Les États-Unis lancent des frappes aériennes contre la Libye

Tôt vendredi matin, des avions de guerre américains ont bombardé la Libye et tué jusqu'à 50 personnes dans ce qui serait, selon le Pentagone, un «camp d'entraînement» du groupe État islamique (ÉI) situé dans la ville portuaire de Sabratha, au nord-ouest du pays, près de la frontière tunisienne.

Le maire de la ville, Hussein al-Thwadi, a dit à l'agence Reuters que la cible était un immeuble situé dans le quartier Qasr Talil où résidaient de nombreux étrangers. Un grand nombre de victimes étaient tunisiennes et on a identifié au moins deux femmes parmi les morts.

Le Pentagone a indiqué que le bombardement visait l'assassinat d'un seul homme, Noureddine Chouchane, un citoyen tunisien décrit comme un «important facilitateur en Libye» et un présumé suspect dans l'attaque terroriste qui a tué 22 personnes au musée Bardo à Tunis en mars 2015.

Les représentants des États-Unis ont admis qu'ils étaient encore en train d'«évaluer» l'identité des victimes du bombardement et qu'ils n'étaient pas certains que Chouchane fasse partie des victimes.

Il s'agissait de la deuxième frappe américaine connue en Libye en l'espace de seulement trois mois. En novembre dernier, des avions de guerre américains ont bombardé la ville de Derna près de la frontière égyptienne pour assassiner l'agent de l'ÉI Abou Nabil.

La toute dernière frappe aérienne a été lancée seulement quelques jours après un sommet ASEAN en Californie où, lors d'une conférence de presse en conclusion du sommet, le président Barack Obama a affirmé que Washington était prêt à intervenir militairement en Libye. L'armée des États-Unis, a-t-il dit, «agirait partout où nous pouvons mener une opération claire et nette et disposons d'une cible certaine». Il a ajouté que les États-Unis «travaillent avec leurs partenaires de coalition pour s'assurer que nous saisissions toutes les opportunités d'empêcher l'État islamique de prendre position en Libye».

Indiquant une fois de plus l'escalade de l'intervention militaire américaine dans le pays d'Afrique du Nord, le Pentagone a admis que des troupes des forces spéciales américaines y ont été déployées dans les dernières semaines et avaient joué un rôle dans la préparation des frappes.

Le porte-parole du Pentagone Peter Cook a soutenu que le bombardement avait respecté le droit international et l'Autorisation du recours à la force militaire (AUMF) ratifiée par le Congrès peu de temps après les attentats du 11 septembre 2001.

Cette justification juridique est, pour le moins que l'on puisse dire, douteuse. L'ONU n'a pas donné d'autorisation à une intervention militaire étrangère en Libye et il n'existe pas de gouvernement légitime en Libye qui puisse en faire la demande. Et quant à l'Autorisation (AUMF) vieille de 15 ans, elle est utilisée par l'administration Obama, et a été utilisée par le gouvernement Bush précédemment, comme un chèque en blanc pour mener des interventions militaires partout sur la planète, sans devoir obtenir l'autorisation du Congrès, ni d'ailleurs demander l'avis de la population américaine

L'intervention militaire de Washington en Libye pour supposément faire la guerre à l'État islamique survient presque cinq ans après la guerre de changement de régime en Libye, déclenchée par l'administration Obama et ses alliés. Cette guerre avait pour prétexte la protection de civils contre la fausse menace imminente d'un massacre aux mains des troupes loyales au gouvernement de Mouammar Kadhafi.

La guerre, qui a coûté la vie à environ 30.000 Libyens, s’est terminée par la défaite et le meurtre de Kadhafi en octobre 2011 aux mains des combattants islamistes utilisés comme troupes au sol en sous-main dans la guerre de l’OTAN menée par les États-Unis.

Depuis ce temps, le pays a été ravagé par une guerre civile entre des milices rivales que Washington et ses alliés ont armées et appuyées dans le cadre de leur opération de changement de régime. Les violences ont forcé environ 2 millions de Libyens, un tiers de la population, à s’exiler en Égypte et en Tunisie. Des centaines de milliers d’autres ont été forcés de migrer vers d’autres endroits de la Libye et l’infrastructure sociale élémentaire du pays ainsi que son économie demeurent dévastées.

La montée de l’ÉI en Libye – le Pentagone affirme que le groupe compte 5000 combattants dans ce pays – est le sous-produit d’interventions successives des impérialistes dans cette région. Les mêmes combattants islamistes que Washington a utilisés comme agents en sous-main dans sa guerre pour renverser Kadhafi ont été redirigés avec une grande quantité d’armes prises dans les réserves de Kadhafi, vers la Syrie où ils mènent une guerre de changement de régime coordonnée par la CIA contre le gouvernement du président Bachar Al-Assad. Certains de ces mêmes éléments sont maintenant retournés en Libye.

Ce n’est pas seulement les États-Unis qui se lancent dans une autre intervention militaire en Libye. Wikileaks a divulgué un document secret cette semaine qui lève le voile sur des préparatifs de l’Union européenne (UE) pour une intervention militaire dont le prétexte serait d’arrêter le flux de «bateaux de réfugiés» en Mer Méditerranée.

Daté du 29 janvier 2016, le document a été rédigé par le contre-amiral Enrico Credendino, commandant de l’ «Opération Sophia» de l’Union européenne qui consiste à employer des bateaux de guerre pour freiner la «contrebande d’êtres humains» en haute mer. Le document demande aux instances de l’Union européenne et à ses états membres de réclamer la formation rapide d’un gouvernement «fiable» et proche de l’UE qui pourrait fournir une couverture légale en invitant les forces militaires européennes à non seulement patrouiller les eaux territoriales libyennes, mais aussi à entrer en action sur le territoire même du pays.

Pour le moment, cependant, un tel gouvernement n’existe pas. Plutôt, il y a deux parlements rivaux, l’un à Tripoli et l’autre à Tobrouk, ainsi qu'un soi-disant conseil présidentiel, sélectionné par des responsables de l’ONU et qui se présente comme un gouvernement d’unité nationale en exil en Tunisie et au Maroc. Pendant ce temps, les milices qui appuient les gouvernements rivaux continuent de se faire la guerre pour le contrôle des ressources.

C’est l’intervention de l’EI dans ce conflit, et particulièrement sa tentative de prendre le contrôle des ports clés d’exportation de pétrole, qui a donné un caractère de plus en plus urgent aux demandes pour une intervention militaire américaine et de l’Union européenne.

Tout comme la guerre en 2011 n’avait rien à voir avec les droits de l’homme, la nouvelle guerre en préparation n’a rien à voir avec le terrorisme. Dans les deux cas, l’objectif est l'asservissement de la Libye et son appropriation par des conglomérats de l’énergie qui se font compétition pour ses réserves de pétrole et de gaz, les plus importantes du continent africain.

(Article paru d'abord en anglais le 20 février 2016)

 

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