La Banque centrale européenne réduit les taux et injecte plus d’argent sur les marchés financiers

La Banque centrale européenne (BCE) a mis en action jeudi une nouvelle série de mesures dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif, dont des achats élargis d’actifs financiers, une nouvelle baisse des taux d’intérêt et un financement accru pour les banques. Il s’agit là d’une tentative de plus en plus désespérée pour contrer la détérioration des perspectives pour la zone euro et l’économie mondiale.

La BCE a réduit son taux de dépôt à moins 0,4 pour cent (moins 0,3 pour cent auparavant) et a porté ses achats d’actifs financiers à 80 milliards d’euros (60 milliards par mois actuellement), incluant pour la première fois l’achat de titres de créance émis par des sociétés non financières. Auparavant, le programme, qui doit fonctionner jusqu’en mars 2017 ou au-delà si jugé nécessaire, n’incluait que la dette publique.

Elle a également décidé d’étendre le crédit aux banques en vertu de ses prétendues opérations de refinancement à long terme, facturant aux banques des taux d’intérêt aussi bas que moins 0,4 pour cent — les payant en effet pour emprunter de l’argent.

Mais l’effet immédiat des mesures fut le contraire de ce qu’on avait prévu. Les marchés européens ont d’abord grimpé parce que l’augmentation de 20 milliards d’euros du programme d’achats des actifs était plus importante que prévu, mais ils ont fini la journée en forte baisse. L’euro est d’abord tombé par rapport au dollar, mais a augmenté rapidement; une des plus grandes fluctuations sur un jour dans l’histoire de la monnaie. À Wall Street, le Dow Jones a chuté de près de 178 points avant de remonter pour terminer la journée avec seulement 5 points de baisse.

La cause des fluctuations sur les marchés des devises et des actions semble avoir été les remarques excluant de nouvelles baisses de taux d’intérêt du président de la BCE, Mario Draghi. Draghi avait dit précisément que, bien que les taux d’intérêt allaient « rester bas, très bas, pendant une longue période de temps... nous ne prévoyons pas qu’il sera nécessaire de réduire davantage les taux. »

Il a précisé que la banque centrale ne pouvait descendre dans le négatif jusqu’où elle voulait, sans conséquence pour le système bancaire. Depuis l’initiative de la Banque du Japon d’adopter des taux négatifs à la fin de janvier et la propagation du régime des taux négatifs à des pays représentant environ un quart du PIB mondial, on se préoccupe beaucoup de ce que la mesure aura un impact néfaste sur les modèles d’affaires des banques, conduisant à des baisses significatives dans la valeur de leurs actions.

Dans ses remarques préparées, Draghi a donné une évaluation pessimiste de l’économie de la zone euro. La croissance du PIB réel a été de 0,3 pour cent pour le quatrième trimestre en 2015. Bien qu’elle ait été soutenue par la demande intérieure, elle a été « freinée par une contribution négative des exportations nettes », les enquêtes les plus récentes indiquant « que la dynamique de croissance était plus faible qu’attendue au début de l’année. »

Son appréciation des perspectives immédiates était contradictoire en soi. Il a commencé par dire que la BCE s’attendait à ce que « la reprise économique se développe à un rythme modéré » — le mantra standard de toutes les institutions financières mondiales bien que les perspectives économiques mondiales se détériorent.

Et il a poursuivi en disant « Quoique, la reprise économique dans la zone euro continue d'être freinée par des perspectives de croissance modérées sur les marchés émergents, les marchés financiers volatiles, les ajustements de bilan nécessaires dans un certain nombre de secteurs [la nécessité de réduire le niveau élevé des prêts non productifs détenus par les banques européennes] et la lenteur de la mise en œuvre des réformes structurelles. »

Ce dernier point est une référence à l’exigence de longue date de la BCE que la prétendue flexibilité du marché du travail — l’éviscération des conditions d’emploi — soit intensifiée dans toute la zone euro.

Dans l’ensemble, « les risques dans la zone euro sont restés orientés à la baisse » dû aux « incertitudes accrues dans l’économie mondiale ainsi que les risques géopolitiques, » la BCE ayant révisé à la baisse ses prévisions de croissance dans sa réunion de décembre.

La raison officielle du programme de relance monétaire est de ramener le taux d’inflation de la zone euro vers les 2 pour cent, mais pas au-dessus. Cependant, les prix évoluent dans le sens opposé. Le taux d’inflation pour février était à moins de 0,2 pour cent, comparativement à 0,3 pour cent en janvier, atteignant ainsi 0,1 pour cent pour l’ensemble de 2016, selon les propres prévisions de la BCE.

Au cours de la session de questions-réponses, Draghi a tenté de riposter aux critiques que la politique de la banque centrale était inefficace et qu’il ne lui restait « aucune munition. » Il a affirmé que la nouvelle gamme de mesures était « très significative » et qu’il était insensé de croire que c’était possible de revenir à 2 pour cent avec une économie qui n’avait pas récupéré. Mais une fois qu’il y aurait une reprise solide pour la zone euro, il y aurait un mouvement à la hausse des salaires et des prix.

L’affirmation que le programme de la BCE et d’autres banques centrales finira par entraîner une reprise a été complètement démasqué par la réalité économique. Cela fait maintenant plus de sept ans, depuis la crise de 2008, que la production de la zone euro n’a pas encore retrouvé les niveaux atteint avant la crise financière.

Des remarques complémentaires de Draghi ont souligné la nature réelle des prétendues « mesures non conventionnelles » adoptées par les autorités financières. « Supposons que nous n’ayons pas agi du tout ? ... Quel serait le contre-factuel ? Et bien sûr, nous estimons que le contre-factuel aurait été une déflation désastreuse, » a-t-il dit.

Autrement dit, les actions de la BCE ne sont pas un programme visant à un vrai rétablissement économique — leur effet le plus important a été d’augmenter la richesse financière et accroitre l’inégalité — mais reviennent à une opération d’attente pour soutenir le système financier et éviter un effondrement comme celui des années 1930. En outre, le fait que le programme a dû être sans cesse élargi, signifie que, non seulement les contradictions sous-jacentes du système financier ne sont pas résolues, mais qu’elles s’intensifient.

À la veille de la réunion de la BCE, le stratège d’investissement en chef de la Bank of America Michael Hartnett a noté que la politique des banques centrales au cours des sept dernières années n’avaient pas stimulé la croissance économique.

« Le ‘pépin de sept ans’, c’est que le narratif sous-jacent des marchés reste déflationniste, malgré 619 réductions des taux d’intérêt au plan mondial, 10,4 billions de dollars d’achats d’actifs financiers par les banques centrales, 9 billions de dollars de la dette globale du gouvernement donnant 0 pour cent — à peu près équivalent à 23 pour cent de toute la dette publique dans le monde », a-t-il dit. Il n’y avait aucun signe de relance monétaire entrainant une accélération du PIB « dans un proche avenir. »

Si les dernières mesures ne feront rien pour stimuler la croissance économique réelle, elle auront néanmoins un impact. Malgré la défense pénible du contraire par Draghi, ils représentent une intensification de la guerre des devises dans lesquelles les pays tentent d’améliorer leur position sur les marchés mondiaux en abaissant la valeur de leur propre monnaie au détriment de leurs rivaux.

Pour tenter de parer à ces critiques, Draghi a souligné la récente réunion du G-20 à Shanghai où « tous les pays ont donné un accord solennel que, fondamentalement, ils éviteraient une telle guerre », mais il a reconnu ensuite que certaines des dernières mesures allaient « déborder sur le marché des changes. »

L’autre impact majeur sera sur les marchés obligataires. Des achats d’actifs supplémentaires augmenteront le prix des obligations et affaibliront les rendements (les deux se déplacent en relation inverse), dans certains cas, en territoire négatif. Cela signifie que l’investissement dans des obligations n’est pas effectué pour assurer un revenu du paiements d’intérêts, mais dans le but de vendre l’obligation à un prix encore plus élevé quand les taux d’intérêt baissent.

Comme l’a commenté un analyste, avec des obligations à rendement négatif, « vous êtes essentiellement en prière pour l'occasion de vendre à un imbécile essentiellement plus grand. »

En d’autres termes, si les mesures de la BCE ne stimuleront pas l’économie réelle, elles contribueront par contre à transformer les marchés obligataires en une gigantesque combine de Ponzi, dépendante de l’afflux continu de liquidités et créant les conditions d’une autre catastrophe financière.

(Article paru d’abord en anglais le 11 mars 2016)

 

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