Royaume-Uni : Corbyn protège Tony Blair d’une demande qu’il rende compte de ses mensonges sur la guerre en Irak

Dans un acte de lâcheté politique, le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, s’est absenté mercredi du débat sur une motion parlementaire appelant à une enquête sur l’ancien Premier ministre Tony Blair pour avoir « trompé » le Parlement sur la guerre en Irak.

Depuis son élection comme chef du Parti travailliste sur une plate-forme opposée à l’austérité et à la guerre, Corbyn a capitulé devant les bellicistes du Parti travailliste au parlement à chaque moment critique. Cela a atteint son nadir hier.

Une motion présentée par un député du Parti national écossais (SNP), Alex Salmond, a déclaré que l’enquête Chilcot sur la guerre en Irak, publiée il y a quatre mois, « a fourni des preuves substantielles d’informations trompeuses présentées par le Premier ministre de l’époque et d’autres intervenants sur le développement de la politique du gouvernement à l’égard de l’invasion de l’Irak, comme le montre clairement le contraste entre sa correspondance privée avec le gouvernement des États-Unis et les déclarations publiques au Parlement et au peuple ».

La motion a demandé qu’une sous-commission parlementaire – la Commission de l’administration publique et des affaires constitutionnelles – « procède à un nouvel examen spécifique de ce contraste dans la politique publique et privée et à la présentation des renseignements, puis à faire rapport à la Chambre sur les mesures à prendre qu’il estime nécessaire et approprié afin d’aider à prévenir toute répétition de cette série désastreuse d’événements ».

Sur un parlement de 650 sièges, seulement 45 députés, la plupart du SNP, ont signé la motion de Salmond. Deux députés travaillistes, Kate Hoey et Kelvin Hopkins, l’ont signé.

Le SNP n’a pas présenté la requête pour défendre des principes. Salmond s’exprime au nom de sections de l’élite politique qui craignent que les ambitions de Blair de mener une campagne pro-UE menacent de discréditer un projet dans lequel ils sont intimement impliqués. Dans une déclaration avant le débat Salmond a dit : « À une époque où Blair planifie son retour politique, il est grand temps que ce Parlement et ses comités, enfin, amènent cette tache sombre sur la politique étrangère du Royaume-Uni à une conclusion. »

Cependant, malgré les intentions de Salmond, la motion était exacte dans son accusation que Blair a menti systématiquement afin d’ouvrir la voie à la guerre avec l’Irak. Cela a placé de nouveau Corbyn dans une situation où il devrait soit prendre une position sur des principes qu’il prétend défendre, soit faire encore un compromis pourri avec l’aile Blairiste de son parti.

Corbyn avait déclaré en juillet au sujet de Chilcot : « Nous savons maintenant que la Chambre a été induite en erreur à la veille de la guerre et que la Chambre doit maintenant décider de traiter cette question 13 ans plus tard, comme toutes les personnes qui ont pris les décisions qui ont été mises à nu dans le rapport Chilcot doivent faire face aux conséquences de leurs actes, quels qu’ils soient ».

Fidèle à lui-même, Corbyn a contribué à faire en sorte qu’il n’y aurait pas de conséquences pour Blair et d’autres. Avant le débat, la majorité Blairiste du Parti travailliste au Parlement (PLP) aurait exigé un three-line whip [ordre du coordonnateur du groupe parlementaire d’être présent à la session sous peine de sanctions graves, ndt], obligeant les députés travaillistes à assister au débat et à voter contre la motion. The Guardian a rapporté que même les députés travaillistes qui avaient voté contre la guerre en Irak en 2003 étaient agressifs dans leur défense de Blair maintenant. Des sources ont déclaré que le chief whip [coordonnateur de groupe], Nick Brown, avait apparemment « demandé un vote indicatif sur le point de vue des députés » lors d’une réunion du PLP, « et le député, John Cryer, le président de gauche du PLP, qui s’est opposé à la guerre en Irak, a condamné la motion [du SNP] à de grands applaudissements ».

Un porte-parole du Parti travailliste a déclaré à The Independent que, au lieu de cela, il n’y aurait qu’un one-line whip, ce qui signifie que la présence et le vote contre ne sont pas obligatoires. Selon une source citée par le même journal, le Cabinet fantôme avait néanmoins décidé de « s’opposer » à la motion du SNP. Les porte-parole de Corbyn ont déclaré qu’il allait manquer le vote parce qu’il était « engagé ailleurs ».

En quoi consistait cet engagement vital, cela n’a pas été révélé. Mais cela n’a pas empêché Corbyn d’assister à l’heure des questions hebdomadaires du Premier ministre immédiatement avant.

La sortie de Corbyn était un prologue approprié pour les événements dégoûtants qui suivirent.

Seulement une cinquantaine de députés ont assisté au débat, avec ce nombre constamment en baisse au cours de la session de trois heures. À un moment donné, moins de 10 députés conservateurs sont restés sur les bancs du gouvernement, avec à peine plus du côté des travaillistes. Pendant trois heures, divers députés travaillistes et conservateurs se sont relayés pour féliciter un criminel de guerre non accusé et pour dénoncer toute idée que Blair, ou toute autre personne dans les cercles dirigeants qui ont soutenu la guerre avaient à répondre à quoi que ce soit.

Le discours principal défendant Blair a été donné par Fabian Hamilton, ministre de la Défense et ministre des Affaires étrangères dans le Cabinet fantôme travailliste. Hamilton est signataire du groupe « Manifesto de Euston » pro-guerre et membre de la société néoconservatrice Henry Jackson. Il a reçu son poste ministériel actuel dans le cadre des efforts de Corbyn pour « faire un effort vers » ses adversaires. Hamilton battait les tambours de guerre en s’opposant à la motion indiquant : « Avec l’instabilité croissante dans tout le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est, et au-delà, nous pouvons faire face aux plus grands défis demain, et c’est pourquoi je ne peux pas appuyer la motion ». Il n’a pas pensé « pour une seconde » que Blair « agissait de mauvaise foi ».

Phil Wilson, qui a succédé à Blair dans son siège de Sedgefield, a déclaré qu’il était « fier » d’être qualifié de Blairiste malgré le fait que c’était « un terme injurieux » et que toute la Chambre devrait être « fière de Tony Blair ».

Le député travailliste Ben Bradshaw a déclaré : « Je suis ravi que mon propre parti ait assez de cette comédie », en concluant : « L’histoire va prouver que notre ancien premier ministre a raison » sur l’Irak.

À un moment donné, le travailliste Ian Austin a crié à Salmond : « Asseyez-vous ! Nous avons assez entendu de vous. Asseyez-vous ! »

La motion, lorsqu’elle a été finalement votée, a été contestée par 439 députés, contre 70 en faveur. Seulement cinq députés travaillistes ont appuyé la motion avec 158 voix contre.

Les événements du mercredi doivent servir d’un avertissement gravissime.

Corbyn ne défend pas seulement Blair l’individu, il ne s’agit pas non plus de maintenir uniquement son alliance pourrie avec la droite du Parti travailliste. Son comportement découle de la nécessité de préserver le Parti travailliste lui-même en tant que parti de guerre.

Corbyn peut, à l’occasion, appeler à s’opposer à tel ou tel élément de l’agenda d’austérité du gouvernement, mais sur la question fondamentale de la guerre, il agit en tout temps afin de défendre les exigences stratégiques de l’impérialisme britannique. En 2003, Blair a agi en tant que représentant politique de la classe dirigeante britannique, qui, indépendamment de l’allégeance de parti, continue de considérer son alliance militaire avec Washington comme le seul moyen par lequel elle peut s’assurer sa part des marchés mondiaux et des ressources stratégiques. C’est pourquoi les éloges de Blair ont été approuvés par le dirigeant conservateur Michael Gove, qui a offert son soutien aux travaillistes qui ont averti que l’accent continu mis sur l’Irak empêchait l’impérialisme britannique d’intensifier ses interventions militaires en cours.

Gove a insisté sur l’idée qu’« à aucun moment, Blair n’avait tenté délibérément de tromper cette Chambre ». Les allégations selon lesquelles il avait convenu à l’avance avec le président américain George W. Bush de partir en guerre étaient fausses selon lui.

Toujours selon lui, l’inaction britannique en Syrie avait fait suite à la guerre en Irak et avait permis à Assad, la Russie et « l’Iran antisémite » de « déchaîner l’enfer sur des gens innocents d’Alep ». C’était une « négligence du devoir » de regarder en arrière plutôt que d’accepter « la responsabilité de nous tous à faire quelque chose pour aider les gens d’Alep qui souffrent maintenant ».

(Article paru d’abord en anglais le 1er décembre 2016)

À lire également :

Le rapport Chilcot sur l’Irak : Un crime de guerre de l’impérialisme britannique et américain

[8 juillet 2016]

Loading