Le voyage du vice-président américain déclenche un débat sur le conflit sino-américain

L’activité diplomatique du vice-président américain Joe Biden suite à la décision de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de nier à la Chine le « droit historique » de ses revendications en mer de Chine méridionale ne laisse aucun doute que l’impérialisme américain se servira de cette décision pour aggraver considérablement les tensions militaires avec Beijing.

Depuis le 16 juillet, Biden a eu des entretiens avec des ministres japonais et sud-coréens à Hawaii, et a effectué d’importantes visites officielles en Australie et en Nouvelle-Zélande, ses alliés des traités ANZUS. En Australie notamment, Biden a clairement montré que Washington attendait un soutien complet, diplomatique et militaire, de ce pays dans l’escalade des provocations montées sous prétexte de « liberté de navigation » dans les eaux et l’espace aérien des îlots revendiqués par la Chine dans les zones contestées.

L’Administration Obama a encouragé d’autres États de la région à déclarer qu’ils soutenaient la décision du tribunal, comme l’Inde, le Vietnam et les Philippines dont le gouvernement a contesté jurudiquement les revendications chinoises avec le soutien des Etats-Unis

Le sommet des ministres des Affaires étrangères de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), commencé samedi au Laos et auquel assistent le secrétaire d’État américain John Kerry et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, sera dominé par les divisions entre États membres à propos de la mer de Chine méridionale. Le Laos et le Cambodge au moins s’opposeront aux efforts pour obtenir une déclaration soutenant la décision de la CPA. Ces pays soutiennent la position chinoise selon laquelle les revendications rivales doivent être résolues par des négociations « bilatérales ».

Pesant sur toute l’activité diplomatique, il y a la perspective d’affrontements armés lorsque l’armée américaine mènera sa prochaine opération de « liberté de navigation. »

En Australie, la visite de Biden a déclenché une discussion ouverte dans les médias sur la perspective d’une guerre entre les États-Unis et la Chine, principalement dans l’Australian Financial Review (AFR).

Tout au long de la campagne menant à l’élection du 2 juillet en Australie, l’establishment politique et médiatique a maintenu une conspiration du silence autour de la campagne de guerre des États-Unis et les préparatifs militaires en cours derrière le dos de la population. Le voyage de Biden et le message qu’il a livré ont brusquement mis le danger de guerre au centre de la discussion.

Dans un discours sur l’alliance américano-australienne mercredi 20 juillet, Biden avait déclaré que toute personne qui doutait « de l’engagement de l’Amérique et de son pouvoir de rester dans la région Asie-Pacifique » ne « faisait pas attention. » Avec leurs dépenses et leurs forces militaires « sans comparaison », les États-Unis avaient une « capacité inégalée de projeter leur puissance navale et aérienne n’importe où, dans tous les coins du monde et en même temps. » L’Australie, a affirmé Biden, devait rester avec les États-Unis « jusqu’au bout. »

Un article de l’AFR jeudi 21 juillet était intitulé : « Si les États-Unis et la Chine entrent en guerre, qui gagne ? » Il déclarait tout bonnement qu’à la lumière de la visite de Biden, un tel scénario « extrême » et « grave » ne pouvait être exclu, même si « un tel conflit diviserait le monde et mettrait l’économie mondiale à genoux. »

L'AFR a publié un extrait du discours de Biden sous le sombre titre de : « Nous y allons à fond –vous aussi. » C’était une référence à l'invocation par Biden de ce qu’avait dit Barack Obama quand il avait annoncé le « pivot » au parlement australien en 2011 : « Dans la région Asie-Pacifique au 21e siècle, les États-Unis d’Amérique y vont à fond. »

Dans un autre article de l’AFR, Brian Toohey, un journaliste chevronné avec des sources à l’intérieur de l’établissement militaire et des renseignements a averti que l’envoi d’un navire de guerre australien à proximité d’une île revendiquée par la Chine « risquerait de déclencher un affrontement de bas niveau pouvant enclencher un engrenage incontrôlé. »

Toohey a franchement sondé les conséquences désastreuses d’une guerre sino-américaine. « Certains observateurs, dont [moi-même], croient que les États-Unis et leurs alliés vaincraient facilement la Chine dans une bataille aérienne et maritime majeure au large des côtes, » écrivait-il. « Mais la bataille pourrait faire s’effondrer l’économie mondiale et anéantir le commerce australien avec la Chine, sans résoudre la situation militaire. »

Se référant à l’invasion américaine de l’Irak en 2003, il écrit : « Déclarer ‘mission accomplie’ n’aurait pas plus de sens qu’en Irak, si une Chine humiliée se regroupait et reprenait les hostilités. En fin de compte, une victoire durable impliquerait l’invasion du continent, l’occupation de nombreuses villes et la victoire dans une guerre de guérilla prolongée contre des millions de Chinois patriotiques. L’absurdité de cette perspective est généralement rejetée en disant que personne ne veut que la course aux armements en cours finissent par une guerre. Mais les courses aux armements peuvent mal finir. »

En réalité, une attaque à grande échelle de la Chine par les États-Unis dégénérerait presque certainement en guerre nucléaire où des millions de gens mourraient, en Chine et au plan international. Les bases militaires australienne hébergeant les forces américaines comme la station de communication par satellite de Pine Gap seraient parmi les cibles dans une telle conflagration.

Des avertissements en mai du danger de guerre nucléaire faits par « l'Union of Concerned Scientists » (UCS – Union des scientifiques inquiets) américaine furent suivis par un rapport récent du « Center for Strategic and International Studies » (CSIS) de Washington, débattant de la possibilité d’un échange nucléaire entre les États-Unis et la Chine. Le CSIS a été à l’avant-garde de la formulation du « pivot vers l’Asie » des États-Unis, visant à subordonner la Chine aux diktats de l’élite dirigeante américaine.

Le rapport rendu public le 20 juillet était supervisé par l’analyste stratégique de premier plan, Anthony Cordesman et est intitulé « Les forces et les armes de destruction massive nucléaires de la Chine. » Une section clé est consacrée à l’examen de l’allégation par certaines sources américaines que la Chine dissimule l’étendue de son arsenal nucléaire grâce à un réseau massif d’installations souterraines et de tunnels. Le fil conducteur de l’analyse de l’arsenal nucléaire chinois par le CSIS est qu’il se développe en taille et en capacité. Comme d’autres rapports publiés ces dernières années par des boîtes à penser liées au Pentagone, il conduit implicitement à la conclusion qu’il valait mieux pour les États-Unis agir tôt que tard dans une confrontation militaire avec Beijing.

En cas de conflit, écrit Cordesman: « La Chine et les États-Unis ont toutes les raisons de calculer qu’aller au-delà de la menace tacite déjà posée par l’existence des forces nucléaires de l’autre, vers des échanges nucléaires réels à un quelconque niveau , sera si destructeur et tellement plus coûteux pour les deux parties que les gains stratégiques ou militaires qui pourraient jamais en être obtenus. En même temps, l’histoire est un sombre avertissement de ce que la dissuasion échoue parfois, et que l’escalade se produit d’une manière qui n’est jamais bien planifiée ou contrôlée. »

En 2013, Cordesman a rédigé un autre document dans lequel il invoquait la nécessité de « penser l’impensable », une référence aux déclarations du stratège américain Herman Kahn dans les années 1960 qu’il était possible à la fois de survivre et de « gagner » une guerre nucléaire. À l’époque, Kahn avait été écarté par beaucoup comme essentiellement fou et était devenu l’une des inspirations pour le personnage de Stanley Kubrick, « Docteur Folamour. »

Cordesman écrivait de façon tout aussi folle que Kahn en 2013, au sujet d’une guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan : « La bonne nouvelle, d’un point de vue impitoyablement “réaliste”, est qu’une telle tragédie humaine ne doit pas nécessairement avoir des conséquences stratégiques graves pour d’autres États, et pourrait bien avoir des avantages... La perte de l’Inde et du Pakistan pourrait créer des problèmes économiques à court terme pour les importateurs de biens et de services. Mais l’effet net déplacerait les avantages vers d’autres fournisseurs sans problèmes évidents de substitutions ou de coûts. »[Italiques ajoutés].

Dans une atmosphère toxique où le déclin économique de l’impérialisme américain est attribué à la montée de la Chine, la perspective horrifiante est que l’establishment politique américain conclura qu’une dévastation nucléaire de la Chine « pourrait bien avoir des avantages » aussi.

(Article paru d’abord en anglais le 23 juillet 2016)

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