Pierre Boulez (1925-2016), chef d'orchestre et compositeur d'avant-garde

Pierre Boulez (1925-2016)

Mardi, le chef d'orchestre et compositeur français Pierre Boulez est mort chez lui à Baden-Baden, en Allemagne, à 90 ans. La Philharmonie de Paris, qu'il avait fondée, a publié une déclaration de sa famille, qui disait : « Pour tous ceux qui l'ont côtoyé et qui ont pu apprécier son énergie créatrice, son exigence artistique, sa disponibilité et sa générosité, sa présence restera vive et intense ».

Pendant des décennies, Boulez a joué un rôle mondial de premier plan dans la musique classique. Il dirigeait de multiples orchestres ou opéras et savait obtenir des musiciens des exécutions et des enregistrements puissantes, précises, et de bon goût, bien que parfois un peu froides. Il avait la réputation de donner librement de soi-même aux étudiants et aux jeunes artistes qu'il rencontrait.

En tant que compositeur et fondateur d'institutions musicales, notamment d'avant-garde, il travaillait avec rigueur et dirigeait des polémiques sans merci contre des rivaux musicaux et des responsables politiques qui lui faisaient obstacle. Boulez était analytique, convaincu, et délesté de toute modestie excessive, et il agissait sur la base de jugements mûrement réfléchis, dont il était absolument convaincu. La conception du développement historique de la musique qu'il avait développée lui indiquait clairement que ses compositions en étaient le produit naturel et nécessaire.

Boulez s'était mis lui-même au piano en tant qu'enfant dans une famille bourgeoise dans la ville de Montbrison. Il a étudié les mathématiques avancées en 1940 à St Etienne puis à Lyon. En 1943, il a voyagé à Paris pour étudier au Conservatoire national, où il a raté le concours d'entrée en piano mais a été admissible au cours d'harmonie du compositeur Olivier Messiaen.

En 1945, il a rompu avec Messiaen, qu'il froissa plus tard en traitant sa Turangalila-Symphonie de 1948 de « musique de bordel », et étudié avec René Leibowitz, qui lui fit connaître la composition « dodécaphonique » (à 12 tons) d'Arnold Schoenberg, Alban Berg, et Anton Webern. Ce style, qui voulait détruire la tonalité traditionnelle, a fait une impression profonde sur Boulez. Dans un élan caractéristique, Boulez l'a porté aux nues puis dénoncé, scandalisant les universitaires américains en prononçant la « mort » artistique de Schoenberg dans un article de 1952 dans The Score.

Pour vivre à Paris, Boulez a donné des cours particuliers de mathématiques, joué aux Folies Bergères, et finalement dirigé la musique de la compagnie nouvellement fondée du célèbre comédien Jean-Louis Barrault.

Boulez, se rappela Barrault, « arriva avec ses vingt ans. Il nous plus immédiatement. Hérissé et charmant comme un jeune chat, il dissimulait mal un tempérament sauvage très plaisant. .... Mais derrière cette sauvagerie anarchiste, nous sentions dans Boulez la pudeur extrême d'un tempérament rare, une sensibilité à fleur de peau, voire une sentimentalité secrète ».

Aux années 1950, Boulez a organisé des concerts d'avant-garde parrainés par Barrault au Théâtre Marigny. Boulez a composé Le Marteau sans Maître, sur des poèmes du Résistant René Char, et débuté en tant que chef d'orchestre, en tant que remplaçant pour les chefs d'orchestre Hermann Scherchen and Hans Rosbaud.

Bien que sans étiquette politique, Boulez a signé le Manifeste des 121 contre la guerre française contre l'indépendance de l'Algérie, qui dénonçait « le système colonial ». Il était en Allemagne quand le manifeste est paru, et on lui a interdit un temps de revenir en France. Sa réputation mondiale grandissait toutefois, et on l'invita pour diriger la Symphonie de la BBC, le festival d'opéra de Bayreuth, le célèbre orchestre de Cleveland, et la New York Philharmonic.

Il a croisé le fer avec les autorités françaises aux années 1960, traitant l'Opéra de Paris de « ghetto plein de merde et de poussière ». Quand le ministre de la Culture, André Malraux, a délaissé ses propositions pour une réforme de la vie musicale française, il s'est exilé en Allemagne et a donné une entrevue à Der Spiegel en 1967 où il proposait de « faire sauter les maisons d'opéra ». Ceci lui valut une brève arrestation par la police suisse, 34 ans plus tard, après les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Boulez a dirigé la New York Philharmonic de 1971 à 1977, où il a provoqué une certaine hostilité à cause de son penchant pour la musique d'avant-garde, mais aussi gagné l'estime de l'assistance en jouant Mozart et Ravel.

Il est ensuite rentré en France, où il a dirigé des groupes d'avant-garde tels que l'Ensemble intercontemporain et l'Institut de recherche et de coordination acoustique-musique, fondé avec l'aide du président Georges Pompidou. En 1981, il a écrit Repons, qu'on décrit souvent comme étant son chef d'œuvre.

Boulez a ensuite continué à diriger des orchestres, à composer de la musique, et à fonder de nouveaux festivals et institutions musicaux, dont la Cité de la Musique à Paris en 1995 et la Lucerne Festival Academy pour les musiciens d'orchestre, en 2004. Il a rencontré de nombreux étudiants de composition et de direction d'orchestre.

En plus de cette influence, Boulez nous a laissé une vaste discographie, tournée largement vers les 19e et 20e siècles, dont des œuvres de Debussy, Mahler, Bartók, l'école dodécaphonique, Stravinsky, et Messiaen, ainsi que les opéras de Richard Wagner et ses propres œuvres.

L'autre legs principal de Boulez était sa recherche d'un nouveau langage musical pour remplacer à la fois la tonalité traditionnelle et le système dodécaphonique de Schoenberg.

Dans l'analyse finale, ce sont les mélomanes des siècles à venir qui décideront si cette recherche a été courronnée de succès. L'auteur de cet article ne cachera pas son scepticisme vis-à-vis certaaines des compositions et des conceptions esthétiques de Boulez. Il est permis de douter que les idées sur l'art et sur la composition musicale qui soustendaient les snnovations—notamment celles qu'il développa dans le milieu structuraliste du groupe Tel Quel—ne s'avèrent durables. Les fondements théoriques et philosophiques de ses jugements artistiques sont particulièrement discutables.

Lors d'une conférence de 1961 publiée en anglais sous le titre L'esthétique et les fétichistes, Boulez déclarait que « La musique est un art qui n'a pas de 'sens,' d'où ressort l'importance primaire des structures qui sont à proprement parler linguistiques, vu l'impossibilité pour le vocabulaire musical de servir une fonction simplement de communication ».

Paradoxalement, le travail de Boulez dans ce qu'il a de meilleur démontre le sens profond et la force émotionnelle de la communication musicale, vocale ou instrumentale, avec ou sans paroles.

Finalement, que l'on soit ou non d'accord avec les conceptions de Boulez et avec sa préoccupation avec les formes et les systèmes linguistiques, sa recherche d'un nouveau langage musical était une partie intégrale de la vie musicale de son époque. A la différence de maintes personnalités de la vie publique aujourd'hui, ce n'était ni un charlatan ni un poseur.

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