L’ISO fait de l’agitation pour une guerre avec la Russie à propos de la Syrie

Les grandes crises de l’ordre capitaliste mondial démasquent le caractère des organisations politiques. La guerre en Syrie a montré que l’Organization socialiste internationale (ISO) était un instrument de propagande pro-guerre qui fait une agitation incessante en faveur d’une escalade des opérations militaires américaines de soutien aux forces attaquant le régime de Bachar al-Assad. Personne qui lit attentivement socialistworker.org, le site Web de l’ISO, ne manquera de noter le rapport entre ses articles sur la Syrie et les conflits en cours dans l’administration Obama sur l’ampleur de l’engagement américain dans la guerre.

Pour parler nettement, l’ISO est alignée sur des factions de l’AFL-CIO et du Parti démocrate et fait de la propagande en leur nom, ainsi qu’au nom d’une suite d’ONG et de boîtes à penser de politique étrangère, tous gens mécontents de l’échec de l’administration Obama à s’opposer au soutien russe à Assad et à parachever la destruction de son régime. La besogne spécifique de l’ISO est de légitimer et de générer un soutien plus large à une escalade américaine en dépeignant comme une « révolution » l’opération de changement de régime organisée par la CIA.

Dans un article du 10 mars, « Les révolutionnaires syriens retournent dans la rue, » Ashley Smith salue des manifestations dans les villes syriennes contrôlées, en partie du moins, par les forces de l’opposition soutenues par les Etats-Unis. Il écrit : « Ces manifestations ont été une surprise pour beaucoup, en particulier ceux à gauche qui ont dénoncé la révolution syrienne comme un complot américain visant à installer un régime client proaméricain à Damas. »

Smith cite des photos sur le site web pro-opposition, Syria Freedom Forever, montrant des manifestants brandissant des pancartes saluant la guerre comme une lutte pour la liberté et les droits des femmes. Il le fait pour critiquer la réticence de l’administration Obama à soutenir l’opposition plus agressivement.

Smith écrit: « Joués par la Russie et craignant que la vague de réfugiés ne provoque une crise politique dans l’UE, les États-Unis ont négocié le récent cessez-le-feu. Ayant abandonné l’exigence d’un retrait immédiat d’Assad, les États-Unis ont organisé une nouvelle série de pourparlers de paix prévus à partir du 10 mars à Genève. Mais le peuple syrien a un autre plan: celui de continuer la révolution. Le superbe déploiement de résistance des révolutionnaires syriens dans des conditions incroyablement difficiles est une réprobation de tous ceux qui ont déclaré la révolution syrienne ‘djihadiste’ et/ou ‘proaméricaine.’ »

Dans son évaluation du conflit syrien au cours des quatre dernières années M. Smith a couvert bien du terrain. En 2012, il faisait valoir que le but de l’administration Obama en Syrie était d’obtenir un changement de régime – sur le modèle de la sanglante guerre de changement de régime de l’OTAN en Libye en 2011 menée en collaboration avec les forces islamistes – afin d’installer un gouvernement fantoche à Damas.

Dans un essai intitulé « La Nouvelle stratégie impérialiste d'Obama » et publié dans le numéro de mai 2012 de la Revue Socialiste Internationale de l'ISO, Smith présentait une analyse étendue des efforts de l'administration pour maintenir la position hégémonique des États-Unis. Une partie importante de l'essai de Smith était consacrée à l’exposition des intérêts impérialistes sous-jacents à l'intervention américaine en Syrie. Sous le sous-titre « Guerre par procuration en Syrie, » il écrivait :

En Syrie, Obama a l’intention d’affaiblir sinon de remplacer l’allié de l’Iran Bachar al-Assad. À bien des égards, il suit le scénario de la Libye. Jusqu’à récemment, les États-Unis et Israël avaient toléré le régime d’Assad et compté sur lui pour maintenir la paix sur la frontière israélienne. Maintenant, cependant, Obama tente de s’emparer du mouvement révolutionnaire contre le régime pour servir les visées des États-Unis.

Obama a hypocritement critiqué le régime d’Assad pour la répression de la population du pays, alors qu’il est resté muet sur un comportement similaire de la part d’alliés. Les États-Unis ont mobilisé la Ligue arabe pour organiser la pression régionale et forcer Assad à se retirer. Ils ont aussi trouvé une partie de la résistance, le Conseil national syrien, impatiente de collaborer avec les États-Unis. Lors d’une réunion à Istanbul de formations soutenues par les États-Unis, les Amis de la Syrie, alliés arabes de l’Amérique, ont promis 100 millions de dollars pour parrainer leurs combattants de la résistance sélectionnés et les États-Unis se sont engagés à fournir du matériel de communication pour aider ces forces à échapper à l’armée syrienne.

Obama a tenté d’utiliser la doctrine R2P pour gagner l’approbation des Nations Unies pour que les États-Unis et leurs alliés poursuivent un changement de régime dans le pays. Certes, ni les États-Unis ni l’Israël ne soutiennent une véritable révolution, mais plutôt un changement superficiel qui remplacerait le régime d’Assad allié à l’Iran par un autre, aligné sur les États-Unis. Cependant, contrairement à la Libye, la Chine et la Russie ont signalé leur opposition à la politique américaine. Ils se sont unis dans un veto conjoint au Conseil de sécurité des Nations Unies qui aurait approuvé un plan de la Ligue arabe pour qu’Assad renonce au pouvoir. Les États-Unis et leurs alliés donnent néanmoins des millions de dollars d’aide « non létale » à l’opposition syrienne, et examine la possibilité de l’armer. 

Cette analyse a mis Smith en désaccord avec la plupart des déclarations faites à ce moment-là par l’ISO sur la Syrie; qui soutenaient que « les révolutionnaires » syriens devaient accepter les armes et le soutien de Washington. Depuis, ceux qui définissent la ligne politique de l’ISO sont intervenus. M. Smith fut persuadé de confier sa ligne précédente à la déchiqueteuse et de célébrer les instruments du changement de régime comme l’avant-garde d’une révolution populaire.

Dans un article publié le 1er mars dans Socialistworker.org et intitulé « Comment la Syrie a été transformée en enfer sur terre », Smith attaque durement l’administration Obama. Mettant la réalité sur la tête, il affirme que la politique d’Obama, qu’il dépeint comme quasi pacifiste, a permis à la Russie et à la Chine d’émerger en tant que puissances impérialistes alliées à Assad.

L’idée que Washington « abandonne » la Syrie ou le Moyen-Orient à quiconque indigne Smith. « L’impérialisme russe a profité de la position affaiblie de l’Amérique pour intervenir directement et explicitement en Syrie en appui au régime, » tempête-t-il, avertissant que « la Russie et la Chine ont également des enjeux impérialistes dans la région. »

Smith fait de l’agitation pour que Washington protège l’opposition au gouvernement syrien et à ses alliés russes et iraniens: « Maintenant, cependant, les États-Unis semblent prêts à capituler devant l’exigence russe qu’Assad reste au pouvoir tandis que la guerre commune contre l’EI continue. Il a déjà échoué à se dresser contre l’intervention de la Russie quand il était clair qu’elle devait aider le régime syrien à reprendre l’initiative aux forces rebelles... À moins que quelque chose ne change, ce sera une victoire géopolitique de l’impérialisme russe et de la contre-révolution d’Assad contre ce qui reste du printemps syrien ».

L’essai de Smith aurait pu être posté sur un certain nombre de sites Web néoconservateurs droitiers. Il ne faut pas se méprendre sur ce qu’il est en train d’exiger en Syrie en dénonçant le danger d’une « victoire géopolitique de l’impérialisme russe. » Faire rebasculer le rapport de force en faveur des islamistes soutenus par les Américains malgré la supériorité militaire du régime Assad et des alliés russes et iraniens exigerait une attaque à grande échelle de l’OTAN qui viserait avant tout les avions de combat russes et les batteries de missiles. Cela signifierait lancer une guerre entre pouvoirs ayant l’arme nucléaire.

Smith appelle au soutien accru des milices d'opposition en Syrie, pleinement conscient que ce sont des forces islamistes réactionnaires. Alors que son article du 10 mars attaque malhonnêtement ceux qui soulignent le caractère « djihadiste » de l'opposition islamiste en Syrie, celui du 1er mars reconnaît le rôle des islamistes et d'Al-Qaïda dans les forces d'opposition et approuve un soutien de celle-ci quoiqu’il en soit:

Les révolutionnaires syriens n’avaient d’autre choix que de prendre les armes pour se défendre. Ils ont formé environ 1.000 milices, recruté des soldats sunnites de l’armée syrienne et forgé l’Armée syrienne libre ... Diverses forces islamistes ont émergé dans la révolution. Certaines ont été acceptées pour faire partie de celle-ci; certaines ont fait concurrence aux LCCs et à la FSA de l’extérieur, mais ont toujours combattu le régime; d’autres, comme la franchise d’Al-Qaïda, le Front al-Nosra, entraient parfois en conflit avec la FSA tout en affrontant le régime. . 

Smith reconnaît que la FSA est un outil de l’impérialisme américain et de ses alliés, mais conçoit une excuse ingénieuse de ce fait :

Les États-Unis, l’Arabie Saoudite, la Turquie et le Qatar ont financé la FSA. Mais ils n’ont jamais soutenu la révolution. Les États-Unis n’ont jamais fourni d’armes lourdes, comme des MANPADS antiaériens, dont la FSA avait besoin pour défendre leurs villes contre les forces aériennes d’Assad. 

En fait, Washington a refusé de donner à l’opposition des « systèmes de défense aérienne portables » (MANPADS) en plus des bombes, missiles antichars et fusils qu’il lui fournissait parce qu’il craignait qu’Al Qaïda ne les utilise pour abattre des avions de ligne civils.

L’élément central de l’argumentaire de Smith pour une escalade de la guerre en Syrie, entre tous ses mensonges et ses contradictions, est l’affirmation que l’oligarchie capitaliste post-soviétique de la Russie est « impérialiste ». L’ISO n’est pas parvenue à cette définition par une analyse historique du développement du capitalisme russe, mais plutôt en fonction des besoins de la propagande de son agenda pro-guerre. C’est là une tentative grossière de légitimer les guerres menées par les grandes puissances impérialistes et leurs efforts pour déstabiliser et même démembrer la Russie elle-même.

La politique menée par le régime de Poutine en Syrie découle de la situation internationale désespérée à laquelle fait face la Russie à la suite de la dissolution de l’Union soviétique par la bureaucratie stalinienne en 1991. En 2011, le Kremlin se laissa convaincre d’approuver une résolution approuvant l’action du Conseil de sécurité des Nations unies contre le régime libyen, un allié de la Russie, au motif qu’une intervention était nécessaire pour protéger les civils qui protestaient à Benghazi, d’un massacre par le gouvernement libyen. Cela a entrainé l’attaque de la Libye par l’OTAN, la destruction du régime de Kadhafi, la torture et l’assassinat final de Kadhafi dans les restes bombardés de sa ville natale de Syrte.

Il est vite devenu clair que le viol de la Libye par l’OTAN n’était que le début d’une offensive mondiale contre les intérêts russes. L’escalade de la guerre contre la Syrie, principal allié arabe de la Russie et site de sa seule base navale en Méditerranée, a été suivie du coup d’Etat de 2014 à Kiev, soutenu par l’OTAN, qui a renversé un gouvernement prorusse et installé un régime fantoche de l’OTAN en Ukraine. Puis vint l’imposition de dures sanctions économiques à la Russie et une vague de manœuvres de l’OTAN en Europe orientale, le long des frontières de la Russie, dans la mer Baltique et dans la mer Noire.

Lorsque la Turquie, État membre de l’OTAN, a menacé l’an dernier d’envahir la Syrie, le Kremlin a vu cela comme une menace existentielle des intérêts nationaux russes et a décidé de prendre des mesures militaires pour empêcher le parachèvement de l’opération de changement de régime par l’OTAN et les États-Unis. L’intervention militaire du Kremlin, qui rapproche le monde d’une guerre totale, est une tentative de la part de fractions nationalistes de la nouvelle bourgeoisie russe dirigée par Poutine, de parer à une catastrophe géopolitique. Les méthodes employées par le régime russe, déterminées par sa nature de classe, sont politiquement réactionnaires.

Le Kremlin tente d’exploiter la force militaire résiduelle héritée de l’Union soviétique pour empêcher les puissances de l’OTAN d’exploiter les faiblesses du régime post-soviétique réactionnaire. Il s’agit là non seulement de sa dépendance des centres financiers impérialistes, mais aussi de son encouragement du nationalisme russe et des préjugés anti-musulmans. Cette dernière politique enflamme les divisions ethniques et sectaires en Russie, qui ont, depuis la dissolution de l’URSS en 1991, éclaté à plusieurs reprises en guerres sanglantes dans les républiques composant la Fédération de Russie, comme la Tchétchénie et le Daghestan.

Le renversement en 1992 du régime soutenu par l’Union soviétique en Afghanistan, suivi par l’émergence d’une série de régimes islamistes bénéficiant initialement du soutien américain, a transformé ce pays en base de soutien pour forces islamistes combattant en Russie, y compris en Tchétchénie. Comme des milliers de Tchétchènes combattent aujourd’hui au sein de l’opposition anti-Assad en Syrie, le Kremlin craint que le renversement d’Assad par les États-Unis ne transforme la Syrie en base pour une guerilla incitant à la guerre civile en Russie.

Pour ces forces, l’étiquetage de la Russie comme puissance « impérialiste » combattant l’opposition islamiste en Syrie remplit une fonction politique supplémentaire. L’ISO est en train de légitimer des opérations militaires en Russie même. Il apporte de l’eau au moulin des arguments qui font des séparatistes tchétchènes et de forces islamistes similaires des révolutionnaires luttant pour l’indépendance contre un État oppresseur impérialiste.

L’ISO est consciente de ce que son soutien à l’escalade américaine en Syrie a fait naître le soupçon généralisé qu’elle œuvre dans l’intérêt de l’impérialisme américain. Pour s’y opposer, Socialistworker.org a posté un commentaire de Stanley Heller, directeur exécutif du Comité de la crise du Moyen-Orient dans le Connecticut et intitulé « Fausse logique de la gauche sur la Syrie. » Heller dénonce la colère et la désillusion avec la guerre dans la population américaine.

Il écrit: « Je veux traiter d’un argument qui procède ainsi: ‘L’ennemi principal est dans le pays. Je dois payer des impôts qui soutiennent l’impérialisme américain – cela devrait être ma principale préoccupation.’ Je suis d’accord jusqu’à un certain point... Mais de plus en plus, le raisonnement de l’‘ennemi principal’ est utilisé pour signifier que la seule chose dont nous devions nous occuper sont les interventions et les crimes du gouvernement américain. C’est tellement tordu. C’est une trahison de personnes qui sont, ou devraient être, nos amis. »[italiques dans l’original].

Ce qui est « tordu » ce n’est pas l’opposition à la guerre impérialiste, mais le raisonnement de l’ISO en faveur d’une guerre en Syrie pouvant entraîner la destruction de toute la planète et s’appuyant sur l’argument que les milices islamistes soutenues par la CIA et liées à Al-Qaïda sont les « amis » du peuple américain.

Après avoir déclaré cyniquement qu’il s’attendait à « être accusé d’être au mieux naïf et au pire un infect néoconservateur », Heller présente son plan pour une campagne de propagande contre la Russie et l’Iran. Il appelle à boycotter les produits et les médias russes et iraniens. Il appelle les lecteurs du Socialist Worker, le journal de l’ISO, de « corriger le récit propagé par les écrivains pro-Assad... nous entendons un récit libéral et de gauche qui dit que les Saoudiens ont commencé la violence en Syrie, en coordination avec les États-Unis. »

Enfin, il appelle à des manifestations devant les consulats et ambassades russes et iraniens. Lors de ces manifestations, ajoute Heller, les participants doivent « apporter des pancartes sur les vilénies américaines et saoudiennes, pour décourager la présence d’éléments droitiers. »

Le fait que Heller soit conscient que les manifestations qu’il propose peuvent attirer des forces explicitement de droite témoigne du rôle consciemment réactionnaire de l’ISO et de ses alliés. Heller propose des manifestations pro-guerre attisant le chauvinisme anti-russe. Sa proposition de prévoir une opposition superficielle à la politique américaine en apportant des pancartes anti-américaines et anti-saoudiennes est un stratagème, conçu principalement pour empêcher la présence de forces de droite aux meeting de l’ISO de révéler trop directement les sympathies réactionnaires de celle-ci.

Heller montre clairement que, nonobstant sa suggestion cynique que l’ISO inclue quelques affiches anti-saoudiennes aux meetings anti-iraniens qu’il propose, celle-ci soutient l’impérialisme américain et la monarchie saoudienne contre la Russie, l’Iran et le régime d’Assad. « C’est vrai, » écrit-il, « l’Arabie Saoudite a financé des djihadistes, entre autres milices, mais les Saoudiens et les États-Unis ne sont que le numéro trois parmi ceux qui sont coupables de créer la catastrophe syrienne. Assad est clairement numéro un, et ses alliés numéro deux. »

En publiant ces remarques, l’ISO fonctionne comme un allié ouvert de l’impérialisme américain et confirme son rôle d’accessoire politique des crimes commis contre le peuple syrien.

(Article paru d’abord en anglais le 12 mars 2016)

Loading