L’offensive xénophobe s'intensifie après l’attentat terroriste à Berlin

Le contexte de l’attentat contre un marché de Noël à Berlin reste flou, mais les politiciens et les médias l’utilisent comme prétexte pour monter une offensive en Allemagne et partout en Europe.

Faute de preuves tangibles qu'il avait lancé le poids-lourd sur la foule place Breitscheidtplatz, en plein centre de Berlin, la police a dû relâcher mardi un réfugié de 23 ans, originaire du Pakistan. Les recherches se concentrent sur un jeune Tunisien, qui en vit Allemagne depuis juillet 2015 et que les services de sécurité ont placé sous surveillance parce qu’il serait lié à l’Etat islamique.

Selon la presse, les enquêteurs ont trouvé une pièce d’identité d’Anis Amri sous le siège du conducteur du camion lancé sur la foule à la Breitscheidtplatz. La raison pour laquelle ils ne l’ont découverte qu’une journée et demi plus tard, bien qu’ayant précédemment examiné le véhicule pour prélever les traces de DNA du premier suspect, reste tout aussi énigmatique que la raison pour laquelle un auteur en fuite laisserait sa carte de visite sur les lieux du crime.

Selon Ralf Jäger, le ministre de l’Intérieur de Rhénanie-du-Nord/Westphalie, le Land où vivait Amri, la participation de cet homme à l’attentat n’était « pas encore du tout élucidée. »

Sur la base des seules informations disponibles, on ne peut dire rien de définitif sur les origines de l’attentat. Un contexte islamique ne peut pas être exclu ; une provocation d’extrême-droite non plus. Il faut se rappeler que l’attaque perpétrée par un jeune étudiant de 18 ans à Munich l’été dernier avait immédiatement été qualifiée d’acte terroriste islamiste, jusqu’à ce qu’il s’avère que le délinquant était un extrémiste de droite.

Ceci n’empêche pas les politiciens et les médias d’utiliser l’attentat de Berlin pour lancer une campagne concertée contre les réfugiés et exiger un renforcement massif de l’appareil d’Etat. Le parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) et l’Union chrétienne-sociale (CSU), l'allié bavarois de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) au pouvoir, mènent la meute.

Ils ciblent directement ou indirectement la présidente du CDU, Angela Merkel, qui briguera, aux élections de l’automne prochain, un quatrième mandat de chancelière d’Allemagne. Merkel a depuis longtemps renoncé à sa posture plus favorable aux réfugiés fuyant les guerres impérialistes en Irak, en Syrie, en Libye, et dans d’autres pays de la région, pour basculer vers le refoulement et de la déportation. Toutefois, ses critiques continuent de l’accuser d’être « molle » face au « problème » des réfugiés.

Immédiatement après l’attentat, Marcus Pretzell, un politicien influent de l’AfD, a écrit sur son compte Twitter : « Ce sont les morts de Merkel ! » Mercredi soir, l’AfD a organisé une veillée devant la chancellerie à laquelle allaient également participer des organisations d’extrême-droite dont Pegida, les Identitaires (Identitären) et le NPD.

Mardi, le ministre-président bavarois, Horst Seehofer (CSU), a annoncé à Munich : « C'est notre devoir envers les victimes, leurs familles et toute la population que de repenser et de réajuster l’ensemble de notre politique en matière d’immigration et de sécurité. »

Le ministre bavarois de l’Intérieur, Joachim Herrmann, a affirmé au micro de la radio Deutschlandfunk que les délinquants étaient « des gens qui étaient arrivés en Allemagne dans le cadre du flux de réfugiés. » Il a ajouté, « les risques sont évidents. »

Lors du talk-show « Maischberger » diffusé mardi par l’ARD, on a réclamé un renforcement massif de l’Etat. Shlomo Shpiro, un « expert » israélien en terrorisme, a qualifié l’attentat de Berlin de « 11 septembre allemand ». Aux Etats-Unis, a-t-il dit, les gens avaient du jour au lendemain pris conscience de la menace terroriste. « Les solutions », a-t-il dit, « sont la police, le renseignement, la politique sécuritaire mais aussi sociale ».

Il a réclamé la suppression des« lois, des règlementations et des structures dépassées » ancrées dans la constitution allemande suite à l'expérience du régime nazi. Shpiro a dit qu’il faudrait centraliser l'appareil de surveillance ainsi que l’appareil policier. Il a avoué que le « renseignement a mauvaise réputation en Allemagne – mots-clés Stasi, Gestapo, etc. » Mais, a-t-il dit, l’époque où on s'épanchait sur les crimes de ces organisations est « révolue. »

Klaus Bouillon, président de la conférence des ministres de l’Intérieur, a réclamé des « solutions simples » face au terrorisme qui « se poursuivra certainement. » Il a ajouté, « Il nous faut donc renforcer la police, de nouvelles formes d’organisation, et plus d’armes. Nous devons nous demander s’il nous faut légiférer afin d’aider les autorités chargées des enquêtes et s'il faut contrôler davantage les nouveaux médias ? »

Les Verts et le parti La Gauche (Die Linke) participent à cette campagne. Lors de l’émission de Maischberger, la présidente du groupe des Verts au Bundestag, Katrin Göring-Eckardt, a attaqué Shpiro et Bouillon sur leur droite. Elle a critiqué l'absence de centralisation du renseignement, qui selon elle aurait dû se faire il y a longtemps. Le Vert Boris Palmer a exigé au micro de la radio allemande Deutschlandfunk : « Il faut plus de déportations. »

Die Linke (La Gauche) exige quant à elle depuis longtemps davantage de policiers.

Partout en Europe, les partis de droite et les gouvernements se servent de l’attentat de Berlin en guise de confirmation de leur politique autoritaire et xénophobe.

Le ministre tchèque des Finances, Andrej Babis, un homme d’affaires millionnaire, a dit que la politique de Merkel était « responsable de cet acte terrible. (...) C’est elle qui a laissé entrer en Allemagne et dans toute l’Europe des flux incontrôlés de migrants sans papiers, sans savoir qui ils étaient vraiment. » Les migrants n’ont « pas de place » en Europe, a-t-il souligné.

Le politicien d'extrême-droite néerlandais Geert Wilders a publié une image de Merkel avec les mains couvertes de sang et a rendu les « lâches dirigeants de l’Europe » responsables d’un « tsunami » d’attaques terroristes islamiques.

L’ancien dirigeant d’UKIP (Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni) Nigel Farage a publié sur Twitter : « Terribles nouvelles de Berlin mais ce n'est pas surprenant. De tels événements seront l’héritage de Merkel. »

Le dirigeant du parti au pouvoir PiS, Jaroslaw Kaczynski, a promis : « Nous défendrons la Pologne. » Le ministre de l’Intérieur du pays, Mariusz Blaszcak, a signalé : « Si l’ancien gouvernement était encore au pouvoir, nous aurions plusieurs milliers, voire 10.000 immigrés islamistes dans le pays. Alors, le risque serait grand. Il s’agit toujours d’une ‘lutte des civilisations’. » Il a ajouté que ce n’était « pas par hasard qu’on a ciblé un marché de Noël. »

Le rédacteur du journal Die Zeit, Josef Joffe, exultait dans les pages du journal britannique Guardian : « Finalement, le cocon a éclaté pour de bon. Les Allemands, préoccupés en permanence de la protection des données, accepteront bientôt une surveillance intensifiée par nos services de renseignement et ceux de nos alliés… Dorénavant, l’Allemagne ... montrera peut-être un peu plus de gratitude à la NSA [américaine], au GCHQ [anglais] et à la DGSE [le renseignement extérieur français]. »

Le militarisme allemand en profiterait aussi, a-t-il poursuivi. « Le pacifisme traditionnel de la nation suite à la Seconde Guerre mondiale perd son prestige face à l’expansionnisme de Poutine qui empiète sur les frontières orientales de l’OTAN, et Donald Trump rejettera l’alliance traitée ‘d'obsolète’. »

Il conclut: « Mais avant tout, s’il se révélait que l’auteur du crime est un réfugié, on révisera fondamentalement la ‘porte ouverte’ de Merkel aux réfugiés. » Cette politique était « un grand geste moral résultant du vilain passé de l’Allemagne – un acte d’expiation historique. » Mais, a-t-il ajouté, « Les intentions les plus nobles tournent mal lorsque le terrorisme légitime des partis anti-immigrants et isolationnistes de droite et d’extrême-gauche. »

Rien n’indique que la campagne xénophobe bénéficie d’un soutien significatif. L’atmosphère à Berlin est calme. La plupart des personnes interviewées expriment leur tristesse et l’espoir que l’attentat n’empoisonnera pas le climat politique et ne donnera pas de nouvel essor à l’extrême-droite. En visant à politiser cet horrible événement à peine 14 heures plus tard, Seehofer a suscité une indignation généralisée.

On assiste à une campagne délibérée des cercles dirigeants, qui voient dans l’attentat contre le marché de Noël un prétexte idéal. C’est en cela, quelles que soient les affirmations de l’« expert » en terrorisme, Shpiro, que réside le véritable parallèle au 11 septembre.

L’attentat à New York et à Washington, dans lequel le renseignement américain a joué un rôle qui reste non élucidé, a fourni un prétexte aux guerres impérialistes au Moyen-Orient, par lesquelles l'impérialisme américain a cherché à défendre son hégémonie mondiale, tout en érigeant un vaste appareil de surveillance en vue de réprimer la classe ouvrière. Le produit achevé de ce processes est l'élection de Donald Trump, dont le gouvernement est composé de membres de l’oligarchie financière et de l’armée.

Les élites dirigeantes d’Europe suivent à présent la même voie. Elles réagissent ce faisant aux tensions sociales grandissantes et à l’éclatement de l’Union européenne. Les conflits entre et au sein des partis bourgeois sont de nature purement tactique. Tous les partis traditionnels s’accordent sur les grandes lignes politiques : le militarisme et la contre-révolution sociale.

(Article original paru le 22 décembre 2016)

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