Les questions politiques posées par la crise électorale australienne

Le résultat incertain de l'élection fédérale australienne du 2 juillet (aucun parti ou groupe de partis n'est encore en mesure de former un gouvernement) est le résultat d'une crise profonde des formes traditionnelles du régime capitaliste comme elles existent un peu partout dans le monde.

Un nombre sans précédent d’électeurs australiens a rejeté les grands partis capitalistes – la Coalition libérale-nationale et le Parti travailliste australien – tout comme les appels incessants des médias à l'élection d'un « gouvernement majoritaire stable ».

Un fossé profond existe entre un establishment politique qui ne sert que les intérêts d'une élite de la finance et de l'entreprise et la majorité de la population dont les principales préoccupations sont la stagnation ou la baisse des salaires, la précarité de l'emploi, la dégradation des services et le sombre avenir qui attend la jeune génération. La vie des gens ordinaires est dominée par l'instabilité et l'insécurité alors que les mesures d'austérité imposées par des gouvernements tant travaillistes que de la Coalition depuis le début de la récession mondiale en 2008 viennent encore aggraver des décennies de baisse du niveau de vie.

Depuis six ans, les travaillistes et la Coalition ont recours à des complots anti-démocratiques, à des mensonges éhontés et au populisme pour tenter de surmonter leur incapacité à gagner le soutien populaire pour un programme dicté par les intérêts impérialistes, les grandes banques et les entreprises.

En 2010, afin d’adapter la politique étrangère australienne à la campagne militaire anti-Chine des États-Unis, le Parti travailliste a évincé son premier ministre Kevin Rudd par un coup mené de nuit par une faction du parti et a installé Julia Gillard, derrière le dos de la population. Quelques mois plus tard, le Parti travailliste subissait une débâcle aux élections et était contraint de former le premier gouvernement minoritaire depuis 1941, s’appuyant surtout sur les Verts pour faire passer des politiques militaristes et d'austérité.

Le mécontentement populaire a continué de croître et Rudd a remplacé Gillard au cours d’un autre complot anti-démocratique à la veille de l'élection de 2013. La Coalition de Tony Abbott est arrivée au pouvoir dans une victoire écrasante, excitant l'hystérie anti-réfugiés et cachant son agenda anti-ouvrier, alors que les travaillistes subissait leur vote le plus bas depuis 110 ans. Mais après deux ans, face à une impasse parlementaire liée à la tentative de faire adopter des mesures d'austérité très impopulaires, Abbott était lui-même évincé, en septembre dernier, dans un nouveau coup douteux, ourdi cette fois par l’actuel premier ministre, ancien banquier d'investissement et multi-millionnaire, Malcolm Turnbull.

La croyance illusoire de Turnbull qu'il pouvait gagner une majorité viable dans les deux chambres du Parlement sur la base d’une promesse frauduleuse d'amener « l'emploi et la croissance » et « des temps exaltants » a fait naufrage sur les écueils de l'aliénation et de l'hostilité de masse envers le système bipartite.

Si Turnbull perd ses fonctions ou est évincé par son propre parti, le poste de premier ministre aura changé de mains six fois en seulement six ans. Pour montrer le degré de volatilité de la politique actuelle, il est seulement besoin de rappeler que dans les 32 ans entre 1975 et 2007 l'Australie n’a eu que quatre premiers ministres.

La crise des partis de l'establishment et des mécanismes parlementaires en Australie, sous l'impact

d'inégalités sociales de plus en plus fortes et d'antagonismes de classe croissants, se retrouve partout dans le monde. Partout en Europe, des formations politiques de longue date se sont effondrées ou sont en train de le faire. L'Union européenne se désintègre après le référendum du Brexit au Royaume-Uni; il est possible qu’un Parti conservateur vieux de plusieurs siècles ne survive pas aux bouleversements politiques qui risquent de déchirer le pays.

Aux États-Unis, le Parti républicain est dévasté par les divisions et scissions potentielles face à la réussite aux primaires présidentielles du démagogue fascisant Donald Trump. Le Parti démocrate n'est pas moins dans la confusion après avoir connu une rébellion contre l'establishment du parti sous la forme du soutien de millions de travailleurs et de jeunes à la campagne de Bernie Sanders, dans la croyance erronée que celui-ci représentait le socialisme.

Les élites dirigeantes, que ce soit en Australie ou ailleurs dans le monde, ne peuvent revenir aux formes parlementaires stables et prévisibles grâce auxquelles elles ont gouverné dans le passé. L’effondrement systémique de l'économie mondiale, les conflits géopolitiques grandissants, le danger croissant de guerre et surtout la radicalisation politique en cours dans la classe ouvrière et la jeunesse, excluent cette possibilité. Certains commentateurs ont suggéré d’organiser immédiatement une autre élection en Australie; elle ne ferait que produire le même résultat ou un résultat encore plus imprévisible.

La déclaration du milliardaire australien Gerry Harvey lundi que le « seul remède que nous ayons est celui d’avoir un dictateur, » reflète l’intense frustration des cercles dirigeants de ne pouvoir réaliser leur programme politique, économique et militaire par des moyens démocratiques. Ils ne peuvent défendre leurs richesses obscènes et le système capitaliste lui-même, alors qu’il dévaste la vie des travailleurs et menace d'entraîner l'humanité dans la guerre mondiale, qu’au moyen de formes autoritaires de gouvernement et d’une répression impitoyable de l'opposition.

La classe ouvrière doit voir la montée en Australie de tendances nationalistes et même fascistes qui se sont aussi développées ailleurs, comme un sévère avertissement. Le Xénophon Team qui prône le protectionnisme économique et la guerre commerciale a obtenu beaucoup de voix dans l'Etat industriel dévasté de l'Australie du Sud. Un ensemble de partis chrétiens de droite et un candidat de « loi et d'ordre » ont obtenu un nombre important de votes. Le parti One Nation de Pauline Hanson, qui cherche à détourner le mécontentement social devant le chômage et la pauvreté vers la xénophobie anti-immigrés et en particulier anti-musulmans, a remporté un soutien suffisant pour obtenir de nouveau des sièges au Sénat.

La responsabilité politique du fait que des démagogues de droite puissent en appeler aux travailleurs et aux jeunes mécontents incombe au Parti travailliste et aux syndicats qui ont, pendant des décennies, supprimé toute lutte des travailleurs pour la défense de l'emploi, les salaires et les conditions de vie. En outre, la promotion de la « guerre » bidon « contre le terrorisme » par l'ensemble de l'establishment politique et médiatique a permis à des formations comme One Nation de colporter leur ordure anti-islamique.

Les organisations pseudo de gauche comme Socialist Alliance et Socialist Alternative ont joué un rôle particulièrement pernicieux en promouvant le Parti travailliste et les Verts comme le « moindre mal » et ont agi ainsi comme un obstacle à la mobilisation indépendante de la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste et internationaliste, contre l'ensemble de l'establishment officiel.

L’élection australienne de 2016 révèle l'existence d'un vide politique sans précédent. Des loyautés de longue date ont été rompues et des masses de gens sont à la recherche d'alternatives. Cette situation ne peut devenir que plus polarisée et plus explosive. Le prochain gouvernement devra tenter, dans des conditions de récession mondiale et domestique croissante, de protéger l'élite financière et patronale grâce à des compressions budgétaires intensifiées et des attaques sur les emplois, les salaires et les conditions des travailleurs. Il est inévitable que des conflits de classe éclatent.

De plus, l'engagement de l'impérialisme australien vis-à-vis de son alliance stratégique avec les Etats-Unis et les préparatifs de plus en plus intensifs pour une confrontation militaire avec la Chine, en particulier en mer de Chine méridionale, provoqueront inévitablement une intense opposition à la guerre.

C’est dans ce contexte que la signification objective de la campagne électorale menée par le SEP (Parti de l'égalité socialiste), la section australienne du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), peut être pleinement appréciée.

Au centre de la campagne du SEP se trouvait la lutte pour briser la conspiration du silence de l'ensemble de l'establishment australien sur le danger de guerre et pour promouvoir l'appel lancé par le CIQI pour la construction d'un mouvement anti-guerre international unifié pour empêcher la catastrophe d’une troisième guerre mondiale.

Le SEP a mis en avant l'alternative internationaliste et socialiste à l'échec du capitalisme mondial et du système d'États-nations: la lutte pour des gouvernements ouvriers dans tous les pays qui mettra l’immense capacité de production existante sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière et des opprimés et réorganisera la vie économique et sociale dans l'intérêt de la grande majorité de l'humanité, et non dans celui de quelques privilégiés.

La campagne principielle du SEP pour le développement d'un mouvement international anti-guerre sur la base d'un programme socialiste a posé un jalon qui, dans la période à venir, marquera la conscience politique des sections les plus avancées et les plus réfléchies de la classe ouvrière et de la jeunesse, en Australie et dans le monde. Nous visons avec confiance la construction d'un mouvement de masse international et révolutionnaire de la classe ouvrière en collaboration avec toutes les sections du Comité international de la Quatrième Internationale, le parti mondial de la révolution socialiste.

(Article paru en anglais le 6 juillet 2016)

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