Répression française contre la « délinquance juvénile » en Nouvelle-Calédonie

Par John Braddock
24 novembre 2016

Le Parti socialiste (PS) français va envoyer 53 policiers supplémentaires en Nouvelle-Calédonie en février, dans le contexte d’inquiétudes importantes sur la situation « anarchique » dans ce petit territoire français du Pacifique, dont la population est de moins de 300 000 habitants.

Une unité de police spéciale va combattre la « délinquance juvénile », c’est-à-dire intensifier la répression contre les jeunes marginalisés, notamment contre les Kanaks, qui subissent des taux de chômage et de pauvreté élevés.

Ce déploiement fut annoncé au début du mois lors de discussions organisées à la hâte à Paris, entre le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, le ministre de la justice Jean-Jacques Urvoas et la ministre de l’Outre-mer Ericka Bareigts, après plusieurs jours de troubles sur le territoire. La principale route au sud de la capitale, Nouméa, était bloquée par des dizaines de voiture volées et brûlées au cours des affrontements entre de jeunes Kanaks et les forces de sécurité. Cela avait coupé les vivres, les médicaments, et le carburant à 10.000 personnes pendant trois jours.

Ces affrontements, près de St Louis, une banlieue pauvre de Nouméa, ont été déclenchés par le meurtre d’un évadé de prison de 23 ans le mois dernier. Selon les procureurs, un policier avait tiré sur le conducteur d’un van qui roulait à vive allure en direction d’un collègue, apparemment pour le renverser.

Le lendemain, des tirs ont blessé cinq policiers qui essayaient de détruire des blocages. Des voitures en feu bloquaient également la principale route vers Nouméa et le nord.

La famille de l’homme tué a contesté la version de sa mort donnée par la police. Roch Wamytan, le Grand chef Kanak de la région, a déclaré qu’il y avait des témoins et qu’une plainte officielle serait déposée pour tenter d’établir la vérité.

Tentant de faire mieux que le président François Hollande, l’ex-président français Nicolas Sarkozy, alors candidat aux primaires de la droite, a immédiatement proposé un service militaire obligatoire en Nouvelle Calédonie pour combattre « le crime ». Il a déclaré aux Nouvelles Calédoniennes que l’entraînement militaire devrait être obligatoire pour les jeunes de plus de 18 ans qui ne sont ni scolarisés ni employés. Il a également proposé d’abaisser l’âge de la responsabilité pénale de 18 ans à 16 ans pour « mettre fin à la culture de l’impunité des socialistes » au pouvoir.

Selon Radio New Zealand, les politiciens néo-calédoniens ont bien acceuilli la répréssion promise. Les Républicains ont proposé d’augmenter la surveillance, les restrictions sur la vente d’alcool et des peines plus dures pour les jeunes. L’ex-président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Harold Martin, a déclaré que Paris ne « minimise plus le sérieux du problème », mais a prédit que cela n’arréterait pas les jeunes Kanaks qui font des « raids » dans le secteur de Nouméa.

Wamytan ne s’est pas opposé à la répréssion, mais a déclaré que les « autorités coutumières » – les dirigeants indigènes kanaks – devaient être « impliqués » dans toute nouvelle mesure.

Ces incidents montrent les tensions sociales explosives provoquées dans la jeunesse kanake par la crise économique. Depuis deux ans, les affrontements dans les zones pauvres sont de plus en plus violents. En mars, 40 policiers ont été déployés contre des jeunes dans la zone de St Louis. La police a essuyé des tirs sur un véhicule blindé quand elle a tenté de récupérer une voiture volée.

Ces mesures sécuritaires interviennent alors que la classe ouvrière se voit forcée à lutter pour l’emploi et les salaires. Après une chute de 40 pour cent du prix du nickel, des réductions d’effectifs importantes [article en anglais] sont en cours dans les secteurs minier et du raffinage.

En novembre dernier, le président du Gouvernement de la Nouvelle Calédonie, Philippe Germain, a prévenu que la fermeture d’une raffinerie de Nickel dans l’état australien du Queensland risquait d’entraîner des troubles importants. Les mines de Nouvelle-Calédonie étaient les principaux fournisseurs de cette fonderie avant qu’elle soit fermée en mars.

Des centaines de travailleurs de la Société Le Nickel à Nouméa ont fait grève en novembre dernier contre la perte de 60 emplois et à une décision de retarder la construction d’une nouvelle usine électrique pour la fonderie. Les syndicats ont mis fin à la grève, en orientant les travailleurs vers un soutien pour la demande des Républicains de supprimer les restrictions à l’export. En août dernier, les camionneurs du sous-traitant ContraKmine, qui craignaient pour leurs emplois, avaient bloqué Nouméa pendant trois semaines et exigé une augmentation des exportations vers la Chine.

Actuellement, l’usine de nickel de Koniambo (KNS), appartenant au groupe transnational Glencore-Xstrata et à la Société minière du Sud Pacifique, supprime 140 emplois sur 950. Un tribunal a temporairement interrompu la première tranche de 47 licenciements pour non-respect des procédures par la compagnie.

Les tensions politiques montent également dans le contexte de la préparation d’un référendum sur l’indépendance du territoire. Le 7 novembre, le Premier ministre français Manuel Valls a présidé une réunion à Paris à laquelle ont participé les dirigeants des partis pro- et anti-indépendance. D’après les Accords de Nouméa signés en 1998, le vote doit avoir lieu avant novembre 2018.

D’après Radio NZ, Valls a exprimé des inquiétudes que les « troubles » qui ont eu lieu près de Nouméa ces dernières semaines puissent se reproduire.

Le mois dernier, 5000 personnes ont manifesté à Nouméa pour exiger que les Kanaks soient inscrits pour ce vote. Actuellement, seuls les résidents de longue date figurant sur les listes électorales générales pourront voter. Les Kanaks ont un statut coutumier, mais 25 000 d’entre eux ne figurent pas sur ces listes et risquent de ne pas pouvoir voter au référendum. Il y a des accusations de fraudes qui seraient commises par les autorités françaises dans la vérification des listes.

La demande pour l’indépendance a une longue histoire. En 1984, le Front de libération nationale Kanak et socialiste (FLNKS) avait déclaré un gouvernement provisoire, lançant ainsi la dernière lutte en date pour l’indépendance. Les colons français, les « caldoches », avaient répliqué en tuant 10 Kanaks dans une ambuscade à Hienghene. Un tribunal de Nouméa acquitta tous les accusés. Puis des tireurs militaires ont assassiné un dirigeant important du FLNKS, Eloi Machoro. Sa mort a provoqué des émeutes et la construction de barricades dans tout le territoire.

Les tensions ont atteint leur paroxysme en 1988, lorsqu’un groupe de Kanaks a pris la gendarmerie de l’île d’Ouvéa. Ils ont tué quatre policiers et pris 27 otages. Puis 300 soldats d’élite, envoyés sur place, ont pris d’assaut une grotte où les Kanaks s’étaient terrés, en tuant 21 personnes. Deux policiers sont morts. Les soldats auraient torturé et frappé des civils pendant l’opération.

Des divisions importantes sur l’indépendance perdurent. Trois partis anti-indépendantistes – Calédonie ensemble, le Front pour l’unité, et l’Union pour la Calédonie dans la France – ont remporté 29 des 54 sièges au Congrès aux élections de 2014, mais seulement 49 pour cent du vote populaire.

Avec une garnison permanente de 1.500 soldats, la Nouvelle Calédonie est vitale pour le positionnement géostratégique de l'impérialisme français dans le Pacifique. Après des années de pression par la France, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont été récemment admises au Forum des îles du Pacifique, afin de renforcer des tentatives des alliés des États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, de contrer l’influence grandissante de la Chine.

À lire également [en anglais] :

Papua New Guinea budget further undermines living standards

[9 novembre 2016]

Samoan car component plant to shut, eliminating 740 jobs

[29 octobre 2016]

Colonial oppression in a South Pacific idyll—impressions of New Caledonia

[20 aôut 2005]

(Article original paru le 22 November 2016)

 

 

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