La Maison-Blanche à la tête de l'assaut contre le chiffrement des téléphones cellulaires

Lundi, l'administration Obama a intensifié ses efforts pour miner l'utilisation du chiffrement en annonçant qu'un avocat représentant des victimes non identifiées de la tuerie de San Bernardino déposerait, à la demande du gouvernement fédéral, un mémoire juridique en soutien d'une injonction du tribunal pour obliger Apple inc. à donner accès de façon détournée à son populaire système d'exploitation mobile iOS. 

C'est là la dernière étape d'une campagne soigneusement orchestrée par le ministère de la Justice de l'administration Obama et le FBI (Federal Bureau of Investigation) pour récupérer la tuerie du 2 décembre 2015 de San Bernardino – l'une parmi plus de 300 fusillades de masse qui ont eu lieu l'année dernière – afin de monter l'opinion publique contre la défense du droit à la vie privée et miner, sinon même criminaliser, le chiffrement.

Stephen Larson, un ancien juge fédéral qui pratique maintenant dans le secteur privé, a déclaré à l'agence de presse Reuters qu'il avait été approché par le ministère de la Justice, deux jours avant le dépôt de sa plainte contre Apple, pour représenter les victimes de la fusillade de San Bernardino. Il a refusé de donner des détails tant sur le mémoire que sur le nombre de victimes même qu'il représente.

L'annonce suit de trois jours seulement le dépôt d'un autre mémoire au ministère de la Justice exigeant qu'Apple se conforme à la décision rendue le 16 février par un juge fédéral que la société crée un faux système d'exploitation pour permettre au FBI d'extraire des données chiffrées stockées sur les téléphones intelligents.

Apple a refusé de se conformer à la décision de la Cour et s'apprête à faire appel de la décision.

Il est évident que l'administration Obama a provoqué cette confrontation publique délibérée avec Apple à propos de l'accès aux données du téléphone cellulaire de l'un des tireurs de San Bernardino afin de manipuler cyniquement les émotions de la population et sa crainte des attaques terroristes afin de présenter les défenseurs du droit à la vie privée, pourtant enchâssé dans la Déclaration des droits, comme des égoïstes à la traîne, déloyaux et antipatriotiques dans la soi-disant guerre contre le terrorisme. 

L'an dernier, l'administration s'apprêtait à adopter une loi pour permettre au gouvernement de désactiver les programmes de chiffrement, mais elle a battu en retraite face à une vaste opposition populaire et à la résistance des entreprises de télécommunications et de médias sociaux. Ces dernières, y compris Apple, ont collaboré pendant des années avec la National Security Agency (NSA) et le FBI dans leurs opérations d'espionnage de masse illégales et inconstitutionnelles, mais elles se sentent maintenant obligées depuis les révélations d'Edward Snowden, cet ancien employé de la NSA devenu dénonciateur, de mettre ouvertement fin à la remise à l'État des communications privées de leurs clients qui utilisent le chiffrement précisément pour empêcher qu'on les espionne.

Apple et les autres grandes entreprises présentes dans les télécommunications et l'Internet ont des négociations en privé avec le ministère de la Justice depuis des mois sur cette question. Il semble que suite à la tuerie de San Bernardino, survenue moins d'un mois après les attentats terroristes meurtriers de Paris, l'administration Obama ait décidé d'utiliser ces attaques pour organiser une confrontation sur la place publique avec Apple, dans l'espoir d'écraser et d'intimider l'opposition populaire à un autre pas dans la direction d'un État policier. 

Après les révélations de Snowden, la Maison-Blanche avait pris une posture de défenseur des libertés civiles, se prétendant l'avocate d'un «équilibre raisonnable» entre le droit à la vie privée et la sécurité nationale, alors que dans la pratique elle soutenait pleinement les opérations d'espionnage de masse. Mais depuis l'arrêt de la Cour fédérale contre Apple, la Maison-Blanche a pleinement approuvé les efforts déployés par le directeur du FBI, James Comey, pour miner les méthodes de chiffrement avec le prétexte de prévenir des attaques terroristes.

Le FBI prétend qu'il a besoin d'un accès complet au téléphone cellulaire de Syed Rizwan Farook, l'un des assaillants dans la fusillade au Inland Regional Center de San Bernardino, abattu par la police après l'attaque, afin de déterminer s'il était en contact avec des membres de l'État islamique. Mais tout cela n'est qu'un prétexte évident, puisque la NSA et d'autres agences de renseignement ont déjà accès à ce qu'on appelle les métadonnées, dont notamment les numéros de téléphone des appels entrants et sortants. 

Les contradictions dans le récit officiel du FBI dans toute cette affaire ne cessent de s'accumuler. Dans un communiqué publié lundi, le FBI a admis que les policiers ont changé le mot de passe du téléphone intelligent de Farook associé au service de synchronisation de données «iCloud» d'Apple. La société soutient que si elle n'avait pas obtempéré, le FBI aurait été en mesure d'extraire toutes les données du téléphone simplement en le branchant sur une source d'alimentation à proximité d'un réseau sans fil connu, tel celui de la maison de l'attaquant.

Ce téléphone est la propriété du comté de San Bernardino, qui employait Farook comme inspecteur des aliments. Il est douteux que Farook ait gardé quoi que ce soit digne d'intérêt lié à l'attaque dans ce téléphone, son employeur ayant accès à son contenu. Les assaillants ont d'ailleurs détruit leurs disques durs et leurs téléphones personnels, mais ils n'ont fait aucun effort pour détruire celui-ci.

Dimanche, Comey a déclaré que le «contentieux de San Bernardino n'a pas pour but de créer de précédent ou d'envoyer quelque message que ce soit». Selon lui, le FBI est plutôt simplement concerné par «les victimes et la justice».

Contrairement aux affirmations d'Apple et de l'opinion quasi unanime des experts les plus en vue en matière de sécurité publique, Comey soutient que cette demande ne s'applique uniquement que pour le téléphone en question, déclarant : «Nous ne voulons aucunement violer le chiffrement de qui que ce soit, pas plus que nous ne voulons la création d'une clé de déchiffrage qui serait utilisée partout.»

Ce sont là des mensonges flagrants.

Malgré les efforts de désinformation du gouvernement, des indices révèlent qu'il y a un vaste soutien du public à la position d'Apple, et des manifestations d'appui étaient prévues mardi devant des dizaines de points de vente de l'entreprise. 

Apple a catégoriquement contredit les allégations de Comey lundi en déclarant qu'«une injonction créerait un précédent juridique qui permettrait d'élargir les pouvoirs du gouvernement, et nous ne savons tout simplement pas où cela nous mènera. Devrait-on autoriser le gouvernement à nous forcer de créer d'autres capacités à des fins de surveillance, telles que l'enregistrement des conversations ou le suivi de localisation?»

Dans son communiqué publié dimanche, Comey a déclaré que l'affaire met en évidence «la tension entre deux valeurs que nous chérissons: la vie privée et la sécurité. Cette tension ne doit pas être résolue par des sociétés dont le rôle est de vendre des choses.»

Comey, qui est soutenu par le président Obama, affirme qu'un tel enjeu ayant de vastes implications pour les droits démocratiques doit être décidé par une agence de renseignement. Une agence qui, avec la NSA, opère en dehors des lois et érige agressivement l'infrastructure d'un État policier. 

(Article paru d'abord en anglais le 23 février 2016)

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