Le gouvernement libéral canadien encourage l’assaut patronal contre les retraites

Le gouvernement libéral canadien propose des changements aux règles qui régissent les régimes de retraite afin d'encourager et accélérer l’assaut de la classe dirigeante contre les retraites des travailleurs.

Le projet de loi C-27, qui a été déposé au parlement le mois dernier, élimine les restrictions juridiques sur les employeurs qui voudraient diminuer rétroactivement les prestations de retraite qui auraient été touchées ou «déjà accumulées».

Le projet de loi permet également aux sociétés d’État et aux employeurs privés sous réglementation fédérale de se désengager à l’égard des pensions à prestations déterminées, qui garantissent aux travailleurs un modeste revenu de retraite, pour les remplacer par de soi-disant régimes à prestation cible (RPC).

Sous les RPC, les pensions ne sont pas «déterminées», c’est-à-dire garanties à un taux fixe, mais simplement des «cibles», et les employeurs ne sont pas tenus de respecter les déficits prévus pour les régimes de retraite. S’il y a un déficit entre les prestations de retraites «ciblées» d’un régime et les ressources financières de ce dernier, alors les «risques sont partagés». Bref, les prestations des retraités peuvent être sabrées ou les cotisations de retraite des travailleurs augmentées.

Le projet de loi libéral C-27 est modelé sur une initiative de l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper qui n’a jamais vu le jour.

Conformément à la constitution canadienne, la législation libérale aura un impact direct seulement sur les sociétés et les travailleurs des secteurs de l’économie régis par la loi du travail fédérale. Ceux-ci comprennent les banques, les chemins de fer, les lignes aériennes, les entreprises de télécommunication, ainsi que les sociétés d’État comme Postes Canada et Radio-Canada. Mais son impact réel sera bien plus large, les normes du travail au niveau fédéral ayant toujours servi de référence informelle aux gouvernements à travers le pays.

Le projet de loi C-27 est une attaque si flagrante contre les droits des travailleurs que les syndicats, qui ont joué un rôle clé dans la victoire électorale de Justin Trudeau et des libéraux et qui se vantent régulièrement de leur collaboration avec le gouvernement, ont été forcés de le dénoncer comme étant une «trahison».

La loi définit des règles pour que les employeurs sous juridiction fédérale établissent des RPC. Bien qu’elle ne donne pas le droit à un employeur de transformer unilatéralement un régime à prestations déterminées en un RPC, la loi permet un tel changement si les employés donnent leur «consentement éclairé». Les employeurs – qui, avec la collaboration des bureaucrates syndicaux, invoqueront sans doute les «pressions de la compétition» et les difficultés financières – utiliseront dorénavant cet outil juridique afin d’intimider les travailleurs pour qu'ils donnent leur «consentement», c’est-à-dire qu'ils abandonnent des droits de pensions durement acquis.

La gestion des RPC sera entre les mains de comités dominés par le patronat, qui auront le pouvoir de modifier les taux de prestation – c’est-à-dire sabrer les retraites – dans le but d’assurer la «viabilité» financière du régime.

Le projet de loi C-27 marque une nouvelle étape dans l’assaut de la classe dirigeante contre les retraites des travailleurs. Depuis la crise économique mondiale de 2008, les gouvernements et les entreprises à travers le Canada sont intervenus agressivement pour saper les retraites, remplaçant dans plusieurs cas des régimes à prestations déterminées par des régimes à cotisations déterminées qui rendent le revenu de retraite des travailleurs complètement à la merci des aléas des marchés financiers. En décembre 2014, le gouvernement libéral du Québec a imposé une loi visant à couper les retraites des employés municipaux tout en haussant significativement leurs cotisations.

Le 16 novembre, près d’un mois après que les libéraux aient déposé leur projet de loi, le Congrès du travail du Canada (CTC) a envoyé une lettre au ministre des Finances, Bill Morneau, pour dénoncer le projet de loi C-27 comme étant «une violation déraisonnable» des protections et des droits juridiques des participants au régime et pour se plaindre que le gouvernement n’avait pas consulté les syndicats pour préparer la législation. Le président du CTC, Hassan Yussuff a écrit que «le projet de loi C-27 invite les employeurs et les autres promoteurs de régimes à manquer à leurs promesses en matière de pensions envers les employés et les retraités en leur refilant presque tous les risques que comporte le régime en raison de la volatilité du marché» et qu’il «aura des effets négatifs sur les régimes à PD du secteur privé et du secteur public dans toutes les compétences du Canada».

Le CTC a ensuite promis que si le gouvernement ne reculait pas, il «mobiliserait» ses membres contre le projet de loi.

Personne ne devrait être dupé par ces menaces. Yussuff et ses confrères bureaucrates sont de loyaux alliés du gouvernement Trudeau, ayant travaillé sans relâche au cours de la décennie de domination conservatrice pour promouvoir le PLC – le parti traditionnel de la grande entreprise canadienne – comme une force «progressiste». Ils ont beau se plaindre de C-27, ils feront tout pour contenir l’opposition des travailleurs et la canaliser dans des manifestations bidon.

Il aurait été impossible pour les libéraux d’aller de l’avant avec leur projet de loi anti-ouvrier si les syndicats n’avaient pas démontré fois après fois leur loyauté envers ce parti de droite propatronat et saboté d’importantes luttes ouvrières au cours des derniers mois dans lesquelles les pensions étaient un enjeu central.

Quelques jours seulement avant le dépôt du projet de loi C-27, Unifor, le plus important syndicat du secteur privé au Canada, a imposé un contrat rempli de concessions à ses travailleurs de Fiat-Chrysler. L’entente élimine entre autres les derniers vestiges du régime à prestations déterminées pour les nouveaux employés. Cela fait suite à l’entente modèle qu’Unifor a imposée chez General Motors en dépit d’une opposition massive et celle qu’il a ensuite imposée chez Ford.

En 2015, le président d’Unifor, Jerry Dias, a admis que de permettre aux fabricants automobiles d’imposer des régimes à cotisations déterminées serait une concession majeure qui ouvrirait la porte à un assaut généralisé sur les régimes à PD au Canada. Cet automne, toutefois, Dias a affirmé qu’il n’y avait rien de grave à céder sur cette question, tout en brandissant la menace de pertes d’emplois et de fermetures d’usines aux travailleurs de l’automobile si ceux-ci se rebellaient contre l’entente entre Unifor et les trois grands constructeurs de Detroit. Dias continuait également à louanger Trudeau et ses libéraux pour leurs soi-disant préoccupations envers le bien-être des travailleurs de l’auto.

Les grands médias ont salué Dias et Unifor pour s’être entendus sur les coupures dans les pensions. Le National Post proconservateur a écrit avec enthousiasme qu’il s’agissait d’un «moment charnière» qui devrait frayer la voie à une attaque tous azimuts contre les retraites tant dans le secteur public que privé à travers le pays.

Un rôle tout aussi réactionnaire a été joué par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) et son dirigeant Mike Palecek, un ancien membre du groupe de la pseudo-gauche Fightback. Malgré un vote massif pour la grève par les quelque 50.000 travailleurs des postes opposés à l’attaque majeure contre les retraites, les salaires et les conditions de travail par la direction de Postes Canada, le STTP a refusé de lancer une grève et a étiré les négociations pendant des mois. Finalement, à la fin du mois d’août, le syndicat a accepté une entente de courte durée, avouant qu’elle n’éliminait en rien la menace de futurs reculs et de pertes d’emplois.

Le STTP a justifié son refus d’organiser une grève en disant qu’il ne fallait pas «perturber» l’examen des libéraux sur les postes en prétendant qu’il serait réceptif aux inquiétudes des travailleurs. De manière prévisible, l’examen des postes s’est terminé avec un rapport qui appuyait essentiellement toutes les demandes de la direction, incluant des attaques massives contre les emplois et la nécessité pour des coupes dans les retraites.

Maintenant, les libéraux ont fait un pas de plus pour renforcer la position de Postes Canada avec leur projet de loi C-27.

Ce bilan montre qu’une lutte de masse impliquant des dizaines de milliers de travailleurs aurait pu se développer dans les derniers mois en opposition aux attaques contre les salaires et les conditions de travail, incluant les retraites, du gouvernement libéral et du patronat. Le fait que cela n’a pas pris place est dû au rôle pourri joué par les syndicats nationalistes et procapitalistes, dont la suppression de la lutte des classes a facilité le lancement d’une offensive par les libéraux contre les retraites, ainsi que la campagne de privatisation qu’ils ont entamée récemment.

Contrairement aux dires du CTC, les attaques contre les retraites ne sont pas sorties de nulle part. Elles ont été préparées depuis longtemps et les syndicats y prennent part depuis le début.

Le modèle du RPC a été essayé au Nouveau-Brunswick par l’ancien gouvernement progressiste-conservateur de la province tout de suite après la crise financière mondiale de 2008. Avec la complicité des principaux syndicats de la province, les conservateurs ont imposé des augmentations draconiennes de cotisations pour les retraites ainsi que des coupes dans les avantages sociaux pour les travailleurs de la santé et les autres travailleurs du secteur public.

Dans leur livre The Third Rail, Jim Leech du Régime de retraite des enseignantes et enseignants de l’Ontario et Jacquie McNish du Globe and Mail brossent un portrait dévastateur de la soumission complète des syndicats aux demandes du gouvernement du Nouveau-Brunswick, qui défend les intérêts de la grande entreprise. Les syndicats, incluant le SCFP, le plus important du pays, ont tenu de longues consultations avec une équipe spéciale établie par le gouvernement conservateur, ce qui a permis au premier ministre, David Alward, d’annoncer en 2012 que la plupart des travailleurs du secteur public de la province avaient été transférés au RPC.

Leech et McNish écrivent avec enthousiasme sur le moment suivant le discours d’Alward au parlement provincial, où les chefs syndicaux de la province avaient été invités: «Après que le premier ministre ait prononcé un discours expliquant l’importance du nouveau système de retraite à risque partagé, qui s’appliquerait aussi aux retraites des députés, Alward a demandé à ses invités de se lever pendant qu’il les remerciait pour leur collaboration. Au moment où ils se levaient, les deux étages de l’amphithéâtre ont été pris par un tonnerre d’applaudissements. Tous les députés présents des… partis conservateurs et libéraux se sont levés pour donner une ovation debout aux syndicats et aux avocats spécialisés en droit du travail.»

En 2014, les conservateurs de Harper avaient tenté de porter au niveau fédéral ce que leurs collègues du Nouveau-Brunswick avaient commencé, mais ils ont dû battre en retraite devant la vaste opposition populaire. Il aura fallu un gouvernement libéral fraîchement élu, possédant des liens étroits avec la bureaucratie syndicale, pour entreprendre une nouvelle étape dans l’assaut de la grande entreprise contre le droit des travailleurs à une retraite sûre.

(Article paru d'abord en anglais le 30 novembre 2016)

 

 

 

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