Race, classe et meurtres policiers en Amérique

Suite à la fusillade qui a tué cinq policiers à Dallas, Texas, le 7 juillet, les médias et l’establishment politique américains ont cherché à présenter les meurtres par la police de personnes non armées et les nombreuses manifestations contre la violence policière comme les preuves d’une aggravation de divisions raciales devenues insurmontables aux États-Unis.

Selon la présentation faite par les médias, les actes meurtriers de la police dans tout le pays sont en quelque sorte le fait de « Blancs » qui expriment leur haine raciale élémentaire et collective des Afro-Américains.

Le New York Post, par exemple, proclamait sur huit colonnes à la une qu’il y avait « La Guerre Civile », tandis que le New York Times avait dimanche, en tête de sa rubrique opinion, une colonne intitulée « Divisé par l’ethnie, uni par la douleur. »

Cette présentation contredit la réalité de façon grotesque. Ce qui a lieu en Amérique n’est pas une guerre des races, mais bien une protestation publique contre la violence policière dans un pays où plus d’un millier de personnes par an sont exécutées sans procès par des forces de police déchaînées.

Le racisme existe bien sûr et il peut être un facteur dans de nombreux meurtres policiers. Les Noirs sont la cible d’attaques de la police en nombre disproportionné par rapport à l’ensemble de la population. Mais les faits montrent eux-mêmes que le fléau de la violence et de l’assassinat policier ne touche pas seulement les Noirs ou les minorités, mais aussi les travailleurs et les jeunes de toutes races ou ethnies, en particulier les plus pauvres et les plus vulnérables dans la classe ouvrière.

Selon une base de données compilée par The Guardian, jusqu’au 9 juillet, 571 personnes ont été tuées cette année par la police aux États-Unis. Parmi les morts figurent 88 hispaniques et 138 afro-Américains, mais près de la moitié — 281 personnes — étaient des blancs. L’année dernière, 1.146 personnes ont été tuées par la police, dont la majorité, 586, était blanche.

Beaucoup de policiers qui commettent ces meurtres sont eux-mêmes membres de groupes minoritaires. Trois des six officiers mis en examen dans le meurtre de Freddie Gray en avril 2015 à Baltimore, un scandale qui a déclenché des manifestations dans tout le pays, étaient des Afro-américains. Dans cette ville, comme dans beaucoup d’autres où la brutalité policière est endémique, le maire et le chef de la police étaient noirs.

Même le gouvernement semble incapable de freiner la police. Lorsque le maire de New York, Bill de Blasio, a fait des commentaires jugés favorables aux manifestations contre la violence policière après le meurtre par la police d’Eric Garner à Staten Island, il s’est trouvé devant une virtuelle insurrection de la police de New York.

L’assertion faite sans justification dans les faits et sans explication historique que les États-Unis sont soudainement secoués par la haine sectaire, est un mensonge qui ne résiste pas à une analyse sérieuse. Il est promu dans le cadre d’un discours qui sert des intérêts politiques bien précis.

Une telle présentation des faits cache la nature de l’État et détourne l’attention des questions fondamentales de classe sociale qui sont à l’origine de l’incessante brutalité et de l’assassinat policier. La vague de violence d’État a lieu dans des conditions spécifiques : une crise économique et sociale croissante, une immense montée de l’inégalité sociale, des signes croissants d’une résurgence de la lutte des classes et un vaste processus de radicalisation politique dans la classe ouvrière américaine.

Le nombre des jours perdus par des grèves importantes aux États-Unis en 2015 était près de quatre fois supérieur à celui de 2014, et, cette année, avec la longue grève des travailleurs de Verizon, le total risque d’être encore plus élevé. Plus inquiétant encore pour la classe dirigeante sont les signes de plus en plus nombreux, comme la quasi-rébellion l’an dernier des travailleurs de l’automobile, que la bureaucratie syndicale perd son emprise sur la classe ouvrière. Et le soutien de masse parmi les travailleurs et surtout chez les jeunes pour la campagne de Bernie Sanders, qui se décrit comme un socialiste et parle d’une « révolution politique » contre la « classe des milliardaires, » a révélé, au grand effroi de l’élite dirigeante, la croissance généralisée du sentiment anti-capitaliste.

Le but de la campagne consistant à inonder le public d’un discours racial pour traiter la violence policière et les autres aspects de la société américaine, est de détourner l’attention du système capitaliste lui-même et d’éviter le développement de ce que la classe dirigeante craint le plus : un large mouvement populaire unissant la classe ouvrière dans la lutte contre le système économique.

Il faut pour cela dénaturer gravement les attitudes populaires envers les questions raciales. Il y a eu, en effet, de grands changements — généralement d’un caractère sain — depuis l’apogée de la ségrégation appelée « Jim Crow » dans le Sud et la discrimination raciale généralisée dans le Nord. Dans l’Amérique des années 1930 et 1940, le lynchage de Noirs étaient pratiquement une réalité quotidienne. La grande masse des Afro-Américains dans le Sud n’avait pas accès au scrutin, et il n’y avait pratiquement pas de représentants politiques noirs.

Il y a cinquante ans, en 1966, Edward Brooke était élu sénateur du Massachusetts, devenant ainsi le premier Afro-Américain élu au Sénat américain par le vote populaire. Les forces de police dans tout le pays étaient presque exclusivement blanches et les mariages entre Noirs et Blancs étaient pratiquement inconnus.

Ces circonstances ont été radicalement modifiées par une montée de trente ans des luttes de la classe ouvrière entre 1934 et 1964 qui ont cassé le dos de la ségrégation dans le Sud et ont conduit à l’intégration raciale des institutions étatiques, y compris la police et tous les niveaux de gouvernement. Les États-Unis ont, après tout, élu un président afro-américain en 2008 et l’ont réélu en 2012.

Aujourd’hui, 87 pour cent des Américains, y compris 84 pour cent des Blancs, disent qu’ils soutiennent le mariage interracial (4 pour cent en 1958). Quinze pour cent de tous les nouveaux mariages en 2010 étaient interraciaux, plus du double de 1980.

Que s’est-il vraiment passé la semaine dernière ? Les meurtres de deux hommes noirs, Alton B. Sterling et Philando Castile, tous deux pris en vidéo, ont suscité l’indignation et l’opposition aux États-Unis et à l’étranger. Avec moins de publicité, mais non moins effroyablement, les médias locaux ont publié une vidéo montrant le meurtre policier de Dylan Noble, un homme blanc de 19 ans à Fresno en Californie, alors qu’il gisait immobile sur le sol. Des manifestations de masse par des gens de toutes les ethnies à travers le pays ont vu l’arrestation de centaines de manifestants par une police fortement militarisée ressemblant à une force d’occupation et agissant comme telle.

Quant aux actes du tireur de Dallas Micah Johnson, le fait que lui-même ait été tué au moyen d’un robot muni d’une bombe — la première incidence d'une attaque par drone sur le territoire des États-Unis — rend difficile à déterminer ce que furent ses motivations précises.

Bien qu’il semble que ses actions aient été dans une certaine mesure motivées par les meurtres d’Afro-Américains par la police, il était aussi un ancien militaire ayant passé près d’un an en Afghanistan. Ses actions suivent le modèle des dizaines de tueries de masse qui ont lieu aux États-Unis chaque année et dont beaucoup sont commises par des vétérans.

Cette promotion d’un point de vue sectaire est volontairement adoptée par des politiciens et des universitaires qui ont un intérêt particulier et direct dans la politique raciale. Ils n’ont généralement que des éloges pour le président Obama, qui a présidé huit ans à d’interminables guerres, à l’inégalité croissante et à la pauvreté sociale et à l’armement des services de police avec des armes militaires dans tout le pays. Ces pourvoyeurs de politique raciale sont indifférents à la détresse sociale de larges sections de la classe ouvrière et n’ont aucune proposition pour améliorer leur sort.

Nous exhortons tous les travailleurs et les jeunes à rejeter le discours racial et réactionnaire colporté par les médias et l’establishment politique. La lutte contre la violence policière, comme toutes les grandes questions sociales, exige d’unir toutes les sections de la classe ouvrière dans une lutte commune contre le système capitaliste.

(Article paru d’abord en anglais le 11 juillet 2016)

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