objectifs. Trudeau a ainsi nommé comme son principal conseiller en matière de politique étrangère Roland Paris, un professeur à l'Université d'Ottawa qui se fait l'avocat d'une plus grande implication du Canada à l'ONU et dans d'autres organismes multilatéraux. Avant l'élection d'octobre dernier, Paris a écrit une lettre ouverte au futur premier ministre actuel dans laquelle il appelait à ce que le Canada approfondisse ses liens avec les États-Unis, abandonne son opposition aberrante à toute action sur le changement climatique et négocie un accord de libre-échange avec la Chine. Auparavant, il avait fait valoir, en ligne avec une partie croissante de l'élite dirigeante, que les conservateurs avaient contribué à marginaliser le Canada dans les affaires internationales en omettant de faire un usage efficace de la diplomatie pour défendre les intérêts canadiens.

Paris est aussi un ardent défenseur de l'augmentation des dépenses militaires. En septembre, il a écrit un article intitulé «La disparition du budget militaire canadien» dans lequel il se plaint que les dépenses militaires du Canada en pourcentage du PIB sont parmi les plus basses des membres de l'OTAN. Ceux qui sont derrière la clameur croissante pour de nouvelles hausses des dépenses militaires espèrent que la rhétorique renouvelée mettant l'accent sur le maintien de la paix et la diplomatie, conjuguée à un apport légèrement accru de réfugiés syriens, permettra aux libéraux de vendre cette politique à un public majoritairement sceptique. Comme le récent éditorial du Toronto Star publiait: «Le défi du ministre de la Défense Sajjan sera de développer une vision crédible pour le rôle militaire du Canada, de l'expliquer à un public qui tend à reculer devant le prix élevé à payer et de se battre pour trouver le financement afin de la mettre en œuvre. »

(Article paru d’abord en anglais le 9 janvier 2016)

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