Perspectives

La nouvelle année inspire l’inquiétude pour l’économie mondiale

Depuis l'éruption de la crise financière mondiale il y a sept ans, il était devenu monnaie courante pour les commentateurs bourgeois de prédire, à la fin de chaque année, des temps économiques meilleurs. Pas cette fois.

Gideon Rachman, chroniqueur au Financial Times, a exprimé l’état d’esprit général la semaine dernière dans un commentaire. «En 2015, un sentiment de malaise et d'appréhension semblait s'installer dans tous les grands centres de pouvoir du monde. De Pékin à Washington, de Berlin à Brasilia, de Moscou à Tokyo – les gouvernements, les médias et les citoyens étaient nerveux et harcelés », écrit-il.

Sur le front économique cette inquiétude croissante a deux sources: d'abord le fait que malgré l’injection de milliers de milliards de dollars dans le système financier mondial par les grandes banques centrales les tendances à la récession s’intensifient. Ensuite, pour parler comme Rachman, « il y a ... la crainte largement répandue qu’après des années de politique monétaire peu orthodoxe, une autre crise financière ou économique pourrait bien être en train de se développer».

La principale évolution dans l’économie en 2015 a été la tendance de la récession mondiale à s’amplifier. Le Fonds monétaire international prévoyait en octobre le taux de croissance le plus bas pour l’économie mondiale depuis la période ayant immédiatement suivi la crise financière de 2008 et avertissait qu'il pourrait encore réviser cette estimation vers le bas.

Le mythe obstinément répandu depuis un certain nombre d'années que la Chine et les économies de marché émergentes pouvaient servir de nouveau fondement au capitalisme mondial a finalement été abandonné. La Chine a connu cette année son taux de croissance le plus bas depuis le début des années 1990. Loin de constituer une nouvelle base d’expansion, les problèmes croissants de l'économie chinoise, illustrés cet été par le krach boursier chinois et la dévaluation du renminbi, ont à présent sur le reste du monde un impact négatif aux conséquences économiques et politiques majeures.

Le tournant à «gauche» de la politique latino-américaine a pris fin lorsque le boom économique alimenté par les exportations vers le marché chinois a fait place à la récession. Le Brésil, autrefois considéré avec les autres pays BRICS comme une source d'expansion économique a plongé dans la récession. Son économie s’est contractée de 4,5 pour cent au dernier trimestre (la plus forte récession depuis la Grande Dépression des années 1930), aggravant ses problèmes financiers. En novembre, les chiffres pour la croissance de la dette publique brésilienne étaient les troisièmes plus hauts jamais enregistré.

Les effets du ralentissement économique en Chine se propagent aux économies capitalistes avancées. Le Canada, fortement tributaire d’exportations vers la Chine, a connu une croissance négative ou stagnante sur sept des dix premiers mois de 2015 et a annoncé une contraction économique en octobre.

La baisse des revenus tirés de l'exportation de minerai de fer, due au ralentissement chinois, crée de graves problèmes budgétaires au gouvernement australien. Dans sa dernière mise à jour budgétaire, le gouvernement Turnbull a dit s’attendre à perdre $7 milliards de revenus supplémentaires ces quatre prochaines années par rapport aux estimations de mai dernier, principalement dû à la baisse des prix du minerai. Ceux-ci sont maintenant sous les $40 la tonne ($180 la tonne il y a quatre ans). L’Australie occidentale, jadis état d’essor économique, a annoncé sa plus forte baisse de revenus depuis la Grande Dépression, dû à la perte de revenus miniers.

On a pas mal de temps vanté les États-Unis comme la ‘bonne nouvelle’de l'économie mondiale. Dans la mesure où on le fait encore, on ne fait que souligner l’état lamentable des choses partout ailleurs. Les salaires américains restent stagnants, la croissance économique est bien en-dessous de toutes les reprises précédentes de l'après-guerre et la production industrielle est en baisse; il y a des signes avertisseurs que ce secteur est entré en récession.

La zone euro n'a toujours pas retrouvé les niveaux de production d’avant la crise financière et il n’a a aucun signe que l'investissement a repris.

L'un des indicateurs les plus importants de la venue d’une récession mondiale est la chute brutale des prix de tous les produits industriels. Le Bloomberg Commodity index (l'indice des produits de base) de 22 matières premières a chuté à son plus bas niveau depuis la crise financière.

Si la chute du prix du pétrole – en baisse depuis les $100 le baril atteint au milieu de 2014 et à juste $36 maintenant – a attiré le plus d'attention, elle n’est que la plus importante manifestation d'une tendance générale. Les prix du minerai ​​fer continuent de baisser; cela s’accompagne du déclin rapide d'autres métaux associés aux industries de base.

Au début de 2015 on prévoyait que le prix du nickel, utilisé dans la fabrication d'acier inoxydable, augmenterait de 22 pour cent. Il a chuté de plus de 40 pour cent, une baisse plus forte que celle du pétrole. De même, le prix du zinc qui devait augmenter de 16 pour cent, a chuté de 28 pour cent.

Lorsque le prix du pétrole a commencé à tomber on a dit que cela pourrait être bénéfique pour l'économie mondiale car cela réduisait les coûts d'énergie. Mais l'aggravation de la récession a entièrement éliminé tout effet positif. Indicatif de tendances futures, la baisse par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole de ses estimations à long terme de la demande mondiale de pétrole. Elle estime que les prix ne retrouveront pas leur niveau de $100 le baril avant 2040, au plus tôt.

La chute du prix de pétrole a envoyé une onde de choc à travers les marchés financiers, touchant les obligations à haut rendement, les soi-disant obligations « de pacotille », ainsi que des sociétés d’investissement à capital variable investissant dans des projets énergétiques. Quand il y avait de l'argent à taux d'intérêt minimes et du pétrole à plus de $100 le baril, il y avait de l'argent à profusion pour la spéculation. Mais avec un pétrole sous les $40, la plupart de ces projets ne sont plus viables.

Les sociétés d’investissement engagées dans les oléoducs et d'autres projets d'infrastructure ont aussi été négativement affectées. Selon un analyste cité par le Financial Times: «Ces fonds n’ont jamais connu le genre d'effondrement des prix de l'énergie que nous avons eu cette année ».

Les problèmes pourraient s'étendre aux banques américaines. Wells Fargo, l'une des plus grandes banques d'Amérique, a déjà averti que les bas prix du pétrole signifient que les sociétés d'exploration et les producteurs ne pourraient peut-être pas rembourser leurs prêts. Les organismes de réglementation des États-Unis ont estimé qu'il y avait cinq fois plus de prêts pétroliers et gaziers en danger de faire défaut qu'il y a un an.

Lorsque la crise financière a éclaté en 2008-2009, tous parlaient de coordination et de coopération entre les grandes puissances capitalistes. Il n’est plus question de tout cela et l'année écoulée a vu des divergences de plus en plus fortes.

Il y a un fossé entre les politiques des grandes banques centrales du monde. Alors que la Réserve fédérale américaine commence à relever ses taux, la Banque centrale européenne et celle du Japon maintiennent les leurs proches de zéro et continuent d’injecter de l'argent dans le système financier.

Si on maintient une façade d’unité, les divisions se creusent notamment vis-à-vis de la Chine. En mars, un conflit a opposé les Etats-Unis et la Grande-Bretagne quand le gouvernement Cameron, agissant au nom des intérêts financiers britanniques, a annoncé qu'il participerait à la Banque asiatique d’investissement pour l’infrastructure, promue par la Chine, défiant l'opposition des Etats-Unis et ouvrant la voie à l’adhéison d'autres pays européens.

Un nouveau conflit s’est déclaré alors que les Etats-Unis font apparemment pression sur les pouvoirs européens, la Grande-Bretagne et l'Allemagne surtout, pour les empêcher d’accorder à la Chine le statut d’économie de marché dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Si on accordait ce statut à la Chine, cela ouvrirait davantage le marché mondial à ses exportations. Les responsables américains l’ont dénoncé comme une tentative des pouvoirs européens de gagner le soutien de Pékin pour obtenir des débouchés rentables à leurs investissements en euros.

L'enterrement effectif du cycle de négociations commeriales de Doha aux pourparlers de l'OMC en décembre à Nairobi a lui aussi mis en évidence des divisions grandissantes. Responsables en furent surtout les Etats-Unis et leur abandon d’accords commerciaux multilatéraux en faveur d’accords exclusifs comme le Partenariat transpacifique pour l'Asie et le Partenariat pour le commerce et les investissements transatlantiques pour l'Europe. Dans ces accords, les concessions commerciales ne s’appliquent qu’aux pays qui acceptent les exigences de Washington.

Les implications de l'aggravation de la crise pour la classe ouvrière internationale sont d’avantage d'austérité et une intensification des attaques sur les emplois, les salaires et les conditions de travail.

Les économistes de l’eurozone sondés par le Financial Times cette semaine ont donné le cap en appelant à une nouvelle campagne en faveur de soi-disant «réformes structurelles» du marché du travail – la mise au rebut de ce qui reste de règlements salariaux et de conditions de travail – dans le but de créer une main-d'œuvre bon marché paupérisée.

L'évolution économique de 2015 souligne une fois de plus le fait que la crise de 2008 représentait un effondrement du système capitaliste mondial et non un ralentissement qui serait suivi d’une « reprise ». L'année à venir apportera une intensification de l'assaut mené ces sept dernières années. Seul un mouvement politique de la classe ouvrière sur la base d'un programme socialiste internationale peut y répondre.

(Article paru en anglais le 30 décembre 2015)

 

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