Le voyage du secrétaire américain à la Défense en Asie ouvre la voie à de nouvelles provocations anti-Chine

Le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter est arrivé aux Philippines hier en pleine escalade des tensions avec la Chine en mer de Chine méridionale. Il venait de New Delhi où il a eu des discussions de haut niveau pour consolider le partenariat stratégique des États-Unis avec l’Inde. La visite de Carter à Manille ouvrira la voie à de nouvelles provocations militaires contre la Chine dans les eaux contestées, voisines des Philippines.

En aval de la visite, un responsable américain de la Défense a dit à CNN qu’elle était « un message à la région sur notre engagement envers la paix et la stabilité, » ajoutant que les États-Unis considéraient « la mer de Chine méridionale comme d’un intérêt fondamental pour la sécurité américaine » et qu’ils étaient « fermement engagés » à garantir la sécurité de leur allié philippin.

Par engagement pour « la paix et à la sécurité, » Washington veut dire assurer la continuation de sa domination en Asie du Sud-Est et dans la région Indo-Pacifique en général, par tous les moyens, y compris militaires. Dans le cadre de son « pivot vers l’Asie » dirigé contre Pékin, l’administration Obama a signé un nouvel accord avec les Philippines fournissant quarante millions de dollars d’aide pour renforcer sa garde côtière; elle soutient la contestation judiciaire de celles-ci aux revendications territoriales chinoises devant la Cour permanente d’arbitrage de La Haye.

Lors de sa visite, Carter va devenir le premier secrétaire à la Défense des États-Unis à observer les exercices militaires conjoints annuels de Balikatan, actuellement en cours, auxquels participent environ 8.000 militaires des USA, des Philippines et d’Australie. Les manœuvres de cette année, comprennent d’inquiétants exercices navals conjoints, un débarquement amphibie et une simulation de reprise d’une île en mer de Chine méridionale, saisie par un pays non nommé.

Carter visitera deux des cinq bases militaires des Philippines dont les États-Unis avaient obtenu l'accès par l'Accord de coopération de défense renforcée (EDCA) devenu opérationnel cette année. Ces cinq bases comprennent la plus grande base militaire du pays, ainsi que quatre bases aériennes. Dans un geste particulièrement provocateur, l'une des bases sur l'itinéraire de Carter se trouverait juste à côté de la mer de Chine méridionale.

Au cours de la dernière année, Washington a condamné les activités de récupération de terres de la Chine en mer de Chine du Sud, les qualifiant d’« expansionnistes » et a exigé l'arrêt de la « militarisation » de la région par la Chine. En octobre puis en janvier, l’US Navy a envoyé un destroyer dans les limites territoriales de 12 milles marins entourant un îlot administré par la Chine avec le prétexte bidon d'assurer « la liberté de navigation. »

Plus tôt ce mois-ci, un responsable américain anonyme a dit à Reuters que le Pentagone prévoyait en avril une troisième opération de « liberté de navigation » en mer de Chine méridionale. Les États-Unis ont déjà rassemblé une puissance de feu navale considérable avec le porte-avions USS John C. Stennis, dans cette mer avec son escorte d’attaque. La marine japonaise y a également une forte présence. Elle y a expédié la semaine dernière le destroyer porte-hélicoptères JS Ise, en fait un porte-avions, afin de prendre part à des exercices conjoints avec la marine indonésienne.

Le but de ces opérations de « liberté de navigation » n’est pas, comme on le suggère souvent implicitement, d’assurer que les voies maritimes soient ouvertes au commerce international. C’est plutôt l’exact contraire. L’armée américaine est déterminée à faire en sorte que ses navires de guerre aient libre accès à ces eaux stratégiques dans le cadre des plans du Pentagone pour une guerre avec la Chine. Sa stratégie de bataille « AirSea » envisage un bombardement massif de la Chine continentale, ainsi qu’un blocus naval pour empêcher les navires chinois d’importer une énergie et des matières premières vitales d’Afrique et du Moyen-Orient par la mer de Chine méridionale.

Lundi, au Japon, Washington a accru la pression sur Pékin en obtenant une déclaration de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G-7 exprimant « une forte opposition à toute action unilatérale d’intimidation, de coercition ou de provocation qui pourrait modifier le statu quo et accroître les tensions » et demandant à tous les États de ne pas récupérer de terres ni construire d’avant-postes, y compris à des fins militaires. Ce fut la première fois que les puissances européennes – Royaume-Uni, France, Allemagne et Italie – signaient une telle déclaration.

Bien que la déclaration ne nommât pas la Chine, le message était évidemment dirigé contre Pékin et a provoqué sa colère. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a déclaré que la Chine était « très mécontente » de la décision du G-7 et a appelé à « respecter les efforts déployés par les pays de la région » et à « arrêter toutes paroles et actions irresponsables. » La Chine s’est opposée à plusieurs reprises aux interventions américaines en mer de Chine méridionale et a appelé à ce que les différends territoriaux soient réglés par des négociations bilatérales.

La déclaration du G-7 fait partie des préparatifs américains pour une nouvelle offensive diplomatique agressive une fois que la Cour permanente d’arbitrage aura apporté son jugement dans l’affaire des Philippines. Le jugement sera probablement rendu en mai et devrait favoriser ces dernières. La Chine ne reconnaît pas la compétence de la cour. Washington se saisira sans aucun doute de la décision afin de dénoncer comme « illégales » les activités chinoises en mer de Chine méridionale même si les États-Unis n’ont jamais ratifié la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, sur laquelle s’appuie le recours en justice des Philippines.

Au cours des cinq années écoulées depuis que la secrétaire d’État Hillary Clinton a déclaré que les États-Unis possédaient « un intérêt national » en mer de Chine méridionale, l’Administration Obama a transformé ces eaux stratégiques en dangereuse poudrière en vue d’une guerre avec la Chine. Maintenant, Obama est sous pression pour intensifier plus encore la confrontation avec Pékin.

Écrivant dans le Financial Times lundi, le sénateur républicain John McCain a dit que la Chine avait agi « moins en ‘acteur responsable’ dans l'ordre fondé sur des règles de la région Asie-Pacifique et plus comme une brute. Jusqu'à présent, la politique américaine n'a pas réussi à s’adapter à l'échelle et à la vitesse du défi auquel nous sommes confrontés. »

McCain a demandé une expansion spectaculaire des activités militaires américaines en mer de Chine méridionale dont l’envoi immédiat d’un « groupe porte-avions d’attaque [pour] patrouiller dans les eaux près de Scarborough Shoal afin d’afficher visiblement la puissance de combat des États-Unis » dans le cadre des manœuvres de Balikatan. « Si la Chine déclare ADIZ [Zone d’identification de défense aérienne] la mer de Chine méridionale, les États-Unis doivent être prêts à contester immédiatement cette affirmation en faisant voler des avions militaires à l’intérieur de la zone touchée en suivant les procédures normales, » écrit-il.

Le sénateur poursuit ainsi: « Il est aussi temps pour les États-Unis d’aller au-delà des gestes symboliques et de lancer une robuste ‘campagne pour la liberté des mers’. Ils devraient augmenter le rythme et la portée du programme de liberté de navigation pour contester les revendications maritimes de la Chine, ainsi que le nombre de jours où les navires de guerre américains naviguent dans les eaux de la mer de Chine méridionale. Les patrouilles et les exercices conjoints devraient être élargis, et les patrouilles de surveillance de l’océan pour recueillir des renseignements dans tout le Pacifique occidental doivent continuer. »

Ce que McCain propose ne peut qu’entraîner une guerre avec la Chine – une politique délibérée de confrontations irresponsables et d’escalade visant à forcer Pékin à capituler devant les exigences de Washington, qui finira par conduire à un affrontement entre puissances nucléaires. Il indique clairement que les États-Unis devraient se préparer en conséquence par un « renforcement de leur position militaire dans la région », conformément à un rapport du Centre d’études stratégiques et internationales au Congrès. Ce rapport recommande un renforcement militaire accéléré en Asie, ainsi que des investissements massifs dans de nouveaux systèmes d’armes pour mener une guerre avec la Chine.

McCain, qui dirige la Commission des services armés du Sénat et a des liens étroits avec le Pentagone, représente l’aile la plus militariste du Parti républicain. Mais ce qu’il dit explicitement est déjà implicite dans le « pivot » ou « rééquilibrage » vers l’Asie de l’administration Obama, qui implique le redéploiement dans la région de 60 pour cent des moyens aériens et navals du Pentagone, le renforcement d’un réseau d’alliances militaires et la mise en œuvre d’actions de plus en plus provocantes.

(Article paru d’abord en anglais le 13 avril 2016)

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