La BCE signale plus d’austérité au milieu de divisions économiques croissantes en Europe

S’exprimant hier à Francfort, le président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi a signalé que la BCE continuerait la politique d’austérité et de cadeaux massifs aux banques. Malgré le marasme grandissant en Europe et au niveau international, il n’a proposé aucun changement dans les politiques irrationnelles, économiquement destructrices de l’aristocratie financière. 

La veille, la Réserve fédérale américaine et la Banque du Japon (BoJ) ont déclaré qu’elles poursuivraient des politiques similaires de taux d’intérêt ultra-faibles et d'« assouplissement quantitatif » (QE). Dans le cadre des programmes d’assouplissement quantitatif, la Fed, la BoJ, et la BCE ont imprimé des milliards de dollars de leurs monnaies respectives. Cet argent a été remis aux banques, qui ont acheté des actions, des obligations gouvernementales, et les dettes des entreprises, gonflant ainsi la valeur des actifs détenus par les super-riches et les 10 pour cent les plus riches de la société, tandis que les masses de travailleurs ont été pillées par l’austérité et les coupes sociales. 

L’annonce de Draghi témoigne de la perplexité et de la panique qui envahissent la classe dirigeante, face aux crises pour lesquelles elle n’a aucune solution. Avant que Draghi ait parlé, d’aucuns s’attendaient à ce qu’il change des politiques largement considérées comme ayant échoué à relancer l’économie de l’Europe, et qui sont de plus en plus critiquées dans les médias. 

« La zone euro aurait dû déjà atteindre la « vitesse de libération » économique après une infusion puissante de relance dès l’an dernier », a écrit le chroniqueur Ambrose Evans-Pritchard dans le Daily Telegraph, citant le pétrole moins cher, un euro plus faible, et l’impression de 80 milliards d’euros par mois dans les programmes de QE de la BCE. 

Malgré cette injection de stéroïdes financiers dans le cœur du système financier de l’Europe, cependant, l’économie du continent stagne encore, près d’une décennie après le crash de 2008. La zone euro est en croissance de 0,3 pour cent par trimestre, et la France et l’Italie stagnent. Le pouvoir d’achat est si faible en Italie que les prix de nombreux produits de consommation sont en baisse, menaçant de déclencher une véritable déflation. 

L' économiste en chef de la Deutsche Bank David Folkerts-Landau a attaqué la BCE pour avoir miné la monnaie euro : « Les banquiers centraux pourraient perdre les pédales. Quand cela se passera, leurs erreurs pourraient être catastrophiques. Après sept ans de politique monétaire toujours plus souple, il existe des preuves de plus en plus significatives du fait que suivre le dogme actuel mettra en danger la stabilité à long terme de la zone euro ». 

À la réunion d’hier du Conseil européen du risque systémique (CERS), Draghi a répondu avec une défense générale des taux d’intérêt bas, voire négatifs. Que la BCE ait dû recourir à de telles politiques témoigne de la rupture du mécanisme de financement à la base de la production capitaliste : la capacité d’investir des capitaux, en générer un profit, et de ce profit payer un taux d’intérêt positif sur son capital à l’investisseur initial. Les banques privées ont d’ailleurs critiqué cette politique, car elle décime leurs profits en les empêchant de prêter à des taux d’intérêt élevés. 

« Un certain nombre de raisons ont été évoquées comme les causes de cette faible rentabilité, y compris les faibles taux d’intérêt », a déclaré Draghi. « Les taux d’intérêt réels à long terme diminuent depuis deux décennies dans les grandes économies avancées. Les changements technologiques, la démographie, l’inégalité des revenus et la pénurie d’actifs fiables ne sont que quelques-uns des facteurs exerçant une pression à la baisse sur les taux réels à long terme ». 

Cette évaluation des problèmes de l’Europe constitue une admission dévastatrice de leur propre culpabilité de la part des responsables financiers. La hausse de l’inégalité, c’est-à-dire l’appauvrissement des masses et l’enrichissement d’une petite couche au sommet, comme l’effondrement démographique, au milieu de larges coupes dans le niveau de vie et les prestations familiales, sont dus aux politiques réactionnaires d’austérité de l’UE. Celles-ci ont jeté des dizaines de millions de travailleurs dans le chômage depuis 2008 et ont imposé des réductions de salaire profondes pays après pays. 

Alors que la BCE déverse des liquidités dans les marchés financiers, l’économie réelle sous-jacente est tellement déprimée par l’austérité, avec les entreprises et les gouvernements confrontés à des crises récurrentes de la dette, que Draghi admet que les banquiers ne peuvent toujours pas trouver des actifs financiers « sûrs » à acheter. La BCE a augmenté son bilan d’un milliard d’euros en 2005 à plus de 2,5 milliards en 2015, en rachetant diverses formes de dette. Cependant, les remarques de Draghi démontrent que cela a seulement eu comme effet le gonflement de bulles financières encore plus grandes impliquant des actifs à risque. 

Néanmoins, Draghi a maintenu le cap des politiques actuelles, appelant à renforcer les bénéfices des banques par la restructuration du secteur financier pour réduire le nombre de grandes firmes. « La surcapacité dans certains secteurs bancaires nationaux, et l’intensité de la concurrence qui s’ensuit, exacerbe cette pression sur les marges », a-t-il dit, appelant également à réguler les opérations du « système bancaire parallèle » comme les fonds spéculatifs et du marché monétaire. 

Il a dit que dans cet environnement déprimé, les institutions financières devraient payer de plus petits taux de rendement aux déposants : « les banques devront revoir leurs modèles d’affaires pour renforcer la rentabilité. D’autres institutions financières font également face à des défis à leurs modèles d’affaires dans cet environnement. En particulier, les institutions offrant des garanties de rendement à plus long terme, spécialement dans les rendements garantis des assurances-vie, sont confrontées à un avenir de faible rentabilité à moins qu’elles n’adaptent leurs modèles d’affaires à un monde en mutation ». 

Ce qui se dessine est l’échec du système capitaliste et de l’establishment politique européen. Aucun des problèmes qui ont conduit à la crise économique de 2008 n’ont été résolus ; d’ailleurs une décennie d’austérité intense a empiré la donne. Alors qu’une nouvelle crise se profile, l’élite dirigeante n’a rien à proposer, sauf plus d’attaques sur la classe ouvrière, et l’intensification de la concurrence. 

En outre, les tensions internationales grandissantes en Europe, soulignées par le vote britannique pour sortir de l’UE, le débat sur les politiques de Draghi attise les conflits qui menacent de faire disparaître à la fois la monnaie européenne et l’UE. 

Les responsables allemands ont critiqué haut et fort la politique de la BCE, exigeant des taux d’intérêt plus élevés pour stimuler les profits des banques allemandes. Les économies plus faibles de la France, de l’Italie et d’autres en Europe du Sud ont bénéficié des politiques monétaires plus souples de Draghi, cependant, et les soutiennent encore – les louant cyniquement comme étant favorables à la croissance lors d’un sommet à Athènes ce mois-ci auquel significativement les responsables allemands ne furent pas invités. 

En avril, après que le FMI a averti de la faiblesse des banques de l’UE comme la Deutsche Bank et le Crédit Suisse, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a dénoncé la BCE pour avoir porté atteinte à l’économie allemande. Il a dit que les taux d’intérêt ultra-faibles ont créé un « trou béant » dans les finances des investisseurs et des pensions de retraites. « Il est incontestable que la politique de faibles taux d’intérêt est à l' origine des problèmes extraordinaires pour les banques et l’ensemble du secteur financier en Allemagne », a-t-il dit. « Cela vaut aussi pour les dispositions relatives à la retraite ». 

Parmi les grandes puissances et les banques, la guerre est ouverte. Tandis que l’État et les banques italiennes font face à l’effondrement financier, avec de mauvaises créances s’élevant à 360 milliards d’euros, soit 17 pour cent du total des actifs bancaires italiens, les autorités allemandes poursuivent la BCE en justice afin de couper le financement aux pays endettés de la zone euro. 

Hier, les politiciens conservateurs allemands ont dénoncé dans le Financial Times les politiques de QE. Peter Gauweiler a dit que cela « viole déjà les règles sur l’interdiction du financement monétaire [des gouvernements de la zone euro] par la BCE », ajoutant qu’un nouvel assouplissement des règles des QE serait « manifestement incompatible avec le droit européen ». 

Bien que la Cour constitutionnelle allemande n’ait pas encore décidé d’entendre sa plainte, Hans-Olaf Henkel du parti Alfa en Allemagne a déclaré : « Si la BCE allait financer clairement et ouvertement les États tels que l’Italie, cela nous fournirait des armes supplémentaires dans notre procès […] Cela, la Cour ne peut pas l’ignorer ». 

D’autres responsables ont riposté, en exigeant que l’Allemagne réduise son excédent commercial et stimule l’économie européenne en important plus de biens du reste de l’Europe. Au journal L’Opinion mercredi, le membre belge du directoire de la BCE Peter Praet a déclaré : « L’énorme excédent du compte courant de l’Allemagne, à près de 9 pour cent du produit intérieur brut, est une anomalie. La croissance allemande est trop dépendante de la demande extérieure. L’Allemagne a les ressources budgétaires pour développer sa demande intérieure ».

(Article paru en anglais le 23 septembre 2016)

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