Devant la montée des protestations en France, le parlement prolonge l'état d'urgence

Le 19 mai, l’Assemblée nationale a prorogé une seconde fois, après une première extension en février, l’état d’urgence décrété par le gouvernement du Parti socialiste (PS) à la suite des attentats terroristes du 13 novembre à Paris.

« La menace terroriste reste à un niveau élevé, et la France, ainsi que l'UE reste une cible », a déclaré le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve en ouverture du débat parlementaire.

Le prétexte pour une prolongation de l’état d’urgence pendant deux mois au-delà du 26 mai, sa date actuelle d’expiration, ont été les championnats d’Europe de football et le Tour de France cycliste qui ont lieu tous deux cet été. La prolongation de l’état d’urgence, a écrit Les Échos, citant des sources gouvernementales, permettrait à l’État de protéger de tels événements et à « interdire la présence, dans tout ou partie d’une région, de toute personne qui cherche à constituer un obstacle, de quelque manière à l’action de la puissance publique ».

L’affirmation que l’état d’urgence est principalement dirigé contre le terrorisme islamiste qui pourrait perturber les événements sportifs est une fraude politique. Ce qui est apparu ces derniers mois c’est que l’état d’urgence ne vise pas les réseaux terroristes islamistes qui ont mené les attaques du 13 novembre, mais l’opposition croissante des travailleurs et des jeunes à la violence militaro-policière et à l’austérité sociale.

Les attentats de Bruxelles ont montré que l’état d’urgence après ceux de Paris n’avait pas coupé les liens étroits entre l’OTAN et les réseaux islamistes qui ont continué de bénéficier d’une protection officielle en Europe alors que l’alliance militaire s’en servait pour sa guerre de changement de régime en Syrie. Immédiatement après les attentats, il est apparu que les autorités belges avaient ignoré les avertissements détaillés des renseignements russe, turc et israélien qui avaient identifié les assaillants et leurs cibles.

Les attentats ont eu lieu dans la foulée de l’arrestation à Bruxelles du cerveau présumé des attentats du 13 novembre à Paris, Salah Abdeslam. Il est alors vite apparu que la police belge était au courant non seulement de l’identité des assaillants du 22 mars, mais aussi, depuis décembre, de l’endroit où se tenait Abdeslam durant toute la période où les médias l’avaient présenté partout comme « l’homme le plus recherché » d’Europe.

Mais surtout, les deux derniers mois ont vu l’émergence d’un mouvement de masse de la jeunesse et des travailleurs contre la Loi travail de la ministre du Travail PS Myriam El Khomri, durant lequel le PS a utilisé l’état d’urgence pour imposer des limites sans précédent au droit de manifester. Alors que la police antiémeute attaquait violemment les manifestations, le PS a arrêté « préventivement » des dizaines de manifestants, en a mis d’autres en résidence surveillée ou leur a interdit d’aller dans des zones où avaient lieu des manifestations.

C’était là une tentative flagrante d’intimider et de bloquer les protestations dans des conditions où 75 pour cent de la population s’oppose à la loi de régression El Khomri.

Les tensions de classe montent et de nouvelles couches de travailleurs comme les chauffeurs de camion, les travailleurs des raffineries et des transports et les aiguilleurs du ciel ont commencé un mouvement de grève et de manifestations. Cela ne rend le PS que plus résolu à continuer d’utiliser contre la population l’arsenal de mesures répressives prévues par l’état d’urgence bien au-delà de la nouvelle date limite du 26 juillet.

Le PS et un de ses principaux experts en renseignement à l’Assemblée, Jean-Jacques Urvoas, préparent une législation qui rendrait effectivement l'état d'urgence permanent. Le rapporteur PS du texte à l’Assemblée, Pascal Popelin, qui supervise le projet de loi pénale a déclaré que c’était: « un outil qui permet de se passer de l'état d'urgence. »

Cette réforme du droit pénal transformerait en loi la plupart des pouvoirs actuellement donnés aux forces de sécurité par l’état d’urgence. Ceux-ci incluent la capacité de retenir une personne pendant quatre heures sans avocat en cas de soupçons terroristes lors de contrôles d’identité; celle d’assigner à résidence pendant un mois sur des soupçons de terrorisme si la police n’a pas d’éléments suffisants pour justifier une mise en examen; et d’élargir les pouvoirs de police en fait d’écoutes téléphoniques, de captations de données informatiques et de perquisitions de nuit.

L’imposition par le PS de l’état d’urgence n’était pas une décision ponctuelle en réponse à une attaque terroriste particulièrement horrifiante. Elle s’inscrivait dans la vaste extension de pouvoirs étatiques similaires en fait d’espionnage de masse et de détention arbitraire à l’échelle internationale, accélérés de plus en plus depuis le déclenchement de la « guerre contre le terrorisme » après les attentats du 11 septembre 2001, il y a 15 ans.

Les événements en France ne font que mettre en évidence de façon particulièrement nette que ces mesures sont dirigées contre la classe ouvrière et menacent d’instaurer des dictatures même dans les pays avancés ayant de longues traditions démocratiques. Alors que le PS est sidéré par la montée de l’opposition de la population à son agenda social régressif et impopulaire, il y répond conformément à l’ensemble de la classe dirigeante, en essayant de mettre en place un régime pouvant écraser une telle opposition.

Mercredi, le PS et la stalinienne Confédération générale du travail (CGT) ont tous deux pris l’initiative sans précédent de soutenir des protestations contre « la haine anti-flics » auxquelles avait appelé un syndicat de police proche du Front national néo-fasciste (FN) et auxquelles assistaient de hauts dirigeants du FN.

Jeudi, le premier ministre Manuel Valls est intervenu sur RTL pour dénoncer les grèves et les protestations des travailleurs contre la Loi travail et a dit que l’État n’avait pas l’intention de les tolérer. L’État s’en prend agressivement tant au droit de manifester qu’au droit de grève, qui sont tous deux protégés par la constitution française.

Alors que les chauffeurs routiers mettaient en place des barrages sur les routes et à un certain nombre de raffineries, Valls a déclaré « nous ne pouvons tolérer ces blocages, » et accusé les syndicats d’« attiser les peurs » et de diffuser des « demi-vérités » sur les coupes que la Loi travail imposerait dans le paiement des heures supplémentaires.

Cela pose la question de savoir si, comme pendant les grèves des raffineries en 2010, le gouvernement enverra la police pour casser physiquement les piquets de grève et briser les grèves.

Valls a attaqué les manifestations contre la Loi du travail, disant: « Je ne vois vraiment pas ce que leur objectif est aujourd’hui... S’il y a des délinquants à chaque manifestation d’aujourd’hui, cependant, il faut poser des questions sur la pertinence de certaines de ces protestations. » Il a promis d’interdire à davantage de personnes de manifester, ajoutant: « Les listes de noms seront à nouveau décidées pour empêcher une fois de plus un certain nombre de personnes de se rendre à des manifestations. »

(Article paru d’abord en anglais le 20 mai 2016)

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