Un chef syndical québécois prend la tête d’un nouveau parti populiste de droite

Bernard «Rambo» Gauthier, chef syndical en vue de la FTQ-Construction sur la Côte-Nord, a pris la tête d'un nouveau parti populiste de droite au Québec, Citoyens au pouvoir, qui combine un discours anti-immigrants à des dénonciations démagogiques de «l’establishment».

En conférence de presse la semaine dernière, Gauthier s’en est pris aux «nouveaux arrivants» en disant «qu’à un moment donné, ça allait bien, mais c'est rendu qu'on est en train de l'échapper». Il a assimilé les immigrants à des «envahisseurs» et déclaré que les accommodements raisonnables envers les minorités, «on n'en veut pas nous autres».

Disant avoir tiré des leçons de l'élection de Donald Trump aux États-Unis, Gauthier a dénoncé les partis traditionnels et promis de «redonner le pouvoir au peuple». Faisant référence aux inégalités sociales et à la misère grandissante, il a déclaré: «tout aux plus riches et rien aux plus pauvres, il faut que ça arrête ça, ostie!» Il a également mis en garde contre le risque d’une «guerre civile».

Gauthier se décrit comme un souverainiste québécois qui est déçu du Parti québécois. Il est trop tôt pour savoir si son nouveau parti arrivera à s’établir sur la scène politique québécoise. Son apparition reflète néanmoins une tendance internationale qui a vu des partis de droite et d’extrême-droite profiter de la profonde crise économique et sociale causée par le capitalisme en faillite, et du discrédit des partis traditionnels de la classe dirigeante, pour accroître leur popularité en adoptant une posture d’opposition aux coupes sociales et aux mesures d’austérité.

Le facteur décisif dans l’émergence du populisme de droite a été le rôle joué par les syndicats pro-capitalistes, les partis officiels supposément «de gauche» comme le parti travailliste en Angleterre ou le parti socialiste en France, et des éléments de la pseudo-gauche comme Syriza en Grèce, pour imposer l’austérité capitaliste et appuyer le tournant militariste de l’élite dirigeante. Au Québec, le rôle clé a été joué par les syndicats qui subordonnent les travailleurs depuis des décennies au Parti québécois, un parti de la grande entreprise de plus en plus basé sur le chauvinisme québécois.

Tout comme la victoire électorale de Trump a mis à nu la crise terminale du système des deux partis aux États-Unis, et la montée des partis xénophobes en Europe celle de l’Union européenne, l’entrée en scène de Gauthier avec son discours ultra-nationaliste et ouvertement anti-immigration représente une condamnation de toute la classe politique québécoise et canadienne.

Le Parti québécois et le Parti libéral, les deux partis de la grande entreprise ayant exercé le pouvoir en alternance au Québec, ont mené au cours des dernières décennies un assaut dévastateur contre les conditions de vie de la classe ouvrière.

Au nom du «déficit-zéro» ou sous le prétexte qu' «il n'y a pas d'argent», on réduit drastiquement les salaires, on pille les régimes de retraite et on supprime les avantages sociaux. Les services publics, y compris la santé et l'éducation, sont en sous-financement chronique et une place de plus en plus importante est laissée à l'entreprise privée pour soi-disant «combler le manque». Au même moment, des sommes toujours plus importantes sont accaparées par une petite minorité au sommet de la pyramide.

Ce programme de guerre de classe a été pleinement appuyé par la bureaucratie syndicale au sein de laquelle Gauthier a fait carrière. Depuis des décennies, à chaque fois qu’une opposition a fait surface parmi les jeunes ou la classe ouvrière, la direction syndicale manœuvre pour étouffer leurs luttes. Cela s'est vu lors de la grève étudiante militante de 2012 lorsque la bureaucratie syndicale a canalisé l'opposition populaire derrière l'élection du Parti québécois. En 2015, une vaste mobilisation des travailleurs du secteur public québécois a été de nouveau sabotée par les chefs syndicaux, qui ont brandi la menace d’une loi spéciale pour forcer leurs membres à accepter des concessions majeures.

C'est dans ce contexte de suppression de la lutte des classes par la bureaucratie syndicale que l'élite dirigeante cherche depuis une bonne décennie à empoisonner l'opinion publique avec du venin anti-immigrants, particulièrement anti-musulmans, afin de semer de la confusion parmi les travailleurs sur la source réelle des attaques contre leurs conditions de vie – à savoir le capitalisme pourrissant.

Ce sont ces conditions politiques, au milieu de tensions sociales grandissantes, qui permettent à des personnages comme Gauthier de faire leur apparition pour chercher à combler le vide politique et, sous le couvert d’un langage «radical», canaliser encore plus la colère populaire vers des voies réactionnaires et xénophobes.

Le discours anti-immigrants de Gauthier correspond pleinement aux politiques de la bureaucratie syndicale dont il est membre. En plus d'étouffer l'opposition des travailleurs aux mesures d’austérité, les chefs syndicaux ont appuyé ouvertement ou tacitement le tournant de l'establishment vers le chauvinisme – le tollé autour des accommodements raisonnables, la Charte des valeurs québécoises du Parti québécois pour interdire aux employés de l'État de porter des signes religieux et aux femmes portant le voile intégral de recevoir des services publics, ou encore le projet de loi 62 du Parti libéral sur la neutralité religieuse, pour ne nommer que les principales mesures anti-démocratiques.

C’est au sein de la bureaucratie syndicale, notamment parmi ses anciens hauts dirigeants ayant formé la faction SPQ-Libre (Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre) qui évoluait au sein du Parti québécois, qu’on retrouve les plus fervents partisans du tournant identitaire de l’élite dirigeante québécoise. L’accueil enthousiaste d’un discours ultra-nationaliste aux accents xénophobes est le résultat de la politique que mène la bureaucratie syndicale depuis des décennies – une politique basée sur la promotion du nationalisme québécois pour diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada, et du corporatisme économique pour préserver ses propres intérêts économiques en soutenant la construction et le développement d’entreprises québécoises avec qui elle travaille étroitement.

Québec solidaire, le parti de la pseudo-gauche au Québec qui désire se tailler une place dans l'establishment, a aussi participé à cette campagne anti-immigrants en qualifiant le «débat» sur l’«identité québécoise» de «légitime», même s’il allait parfois un peu trop loin. Françoise David, députée et porte-parole du parti, a déclaré que «même sous la torture», jamais elle ne dirait que le PQ est islamophobe. Et Amir Khadir, autre député et dirigeant de QS, s’est déclaré prêt à accueillir Gauthier dans les rangs de QS en disant qu’il est «victime du discours des élites qui véhiculent des préjugés [sur l’immigration]».

Il est significatif que Gauthier, de son côté, ait qualifié Québec solidaire de représentant du statu quo. En effet, QS se dit maintenant ouvertement prêt à faire une alliance avec le PQ pour «battre les Libéraux» aux prochaines élections. Cette alliance ne serait pas une alternative de «gauche» aux Libéraux de Philippe Couillard, mais un nouveau mécanisme pour imposer des mesures anti-ouvrières.

Aux côtés de Gauthier, lors de la conférence de presse, se trouvait Frank Malenfant, ancien chef du Parti des sans parti qui est devenu Citoyens au pouvoir. Dans des vidéos sur YouTube, Malenfant parle d’un parti «sans chef» qui se réclame de la démocratie directe, un concept politiquement rattaché aux anarchistes, auquel Gauthier a également fait référence. Derrière les conceptions individualistes et subjectives des courants anarchistes, se cache une acceptation du capitalisme et une hostilité à tout effort de la classe ouvrière pour établir son propre parti politique et imposer sa propre solution à la crise du capitalisme.

C’est précisément cette hostilité à l’indépendance politique des travailleurs, combinée à un virulent nationalisme québécois et un discours anti-immigrants des plus toxiques, qui caractérise le nouveau véhicule politique du syndicaliste Bernard «Rambo» Gauthier.

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