La Turquie, la Russie et l’Iran signent un accord sur la Syrie après l’assassinat de l’ambassadeur russe en Turquie

Mardi, des dirigeants russes, turcs et iraniens ont signé à Moscou une déclaration qui, selon eux, annonce la fin de la guerre lancée par Washington en Syrie. Après la reprise d'Alep par l'armée syrienne, appuyée par Moscou contre des milices islamistes armées par les Etats-Unis, ces trois pays continuent à améliorer leurs relations, malgré l'assassinat lundi de l’ambassadeur de la Russie en Turquie, Andrei Karlov.

« Aujourd’hui, les experts travaillent sur le texte de la déclaration de Moscou sur des mesures immédiates pour résoudre la crise syrienne. C’est un document minutieux et très nécessaire », a dit le ministre russe à la Défense, Sergei Shoigu, lors d’une réunion avec son homologue iranien Hossein Dehghan.

Shoigu a balayé les initiatives américaines et européennes en Syrie, déclarant que « les tentatives d’accord sur les efforts conjoints entrepris par les États-Unis ou leurs partenaires étaient vouées à l’échec... Aucun d’entre eux n’a exercé d’influence réelle sur le terrain ».

Les responsables turcs ont saluté l’initiative russe, finalisant ainsi le revirement abrupt de la politique étrangère turque, qui avait appuyé l'opposition islamiste au début de la guerre. « Nous observons une opération très réussie pour libérer l’est d’Alep des combattants, l’évacuation des familles de l’opposition d’Alep », a déclaré le ministre turc de la Défense nationale, Fikri Işık.

Avec ses homologues russe et iranien, Sergei Lavrov et Javad Zarif, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşo&;lu a déclaré que la coopération entre la Russie, la Turquie et l’Iran avait « produit des succès définitifs » à Alep, et qu’il espérait « l’étendre à d’autres districts de la Syrie ».

L’expulsion de l’opposition islamiste d’Alep et la collaboration naissante entre Moscou, Ankara et Téhéran marquent un revers majeur pour Washington et ses alliés européens. Depuis cinq ans, l’impérialisme américain tente de renverser le président syrien Bashar al-Assad en soutenant les milices islamistes, puis aussi des milices nationalistes kurdes en Syrie. Cette guerre, faussement présentée comme une révolution démocratique par les médias américains et européens, s’est effondrée, car les forces armées par Washington ne disposaient d'aucun soutien populaire réel.

La Turquie est un allié des États-Unis au sein de l’OTAN, mais Ankara réagit à la victoire du régime syrien, de la Russie et de l’Iran à Alep en se rapprochant visiblement de Moscou. En lançant l'enquête turco-russe sur le meurtre de Karlov, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu’Ankara et Moscou « ne permettraient à personne de nuire aux relations turco-russes ».

Des responsables turcs anonymes ont déclaré aux médias que Moscou et Ankara « savent » tous deux que le mouvement de l'islamiste exilé Fethullah Gülen était derrière l’assassinat de Karlov.

Cela a provoqué une réaction du secrétaire d’État américain John Kerry, qui a critiqué « le discours provenant de Turquie sur l’implication ou le soutien américain, tacite ou non, pour cet assassinat horrible hier, en raison de la présence de M. Gülen ici aux États-Unis ».

Ces événements soulignent l'instabilité profonde de la politique mondiale et le danger croissant de guerre mondiale après la débâcle de l’OTAN en Syrie et l’élection de Donald Trump, qui a évoqué publiquement une éventuelle rupture américaine avec l’OTAN. La Turquie est un allié de l’OTAN et des États-Unis depuis six décennies, et son armée est la plus nombreuse au sein de l'OTAN après celle des Etats-Unis. Pourtant, après cinq années de guerre en Syrie et d'affrontement entre l'OTAN et la Russie, le régime turc se rapproche de plus en plus de Moscou.

Depuis 2012, l’OTAN a exprimé à maintes reprises son inquiétude face à une éventuelle rupture entre la Turquie ses alliés occidentaux, alors qu'Ankara critiquait le soutien de Washington pour les nationalistes kurdes, traités de terroristes par l'Etat turc.

En 2015, après l'offensive de l’État islamique (EI) en Syrie et en Irak, Obama a fondé les Forces démocratiques syriennes. Ainsi Washington a fait du parti de l’Union démocratique kurde (PYD), la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), et de sa milice, les unités de protection du peuple, ses principaux mandataires en Syrie. Cela a terrifié Ankara, qui considère le séparatisme kurde en Turquie et dans la Syrie voisine comme une menace existentielle.

La crise de la politique étrangère turque s’est intensifiée en novembre 2015, lorsque la Turquie a abattu un avion russe au-dessus de la Syrie. Moscou a réagi en accélérant l'envoi de missiles, de bombardiers et de navires de guerre dans la région — menaçant la Turquie d'une guerre totale qui aurait pu devenir une guerre mondiale avec l’OTAN. Mais finalement, la Russia n'a fait qu'imposer des sanctions économiques à la Turquie.

Ankara, face à ces retombées économiques et à la crainte que ses alliés notamment européens pourraient refuser d'intervenir pour défendre la Turquie contre la Russie, a modifié sa politique étrangère, pour évoquer un éventuel rapprochement avec Moscou et Damas. En mai 2016, Erdogan a remercié son Premier ministre, Ahmet Davutoglu, qui aurait ordonné la destruction du bombardier russe, et s’est excusé auprès de la Russie.

Peu après, Washington et Berlin ont tacitement soutenu une tentative de coup d’État qui a presque réussi contre Erdogan le 15 juillet, et qu’Ankara attribue à Gülen. Erdogan aurait eu la vie sauve grâce aux alertes en temps opportun de la Russie. Cela a enflammé les tensions déjà explosives non seulement au sein de la Turquie, mais surtout entre Erdogan et les grandes puissances de l’OTAN.

Le gouvernement turc a réagi en zigzaguant entre ses « alliés » dans l’OTAN et les grandes puissances eurasiennes, la Russie et la Chine. Erdogan a déclaré à plusieurs reprises que la Turquie pourrait adhérer à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dirigée par la Chine, affirmant que cela permettrait à Ankara « d’agir plus librement ».

Cela a suscité une vive réaction de la part de l’OTAN. En visite à Istanbul en novembre, le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a déclaré : « Je suis sûr que la Turquie ne fera rien pour nuire à la défense commune... et à l’unité de l’OTAN ».

Mais Ankara a surtout voulu resserrer ses liens avec la Russie. En décembre, les Premiers ministres russe et turc, Dmitri Medvedev et Binali Yildirim, se sont rencontrés à Moscou. Ils ont convenu que « la normalisation de la situation syrienne est une tâche prioritaire pour nos pays et qu’elle aidera certainement l’ensemble de la région, sans parler de la Syrie, qui affronte actuellement une situation très compliquée ».

Le 6 décembre, Yildirim a critiqué l’OTAN pour avoir « hésité » et « traîné les pieds » en Syrie : « On échange des politesses sur la défense de la civilisation contre le terrorisme. Mais les grands réseaux terroristes qui nous menacent aujourd’hui opèrent au-delà des frontières ». Il a traité l’initiative turco-russe de « front international puissant et uni pour éradiquer le terrorisme ».

Erdogan semble aussi espérer que Trump aura une ligne plus « douce » sur la Russie et offrira à la Turquie une plus grande marge de manœuvre. S’adressant au Daily Sabah, le 5 décembre, Çavuşo&;lu a dit : « Avec l’Administration Trump est une avec laquelle nous pourrions coopérer », affirmant que Trump est « pragmatique. Beaucoup de nos opinions se ressemblent ».

Prédire que Trump stabilisera la situation et atténuera les tensions explosives dans les relations américaines avec le Moyen-Orient, c'est construire des espoirs illusoires sur des sables mouvants. Trump annonce une politique agressive, « l’Amérique d’abord » et prépare une offensive contre la Chine, ainsi que l’annulation du traité nucléaire avec l’Iran. Ceci ne stabilisera pas la politique impérialiste américaine, mais prépare plutôt l’éruption de crises encore plus explosives.

(Article paru d’abord en anglais le 21 décembre 2016)

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