Perspectives

Trump choisit un magnat du pétrole comme secrétaire d’État

Le choix par Donald Trump du PDG d’ExxonMobil, Rex Tillerson, comme candidat au poste de secrétaire d’État est une étape politique clé. Pour la première fois de l’histoire des États-Unis, un patron d’entreprise – et pas n’importe quel chef d’entreprise, mais le PDG de l’une des sociétés les plus importantes et les plus profitables au monde – est appelé à diriger la politique étrangère du gouvernement américain. Rien ne pourrait mieux définir l’objectif central du gouvernement Trump : accroître les bénéfices et la richesse de la ploutocratie américaine.

Concrètement, le Parti démocrate a réagi à ce choix en accusant Tillerson d’avoir des liens avec la Russie, pas pour son rôle de PDG d’ExxonMobil. Tout aussi inféodés aux milliardaires que les Républicains, les Démocrates se sont emparés de la kyrielle de relations d’affaires de Tillerson avec la Russie, la première nation productrice de pétrole du monde, pour renforcer leur campagne au sujet des liens supposés de Trump avec le président russe Vladimir Poutine.

Cette campagne tourne autour de fausses affirmations comme quoi le « piratage russe » aurait dominé les élections présidentielles américaines et aurait contribué à ce que Trump remporte de justesse le collège électoral. Comme le World Socialist Web Site l’a expliqué, les affirmations concernant une ingérence russe dans l’élection sont le résultat au sein de l’élite dirigeante américaine d’un conflit extrêmement brutal relatif à la politique étrangère et qui est motivé par la défaite stratégique subie par l’impérialisme américain en Syrie et les divisions sur la question de savoir si le renforcement militaire mondial de Washington doit cibler en premier la Russie ou la Chine.

La campagne anti-russe touche dans une certaine mesure tous les partis. Il est frappant qu’alors que la plupart des démocrates au Sénat ont exprimé des réserves sur la désignation de Tillerson, les dénonciations les plus furibondes ont émané des républicains proches du Pentagone.

Le sénateur John McCain a déploré le fait que Tillerson a été décoré en 2011 par le président russe Poutine après avoir conclu un important accord pétrolier avec le géant pétrolier russe Rosneft. « S’il obtient d’un boucher le prix de l’amitié, j’estime que c’est une question qu’il faut examiner », a-t-il dit dimanche sur la chaîne américaine Fox News.

Le sénateur de Floride Marco Rubio qui s’était opposé à la nomination de Trump comme candidat à l’élection présidentielle, avait initialement exprimé un avis similaire sur Twitter en écrivant, « Être un “ami de Vladimir” n’est pas un atout que j’attends d’un #SecretaryOfState. »

Les éditoriaux du New York Times et du Washington Post s’en sont pris à la nomination en allant dans le même sens. Le Times a écrit : « En désignant M. Tillerson à la direction du Département d’État et en faisant du Lieutenant-général Michael Flynn son conseiller à la sécurité nationale, M. Trump aura doté deux postes hiérarchiques les plus élevés à la sécurité nationale d’apologistes pro-russes. »

Le Post a averti que « le choix de [Tillerson] pourrait laisser augurer une trahison par M. Trump des intérêts américains en Europe, au Moyen-Orient et ailleurs. » Le journal a suggéré de forcer Trump à divulguer « tout investissement ou prêt que ses entreprises ont reçus de firmes ou de personnes russes. »

Bien plus révélateurs sont les aspects de la nomination de Tillerson que les démocrates et les éditorialistes libéraux préfèrent passer sous silence, dont des conflits d’intérêts flagrants. Le secrétaire d’État Tillerson jouerait un rôle crucial dans de nombreux domaines où il est question de profits énormes pour ExxonMobil :

* L’oléoduc Keystone qui relierait les sables bitumeux au Canada aux raffineries américaines en permettant ainsi à Imperial Oil of Calgary (détenu majoritairement par Exxon) d’accéder au marché mondial.

* En Irak où Exxon a conclu des contrats lucratifs avec le gouvernement régional kurde pour l’exploitation de champs pétroliers dans la partie nord du pays au mépris de l’opposition du gouvernement central à Bagdad qui est appuyé par les États-Unis.

* Au Venezuela, qui est traîné devant les tribunaux internationaux par ExxonMobil pour des procès où il réclame plusieurs milliards de dollars.

* au Golfe persique, où ExxonMobil développe certains de ses plus importants projets, notamment en Arabie saoudite et au Qatar.

* Au Mexique qui, sous les fortes pressions du gouvernement américain, vient tout juste d’ouvrir son énorme industrie pétrolière aux investissements étrangers, ExxonMobil est un acteur incontournable.

Le gouvernement Trump considère que tout ceci ne représente pas des conflits mais plutôt des atouts. L’expérience de Tillerson à faire pression sur d’autres pays et à acheter des présidents et des premiers ministres est précisément ce qu’on attend du Département d’État. C’est pourquoi il est soutenu par des figures au sein de l’establishment de la sécurité nationale (qui entretient d’étroits liens avec l’industrie pétrolière) telles les anciens secrétaires d’État James Baker et Condoleezza Rice, l’ancien vice-président, Dick Cheney et l’ancien secrétaire à la Défense, Robert Gates.

La nomination de Tillerson est, dans un autre sens, aussi une étape majeure. Elle parachève le gouvernement Trump qui est dominé par des multimillionnaires et des milliardaires. Les milliardaires commencent avec Trump lui-même. Il a été rejoint par le secrétaire au Commerce Wilbur Ross (qui s’est bâti une fortune de 3 milliards de dollars par le rachat et la fermeture de mines de charbon, d’aciéries et d’équipementiers automobiles), par la secrétaire à l’éducation, Betsy DeVos (qui fait partie des héritiers du géant du marketing Amway) ainsi que par Linda McMahon au poste de gestionnaire de la Small Business Administration, (la milliardaire copropriétaire de la World Wrestling Entertainment). Le suppléant de Ross au Département du Commerce est également un milliardaire, Todd Ricketts, héritier de la société américaine de courtage en ligne TD Ameritrade et propriétaire du club de base-ball des Chicago Cubs.

Des banquiers et des PDG à peine moins riches s’associent à ces milliardaires : le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin (50-100 millions de dollars) et Gary Cohn (300 millions de dollars) qui dirigera le Conseil national économique, tous deux banquiers issus de Goldman Sachs ; le ministre du travail, Andrew Puzder (qui détient au moins 30 millions de dollars en actions du groupe de fast-food CKE Restaurants (chaînes de restaurants Carl’s Jr et Hardee’s) ; et finalement Tillerson dont la fortune personnelle dépasse de loin les 300 millions de dollars, dont 238 millions de dollars en actions d’ExxonMobil et une rente évaluée à plus de 70 millions de dollars.

Il n’existe aucun précédent dans l’histoire des États-Unis d’un président sélectionnant un gouvernement affichant une telle concentration de richesses. Ceci prouve que le gouvernement Trump n’est pas un hasard historique mais bien le point culminant d’un long processus politique lors duquel une infime aristocratie financière parasitaire a fini par dominer toutes les institutions américaines. La société américaine est en train d’étouffer sous la poigne des ultra-riches.

Outre les milliardaires, Trump a fait entrer au gouvernement des figures politiques d’extrême-droite et le signe distinctif est le démantèlement des programmes sociaux et des agences de réglementation qu’ils auront à superviser. Celles-ci comprennent le député Tom Price, un opposant à Medicare et Medicaid qui dirigera le Département de la Santé ; l’ancien candidat présidentiel d’ultra-droite, Ben Carson, au poste de secrétaire au Logement et au Développement urbain ; l’ancien gouverneur du Texas, Rick Perry, qui sera en charge du Département de l’énergie et pour diriger l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA), le procureur général d’Oklahoma, Scott Pruitt, qui est actuellement en train de poursuivre en justice l’EPA pour bloquer des règles antipollution.

Pour les trois positions clé à la sécurité nationale, Trump a choisi trois généraux à la retraite : Michael Flynn comme conseiller à la sécurité nationale, James Mattis pour diriger le Département à la Défense et Robert Kelly pour le Département de la Sécurité intérieure.

Il n’y a rien de fortuit dans tout cela. Le gouvernement Trump est le regroupement d’oligarques milliardaires, d’idéologue d’extrême-droite et de hauts gradés. Il s’agit, au plein sens du terme, du gouvernement le plus réactionnaire et le plus antidémocratique de l’histoire des États-Unis.

(Article original paru le 14 décembre 2016)

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