Perspectives

La destitution de la présidente brésilienne et la chute du Parti des travailleurs

Le vote du Sénat jeudi 12 mai engageant la destitution de la présidente Dilma Rousseff sur de fausses accusations d'irrégularités budgétaires a effectivement mis fin au Brésil à 13 ans de gouvernement du Parti des travailleurs (Partido dos Trabalhadores – PT). Le plus grand pays d'Amérique latine compte plus de 200 million d'habitants et est la septième économie au monde. 

L'éviction de Rousseff est le résultat d'une conspiration anti-démocratique organisée par des couches influentes de la classe dirigeante brésilienne et soutenue par le capital financier international. Son but était d’apporter un changement radical dans la politique économique et les rapports de classe du pays et constitue une immense menace pour les emplois, les droits fondamentaux et le niveau de vie de la masse des travailleurs brésiliens. 

Le gouvernement imposé par le biais de ce complot est le plus à droite depuis la fin de la dictature militaire, il y a plus de 30 ans. Rousseff est censée être simplement suspendue de ses fonctions pendant la durée d'un procès qui pourrait durer jusqu'en octobre. En réalité cependant, l'ensemble du gouvernement a été modifié sous son vice-président et ancien allié politique, Michel Temer, du PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien). Chaque ministre a été remplacé, des départements entiers sont en cours de liquidation et une purge de grande envergure est en cours parmi les fonctionnaires de l’État. 

Avec son discours de début de mandat comme « président par intérim » Temer a ressuscité le langage de l'autoritarisme et de la dictature. Il a appelé à un gouvernement de « salut national » pour « pacifier » le Brésil et a invoqué la devise qui orne le drapeau du pays, « Ordem e Progresso» (Ordre et Progrès), comme les maîtres mots du nouveau régime. 

Un gouvernement non élu se prépare à mettre en œuvre ce que le nouveau ministre des Finances, l’ancien PDG de la Banque de Boston Henrique Meirelles, a reconnu vendredi être des mesures « dures » d'austérité visant à imposer tout le fardeau de la crise économique brésilienne, la pire en un siècle, à la classe ouvrière. Inévitablement, le gouvernement aura recours à la violence d'Etat et à la répression pour mener à bien ce programme. 

La crise économique, qui a déjà fait 11 millions de chômeurs, sans que les licenciements de masse soient près de s’arrêter, est à l'origine de la débâcle du gouvernement PT. L'échec économique qui secoue le capitalisme mondial depuis 2008 s’est brutalement manifesté au Brésil et dans toute l'Amérique latine par l'effondrement des cours des matières premières et du boom des marchés émergents qui avaient rendu possible la politique du PT: des programmes d'aide sociale limités aux pauvres tout en créant pour l'oligarchie de la grande entreprise et de la finance les conditions les plus rentables de l'histoire du pays. 

La même crise mine tous les gouvernements bourgeois faisant partie de ce qui a été appelé le tournant vers la gauche de l'Amérique latine, comme celui des péronistes évincés en Argentine ou celui de Nicolas Maduro qui fait face à une possible élection de révocation dans les conditions d'un effondrement économique au Venezuela. 

Non seulement le gouvernement Rousseff n'a pas pris de mesures pour réduire le chômage de masse et la baisse des salaires réels, il a initié ses propres mesures d'austérité visant à gagner les faveurs des marchés financiers mondiaux et des agences de notation de Wall Street. L'inégalité sociale dans ce pays fortement polarisé est une nouvelle fois en hausse et les gains réalisés dans la réduction de l'extrême pauvreté au cours de la dernière décennie s'évaporent.

Si les méthodes utilisées pour démettre Rousseff de ses fonctions sont tout à fait anti-démocratiques, les protestations de la présidente et ses partisans qu'elle est la victime d'un « coup d'Etat » sonnent pourtant faux, vu que le ramassis de politiciens capitalistes corrompus et droitiers à la tête de cette procédure de destitution était, jusqu'à récemment, les plus proches alliés politiques du PT. Ils faisaient aussi partie d’une suite sans fin d'opérations corrompues,comme l'affaire mensalão – l’achat de voix au Congrès – ou le scandale des dessous-de-table pour des contrats chez Petrobras. La plus grande condamnation peut-être du gouvernement PT est le fait qu'il a servi à protéger et à cultiver les éléments politiques réactionnaires lancés maintenant contre la classe ouvrière.

Le PT a cherché à se protéger de la destitution en essayant d'une part d'obtenir le soutien de ces mêmes couches en leur offrant plus de postes et de pouvoir et d'autre part de convaincre l'establishment que le Parti des travailleurs était le mieux placé pour imposer un programme d'austérité, dû à sa « légitimité » électorale et à sa collaboration avec la fédération syndicale CUT dans la répression des luttes de la classe ouvrière.

Au bout du compte, le PT, un parti capitaliste entièrement vénal, porte la responsabilité criminelle du « coup d'Etat » qu’il condamne et dont les principales victimes ne seront pas Rousseff et ses collègues politiciens, mais les masses de travailleurs et d’opprimés du Brésil.

Une responsabilité particulière de la crise aiguë à laquelle les travailleurs brésiliens sont maintenant confrontés incombe aux divers groupes pseudo de gauche qui ont soutenu le Parti des travailleurs et cherché à subordonner la classe ouvrière à son leadership. Parmi ces groupes figurent principalement diverses tendances révisionnistes ayant fait scission avec le Comité international de la Quatrième Internationale et rejetant sa lutte pour l'unité internationale et l’indépendance politique de la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste révolutionnaire, pour s'adapter au stalinisme et à diverses formes de nationalisme bourgeois, avant tout le castrisme.

Au Brésil, ces forces firent la promotion du Parti des travailleurs comme d’un substitut à la construction d'un parti marxiste révolutionnaire dans la classe ouvrière. Le PT fut décrit comme ouvrant une nouvelle voie parlementaire brésilienne au socialisme. Malgré son nom, le PT était depuis sa fondation non pas un parti de la classe ouvrière, mais plutôt un parti bourgeois basé sur des sections privilégiées de la classe moyenne. Son but était de contenir la lutte des classes et les immenses tensions sociales de la société brésilienne, tout en défendant le capitalisme.

Si beaucoup de ces tendances ont été éjectées du PT au fur et à mesure qu'il virait toujours plus à droite sous la direction de l'ancien chef du syndicat des métallurgistes Luiz Inacio Lula da Silva, elles continuent essentiellement à jouer le même rôle, ne proposant pas la moindre direction révolutionnaire dans la crise politique engendrée par la destitution.

Le PSTU moréniste (Parti unifié des Travailleurs socialistes) continue d’avancer le slogan « éjectez les tous » ; il s’adapte essentiellement à la conspiration de droite ayant déclenché la destitution et omet totalement d’avertir des immenses dangers auxquels sont confrontés les travailleurs brésiliens. Après avoir appuyé des opérations impérialistes de changement de régime de la Syrie à l'Ukraine, il est maintenant complice d’une version brésilienne du même processus.

Les tendances pablistes organisées autour du groupe Insurgencia font partie du PSOL (Parti du Socialisme et de la Liberté), un parti formé par des députés expulsés du PT. Leur but est de redorer le blason du modèle d'origine du PT pour mieux subordonner la classe ouvrière à l'Etat capitaliste.

La période où ces partis étaient en mesure d'aider à supprimer la lutte de classe tire à sa fin, non seulement au Brésil mais au plan international. Comme le montre la crise actuelle, la classe dirigeante ne peut plus exercer le pouvoir comme avant et il devient impossible à la classe ouvrière de vivre comme avant ; cela crée les conditions de bouleversements révolutionnaires.

La tâche politique la plus urgente est la formation d'une nouvelle direction révolutionnaire de la classe ouvrière sur la base d'une assimilation de l’âpre expérience faite avec le Parti des travailleurs et celle de la longue lutte du trotskysme contre le révisionnisme. Cela signifie la construction d'une section brésilienne du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 14 mai 2016)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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