La BCE maintient sa politique monétaire dans un contexte tendu

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé jeudi à Francfort, à la réunion de son conseil d’administration, qu’elle n’allait pas changer son taux d’intérêt et sa politique d’assouplissement quantitatif. Cette décision a été largement vue comme une indication que la Banque ne prévoyait pas d’augmentation immédiate du risque dans la foulée du référendum Brexit sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE).

Cette semaine, le volume d’obligations achetées par la BCE a franchi le cap du 1000 milliards d’euros, dans le cadre d’un programme annoncé l’an dernier. On supposait avant la réunion que la banque annoncerait une prolongation du programme au-delà de la date limite actuelle du 17 mars 2017 et étendrait sa portée, car le volume d’obligations qu’elle peut acquérir se tarit.

Dans sa conférence de presse, le président de la BCE Mario Draghi a plutôt servi sa réponse standard que le programme d’achats d’actifs «devrait se poursuivre jusqu’à la fin de mars 2017, ou au-delà si nécessaire, et jusqu’à ce que le conseil d’administration juge que la trajectoire de l’inflation rencontre ses objectifs».

L’augmentation du taux d’inflation est un objectif central de la BCE, car cela diminue le fardeau de la dette sur les banques et autres institutions financières.

Gardant le taux d’intérêt actuel à -0,4 %, Draghi a dit qu’il prévoyait que les taux d’intérêt «vont se maintenir ou être à la baisse pour une longue période», bien au-delà de la fin du programme d’achats d’actifs.

Draghi a affirmé que les données disponibles semblaient témoigner de la «robustesse de l’économie de la zone euro» face à l’incertitude de l’économie et des politiques mondiales, mais qu’il y avait des «risques à la baisse».

En réalité, les données fournies par la BCE elle-même, et d’autres informations, indiquent que les politiques de la banque – des taux d’intérêt négatifs et le rachat d’obligations de gouvernements et de sociétés – ont peu ou pas d’impact sur l’atteinte du but déclaré d’augmenter l’inflation aux environs de 2 % et de stimuler la croissance économique.

Selon les derniers rapports d’Eurostat, le taux annuel d’inflation en août n’a été que de 0,2 %, identique à celui en juillet. Cela indique que la BCE risque peu d’atteindre son objectif dans un proche avenir.

Des données provenant d’autres sources montrent que la situation s’aggrave. La part des prix de biens et services qui augmentent de moins de 1 % est passée à 58 %, un taux plus élevé que lorsque la BCE a lancé son programme d’achats d’actifs l’an dernier. En Italie, où la croissance est pratiquement nulle, ce taux atteint les 67 %.

Et la croissance économique ne montre aucun signe d’amélioration. Même si la BCE a révisé légèrement à la hausse sa prévision de croissance pour 2016, soit 1,7 %, elle a révisé à la baisse ses prédictions pour les deux prochaines années.

La décision de la BCE de ne pas changer sa politique actuelle a provoqué des inquiétudes dans certaines sections de la presse financière. Le chroniqueur en économie du Daily Telegraph britannique, Ambrose Evans-Pritchard, a noté que de vastes portions de la zone euro s’enlisaient «de plus en plus dans un piège déflationniste», malgré les taux négatifs et 1000 milliards € en assouplissement quantitatif «qui laisseront le bloc monétaire sans marge de sécurité à la prochaine récession mondiale».

Evans-Prichard a averti que «La BCE sera bientôt à court de munitions et semble de plus en plus incapable d’en faire davantage dans le cadre juridique de son mandat».

Le principal obstacle à l’élargissement du programme d’assouplissement quantitatif est l’opposition de l’Allemagne, menée par son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, et appuyée par les dirigeants des grandes banques du pays qui affirment que le régime de faibles taux d’intérêt détruit leur modèle économique.

Dans un commentaire éditorial sur la décision, le Financial Times a noté les tensions qui existaient au sein de la BCE. Selon le journal, la réunion du conseil d’administration était remarquable non pas pour ce qu’elle n’a pas fait, mais plutôt pour ce qu’elle n’a pas dit. Bien que la décision de garder la politique actuelle en place était raisonnable pour l’instant, «le fait que Draghi n’a pas expliqué ce qui serait fait dans les prochains mois si un autre plan de relance était nécessaire est inquiétant».

La prolongation du programme d’assouplissement quantitatif nécessiterait la réduction des restrictions actuelles sur les actifs que la banque peut acquérir, car les obligations qui peuvent être achetées selon les règles actuelles commencent à se faire rares. Le FT a noté qu’un tel assouplissement des règles provoquerait une «forte opposition politique», surtout de la part de l’Allemagne, parce qu’un tel changement exposerait la BCE aux pertes et que «l’achat d’obligations des pays les plus endettés serait favorisé».

Le FT a écrit que même si Draghi «aurait manifestement voulu en dire plus», il n’a fait qu’affirmer que «la volonté et la capacité d’agir de la BCE» étaient indéniables. Le quotidien a averti que «De telles affirmations sont peut-être suffisantes à court terme, mais elles ne tiendront pas longtemps si la BCE est incapable d’expliquer ce qu’elle compte faire ensuite.» On peut aussi lire dans l’éditorial que le «combat d’arrière-garde» que mène l’Allemagne contre Draghi est «très malavisé».

Certaines des tensions ont éclaté à la surface lors de la période de questions de la conférence de presse. Dans ses remarques d’introduction, Draghi a affirmé que les gouvernements devaient agir pour améliorer la productivité et le climat commercial, en partie par la mise sur pied de projets d’infrastructures pour augmenter l’investissement et alimenter la création d’emplois.

En répondant à une question sur ce sujet, il a cité le communiqué du 5 septembre du sommet du G20 qui mentionnait l’importance des stratégies financières pour améliorer la croissance, soulignant plus loin, en réponse à une autre question, qu’il ne s’agissait pas d’une déclaration des banques centrales, mais bien des gouvernements et des ministres des Finances – une raillerie à peine voilée à l’endroit de l’Allemagne.

Draghi a été plus explicite lorsqu’on lui a demandé s’il faisait référence à l’Allemagne lorsqu’il avait dit que certains pays étaient en mesure de faire des investissements (une référence aux surplus de budget et de balance commerciale). «Les pays qui ont une marge financière devraient l’utiliser», a-t-il affirmé. «L’Allemagne a une marge financière.»

Dans des conditions où les données de la BCE elle-même ne prévoient aucune augmentation importante de la croissance économique et où les pressions déflationnistes se maintiennent, les tensions au sien de la BCE ne peuvent qu’augmenter durant la prochaine période.

(Article paru d’abord en anglais le 9 septembre 2016)

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