Les travailleurs allemands soutiennent les grèves en France et en Belgique

Les grèves contre la réactionnaire loi Travail du gouvernement PS (Parti socialiste) ont suscité en Allemagne deux réactions très différentes: d’un côté soutien et solidarité chez les travailleurs et les jeunes, et de l’autre horreur, colère, attaques anticommunistes et tirades anti-françaises dans les grands médias.

Les principaux organes de presse, la télévision et les stations de radio, ont essayé pendant des semaines de ne pas parler des événements en France ou de les traiter comme une simple révolte de jeunes et quelques escarmouches entre le syndicat stalinien CGT (Confédération générale du Travail) et la police.

Cependant, depuis la propagation la semaine dernière des grèves contre les attaques sociales, où des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue en France et en Belgique, le black-out médiatique en Allemagne s’est avéré difficile à maintenir.

Le 26 mai, Spiegel-Online se faisait l’écho des inquiétudes de l’élite politique allemande face à cette évolution. Un article intitulé « La France sur les barricades, » déplorait la « situation chaotique » dans le pays voisin. L’article reprenait la question « inquiétante » de la Une du Parisien : « Grèves, blocages : va-t-on vers une paralysie du pays ? » et indiquait le résultat d’un sondage Ifop, selon lequel deux tiers des Français s’attendent à une « explosion sociale » au cours des prochains mois.

Dans le même temps, le magazine Der Spiegel et d’autres journaux ont tenté d’attiser parmi leurs lecteurs des ressentiments contre les travailleurs français. Deux semaines avant le championnat d’Europe de football, le magazine annonçait des coupures de courant et une pénurie de carburant.

Le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), porte-voix idéologique de la bourgeoisie allemande, a réagi de façon particulièrement virulente. Sa correspondante à Paris, Michaela Wiegel, a dénoncé rageusement les grèves. « Ce n’est qu’une minorité radicale qui, à l’aide de manifestations de rue et de feux, tient la France en haleine, » écrivait-elle le 26 mai dans un article au vitriol. La CGT avait déclenché une « folie meurtrière contre la réforme du Travail. » Mais, la plupart des présidents français échouaient « quand les barricades se mettaient à flamber. »

Le président Hollande lui aussi savait « combien son pays est [encore] marqué par l’héritage de la Révolution française. » Mais Hollande était au bout du rouleau, il était « trop faible pour entamer une lutte avec la minorité radicale des grévistes de la CGT, » écrit Wiegel.

Pour le FAZ, les attaques brutales des barrages routiers et des piquets de grève des travailleurs par les CRS, qui ont fait ces derniers jours plusieurs blessés, n’est pas assez dure. Il n’y a pas de doute que la classe dirigeante allemande est prête à imposer une répression d’Etat massive si les travailleurs allemands venaient à lutter pour leurs droits comme le font actuellement les travailleurs français.

Le quotidien droitier Die Welt a publié une violente diatribe contre les travailleurs et les jeunes en France. « Un nouveau 1968? Non, juste une révolte des esprits obtus, » écrit Sascha Lehnartz. Les protestations – la rédaction n’aime pas employer les mots « grèves » et « travailleurs » – sont un signe de stagnation. En France, chaque réforme gouvernementale est bloquée par « des syndicalistes butés », une organisation « crypto-communiste » et des étudiants « facilement malléables. » Ces derniers gâchaient leur avenir, écrit cyniquement Lehnartz.

Les « citoyens répètent une fois de plus le soulèvement, » écrit-il et, probablement pour se réconforter lui-même, « S’agit-il … d’un mouvement de masse, il est permis d’en douter. »

Les sondages d’opinion donnent un autre son de cloche: la grande majorité de la population française s’est solidarisée avec les grèves et exige le retrait de la loi anti-classe ouvrière El Khomri, qui signifie surtout pour les jeunes un avenir précaire.

Ce qui hante Lehnartz, c’est que l’atmosphère de 1968 est effectivement dans l’air. Il y a cependant une grande différence par rapport à cette époque: non seulement la fracture sociale est beaucoup plus profonde aujourd’hui mais les vieux appareils syndicaux, y compris la CGT et les partis sociaux-démocrates et staliniens, ont bien moins d’influence sur les travailleurs qu’en 1968, lorsqu’ils ont trahi le mouvement révolutionnaire. Un nouveau et puissant mouvement européen de la classe ouvrière apparaît, qui commence à dépasser ces vieilles organisations corrompues.

C’est ce que redoutent également en Allemagne, Lehnartz, Wiegel et Cie.

Et ce, à juste titre, comme en témoignent les réactions en ligne reçues par le WSWS suite à un reportage sur la France et comme le révèlent aussi les réactions à l’article du Spiegel. « Tout mon respect aux Belges et aux Français!! » écrit quelqu’un d’un groupe Facebook où il a mis en ligne un article du WSWS. « Au moins ils se défendent contre les gouvernements qui sont contrôlés par le patronat !!! Continuez !!! » Une autre personne souhaite que « cela puisse finalement déborder aussi jusqu’ici. »

Le matin du 2 juin, dès la mise en ligne de l’article du Spiegel à 8h25, les commentaires de lecteurs fusent de toute part. Le lendemain, le blog comptait plus de 500 commentaires, la grande majorité exprimant leur solidarité avec les travailleurs français. « Tout mon respect pour les Français. Pendant qu’ils descendaient dans la rue et faisait du grabuge, en Allemagne on discutait sur les forums de Hartz 4 [réformes du marché du travail] et ceux responsables de son application étaient réélus, » disait le premier commentaire.

Quelques minutes plus tard: « Eh bien, si seulement on avait fait pareil avant l’approbation de notre Agenda 2010 [réformes Hartz]. » Un lecteur s’est exclamé, « Vive la France » et « Tenez bon chers voisins. Luttez contre la manie de la libéralisation. Les conséquences de l’Agenda 2010 sont évidentes. Des millions sont tributaires de prestations sociales et sont des précaires. Les riches se sont enrichis, les pauvres se sont appauvris. »

Un autre s’est plaint des médias: « La grève a commencé le 31 mars. …Mais rien dans la presse allemande. Et maintenant ?? Ohhh, la grève, juste avant la Coupe du monde [sic]!! Cette information est-elle importante ?? La courroie de transmission des communistes !! C’est important ça?? L’article [du Spiegel] est totalement à côté de la plaque. »

Un passionné de football remarque: « Que ce soit la France ou le Brésil… ces pays, l’Europe, et vraisemblablement le monde entier, ont bien d’autres problèmes que ces spectacles de masse ridicules et probablement corrompus qui auront lieu dans les mois à venir. J’aime passionnément le football, mais je peux bien renoncer à ce championnat d’Europe tant que des conflits aussi nombreux doivent encore être menés. »

(Article original paru le 3 juin 2016)

 

 

 

 

Loading