L'État libre de Jones: Bravo!

Écrit et réalisé par Gary Ross; histoire de Leonard Hartman

Free State of Jones

«Nous tenions fermement à rester dans l'Union lorsque le vent de la sécession a balayé l'État. Pour cette seule raison, nous avons été traités comme des sauvages plutôt que des hommes libres par les autorités rebelles.» – Newton Knight, le 15 juillet 1865

De 1863 à 1865, Newton Knight (1837-1922), un agriculteur blanc antiesclavagiste du comté de Jones dans le sud du Mississippi, a mené une insurrection contre les États confédérés. Inspiré par la vie et le combat de Knight, L'État libre de Jones (v. f. de Free State of Jones), écrit et réalisé par Gary Ross, est un récit fictif d'un chapitre extrêmement captivant, mais peu connu de l'histoire américaine.

Peu après l'élection d'Abraham Lincoln en novembre 1860, les États esclavagistes du Sud ont commencé à se séparer de l'Union. La Caroline du Sud a fait sécession le 20 décembre 1860, suivie du Mississippi le 9 janvier 1861.

Le film de Ross L'État libre de Jones débute avec une scène de guerre sanglante dans laquelle Newton Knight, joué avec conviction par Matthew McConaughey, est infirmier dans une unité d'infanterie confédérée du Mississippi. La séquence ne nous épargne pas toute l'horreur et la boucherie de la guerre.

Très vite, nous avons vent de l'insatisfaction de Knight, qui culmine apparemment avec l'adoption de la «Loi des Vingt nègres» (Twenty Negro Law) — associée à la Seconde Loi sur la Conscription (Second Conscription Act) adoptée par le Congrès confédéré en octobre 1862. Cette loi exemptait du service militaire un homme blanc par 20 esclaves. Elle a été adoptée en réponse directe à la Proclamation d'émancipation, mentionnée pour la première fois par Lincoln en septembre 1862. Les autorités confédérées craignaient alors une révolte d'esclaves, notamment du fait que tant d'hommes blancs étaient partis pour l'armée. Newt explique qu'il est «fatigué de les aider (les planteurs) et de me battre pour leur maudit coton».

Knight décide alors d'abandonner l'armée confédérée. Son proche ami Jasper Collins (Christopher Berry) déserte tout comme lui et proclame de façon militante que la Loi des Vingt nègres fait de cette guerre «une guerre pour les riches où les pauvres se font tuer». C'est là un adage bien connu qui bien sûr était populaire parmi les Blancs pauvres du Sud.

Dans son guide historique pour le film, Ross fait remarquer que «Jasper était "plus intellectuel" que Newt, et c'est lui qui l'informe le premier de la Seconde Loi sur la Conscription et de sa clause qui exonère les propriétaires d'esclaves de la conscription... Les États confédérés ont institué la première conscription de l'histoire des États-Unis, et ce sont les jeunes pauvres qui sont conscrits.»

Newton Knight

Ayant déserté, Newt est choqué par les conditions imposées par la guerre aux habitants laissés pour compte du Mississippi, la plupart des femmes et des enfants qui souffrent des exigences fiscales sévères et corrompues de l'armée confédérée. Leurs fermes font l'objet de raids et ils se voient dépossédés de leur bétail, de leur nourriture et de leurs articles ménagers – des privations qui les menacent de famine.

Ces vols légalisés galvanisent l'opposition de Knight contre les États confédérés. Cette situation le transforme (comme beaucoup d'autres), pour reprendre les mots de Ross, «de déserteur qui ne voulait pas se battre, en rebelle faisant la guerre à l’esclavagisme.»

En défendant la propriété et les biens d'une fermière et de ses trois petites filles, Newt est poursuivi et assailli par un chien d'attaque. Grièvement blessé et maintenant recherché, il finit par se réfugier dans les marais, où il rejoint un petit groupe d'esclaves fugitifs. Un de ceux-ci, Moïse (un rôle émouvant tenu par Mahershala Ali), est toujours muni d'un collier d'esclave des plus barbares – un anneau de fer serré autour de son cou et muni de pointes protubérantes de près de 30 cm de long.

L'un des poursuivants d'esclaves en fuite les plus vicieux et confiscateur en chef des biens des agriculteurs est le lieutenant Barbour (Bill Tangradi). Lui et son supérieur, l'entêté colonel Elias Hood (Thomas Francis Murphy), ont l'intention de traquer les déserteurs pour les pendre, car ceux-ci commencent à nuire à l'effort de guerre en s'emparant et en détruisant les approvisionnements des Confédérés.

La défaite des forces sudistes en juillet 1863 à Vicksburg, au Mississippi, face aux troupes commandées par Ulysses S. Grant gonfle les rangs des déserteurs confédérés.

Newt met finalement sur pied une compagnie constituée de plus d'une centaine d'esclaves fugitifs, d'ex-soldats et autres dissidents pro-Union. Leur avantage caractéristique est leur capacité à se cacher dans les marais, où les méthodes de combat classiques sont inutiles et la cavalerie sudiste ne peut les poursuivre. Ils sont de plus aidés par des femmes sympathisantes, comme Rachel (Gugu Mbatha-Raw), autrefois esclave du grand-père de Knight.

Entrainés par les événements tumultueux, Rachel et Newt s'éprennent l'un de l'autre. Knight et sa femme Serena (Keri Russell) sont alors séparés. Une atmosphère de véritable égalité règne entre le couple mixte que forment Rachel et Newt. Le credo antiesclavagiste de Newt se résume par son observation qu'«on ne peut posséder un enfant de Dieu». Rachel de son côté se montre des plus douées à trouver de la nourriture et des renseignements en traversant les lignes ennemies.

Mahershala Ali et Gugu Mbatha-Raw

Après que Newt et sa compagnie aient chassé les Confédérés du Comté de Jones (ainsi que d'autres parties du sud-est du Mississippi), la région devient connue sous le nom de «l'État libre de Jones». Knight proclame publiquement un certain nombre de principes, notamment que «Nul ne doit rester pauvre pour faire en sorte qu'un autre homme puisse devenir riche». Ses forces continuent de combattre les troupes confédérées, sans aucune aide substantielle de l'armée de l'Union.

En avril 1865, la Guerre de Sécession prend fin et l'esclavage est aboli. Mais sous le nouveau président Andrew Johnson, les anciens propriétaires de plantations sont réhabilités et le système de plantation est restauré, pratiquement intact. Les affranchis (les ex-esclaves) sont tenus de travailler sur les plantations et leurs enfants, y compris le fils de Moïse, sont enlevés de leur famille et assujettis à travailler de force dans les champs comme «apprentis». Une nouvelle période de lutte prend forme à l'horizon.

L'État libre de Jones comprend également plusieurs scènes, insérées dans la trame principale du récit, dramatisant le procès de Davis Knight, petit-fils de Newt et Rachel qui, à la fin des années 1940, est accusé de métissage pour avoir épousé une femme blanche (parce qu'il possède au moins un huitième de «sang noir»).

Le film touche également à un certain nombre d'aspects de la vie de Knight par la suite, mais qui vont au-delà de la portée de notre critique. Citons toutefois ses efforts de 1871 à 1873 pour organiser une école intégrée, qu'il a ensuite lui-même incendiée après que des objections ont été soulevées contre l'admission de ses propres enfants métis.

Tout cela constitue une histoire singulière qui, par bout, est extraordinairement bien représentée. Certaines des questions les plus urgentes de l'histoire et de la vie actuelle aux États-Unis – celle des inégalités sociales notamment – émergent organiquement des événements décrits. Par conséquent, comme nous le verrons, L'État libre de Jones a suscité l'indignation de nombreux critiques de cinéma et des partisans réactionnaires des politiques raciales qui ont tous été piqués au vif par cette présentation énergique des classes comme le fondement essentiel de la société moderne.

Ross doit être félicité pour son travail honnête et méticuleusement bien documenté de cette saga peu connue. Pratiquement tous les écarts par rapport aux archives historiques ont été faits pour des raisons de condensation ou rendre compréhensible des faits et des développements essentiels.

Dans la mesure où il y a des faiblesses artistiques, elles sont liées, en premier lieu, à la tâche objectivement difficile de transformer des événements titanesques, denses et complexes, en un dialogue convaincant et dramatique. Il y a en effet des passages où les besoins d'exposer les faits débordent quelque peu crûment. Autrement dit, la politique ne s'est pas entièrement dissoute dans la poésie.

Ross a clairement et consciemment tenté de faire et de dire quelque chose d'important ici, motivé à un degré ou à un autre par la polarisation sociale maligne de la vie contemporaine aux États-Unis. Toutefois, la sincérité du réalisateur ne peut par elle-même surmonter tous les problèmes hérités de ses films précédents, plutôt du type stéréotypé (Pleasantville, Sea Biscuit, The Hunger Games) et de sa propre trajectoire politique en tant que membre de l'aile libérale du Parti démocrate (il a travaillé en 1980 pour la campagne présidentielle de Ted Kennedy et comme conseiller lors des campagnes de Michael Dukakis et de Bill Clinton en 1988 et 1992 respectivement). Ajoutons enfin que le niveau de gravité artistique et cinématographique n'est pas toujours le plus élevé et le plus pénétrant non plus.

Matthew McConaughey (gauche)

Malgré tout, le spectateur sent l'engagement sans équivoque de la distribution et de l'équipe dans ce film et son contenu. McConaughey a le talent et la compétence pour porter le poids du film. Ali dans le rôle de Moïse a une puissante présence sur l'écran et Mbatha-Raw est sobre, élégante et intense dans le rôle de Rachel. Berry qui interprète Jasper est également remarquable.

L'œuvre de fiction The State of Jones, de Sally Jenkins et John Stauffer, a été effectivement inspirée du scénario de Ross et toute la recherche qu'il a mené autour du sujet pour son film. Le livre fournit le contexte social et historique important de ces événements. Les auteurs expliquent, de façon plutôt euphémique, que «l'historiographie de l'unionisme dans les États du Sud est relativement rare».

Jenkins et Stauffer écrivent qu'à cause du «Roi Coton», la «traite des esclaves constituait une partie encore plus importante de l'économie américaine que les chemins de fer, et même la production manufacturière». Le Mississippi étant le plus grand État producteur de coton, «la division la plus commune était entre les riches et les pauvres... À la veille de la Guerre de Sécession, le comté de Jones était une île de pauvreté dans une mer de richesse basée sur le coton et l'esclavage». En fait, la population du comté comptait le plus faible pourcentage d'esclaves dans tout le Mississippi.

Les auteurs font remarquer que Knight a réalisé «qu'il avait plus en commun avec les esclaves qu'il avait rencontrés dans les marais, qui le traitaient mieux et qui lui ont montré plus d'humanité, que les autorités confédérées qui prétendaient être ses compatriotes».

La semaine dernière, le New Orleans Times-Picayune a réimprimé une fascinante entrevue réalisée avec Newton Knight le 20 mars 1921, un an avant sa mort. Knight, alors âgé de 84 ans, a raconté comment les politiciens du Mississippi avaient voté pour la Sécession, mais que les résidents du comté de Jones s'y étaient opposés. «La première chose qu'on a su, c'est que nous étions tous conscrits. Les Rebelles ont adopté une loi frappant de conscription tous les hommes âgés de 18 à 35 ans. C'est bien simple, ils venaient avec toute une escouade de soldats et voilà, vous étiez emmenés!»

Relatant les exploits militaires de son unité, Knight a poursuivi: «Il y a eu beaucoup d'échauffourées qu'on ne peut pas vraiment qualifier de batailles... Mais je me souviens que nous avons eu 16 combats considérables, et que nous avons perdu 11 hommes. Je n'ai jamais fait un compte des nombreux blessés. J'avais l'habitude de traiter leurs blessures par balles moi-même. Mais oui… il y en a eu un certain nombre.» Knight était de toute évidence un homme d'immenses principes, courageux et doté de capacités de leadership.

Les combats de la «Knight Company» ne sont pas bien connus. Cet épisode vient évidemment contredire toutes les sottises nostalgiques réactionnaires de la «cause perdue» du Sud. Rien ne terrifiait autant les élites du Nord et du Sud que l'unification possible des pauvres, Blancs et Noirs ensemble, à la fin de la Guerre de Sécession.

Les sentiments démocratiques et antiaristocratiques de Knight et de ses combattants étaient légendaires. Dans les années 1930, B. R. Sumrall, qui était parent avec l'un des membres de la bande de Knight, a déclaré à un intervieweur du Works Progress Administration (WPA) que les antisécessionistes du Mississippi craignaient que si le Sud se séparait, «l'Angleterre prendrait... avantage» de la dissension et le peuple américain «se retrouverait à nouveau sous le joug britannique». Les membres de la compagnie étaient tenus de répéter la phrase «Je suis un homme du drapeau rouge, blanc et bleu!» avant d'entrer au camp.

Ruby Huff, une autre descendante de l'un des déserteurs confédérés qui s'est battu avec Knight, a écrit un compte-rendu pour la WPA, dans lequel elle commente, merveilleusement: «Parfois, cette passion du Sud devenait tellement antisudiste qu'on avait le goût de dire bravo et d’applaudir la troupe la plus audacieuse qui ait jamais foulé le sol sudiste, c'est-à-dire ses déserteurs! » (“Telling and Retelling the Legend of the Free State of Jones,” Victoria E. Bynum, extrait de Guerrillas, Unionists, and Violence on the Confederate Home Front, publié par Daniel E. Sutherland, 1999).

Comme précédemment mentionné, L'État libre de Jones dérange les critiques et enrage toute la clique des partisans des politiques identitaires et raciales. Leur argument central et entièrement faux est que le film de Ross est simplement un autre récit de «sauveur blanc».

Charles Blow, chroniqueur du New York Times, affirme, par exemple, que le film de Ross «met l'accent sur l'héroïsme blanc et se concentre sur l'allié plutôt que sur l'esclave». Un autre article du Times cite une remarque de Kellie Carter Jackson, chargée de cours d'histoire au Hunter College, que Hollywood «a du mal à se débarrasser de l'idée que les hommes blancs sont au centre de l'univers» et que «si le film est vraiment à propos de Knight comme étant un allié, alors McConaughey ne devrait-il pas être l'acteur de soutien plutôt que principal?»

La conception que Knight et, par extension, toute l'armée nordiste n'étaient que des «alliés» des esclaves est absurde et insultante. Newton Knight et ses camarades noirs ont compris ce que ces misérables racistes de la classe moyenne supérieure ne peuvent comprendre aujourd'hui, c'est-à-dire que les esclaves et les paysans pauvres avaient un intérêt social commun dans le renversement révolutionnaire de la Confédération et l'écrasement de sa structure économique et politique.

L'un des commentaires les plus révélateurs vient d’Erin Whitney de ScreenCrush. Elle déplore, tout d'abord, que L'État libre de Jones «raconte l'histoire avec ignorance et daltonisme». Le fait de ne pas voir la race est maintenant une insulte pour ces éléments! On peut à peine croire à ce qu’ajoute ensuite Whitney: «Ce n'est pas un film qui parle de race pendant la Guerre de Sécession, c'est un film qui parle de conflits de classe et qui sympathise avec les Blancs.»

Eh bien oui, à son immense mérite, l'œuvre de Ross n'est en effet pas centrée sur la question de la race, mais plutôt sur les «conflits de classe», et le film exprime sa sympathie envers tous ceux qui souffrent, qu'ils soient Noirs ou Blancs! Bravo!

Le fait que L'État libre de Jones dérange et effraie ces éléments exécrables est l'un des arguments les plus convaincants en sa faveur.

(Article paru d’abord en anglais le 28 juin 2016)

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