Arrestations suite à un appel à la démission visant le président chinois Xi

À la veille de l’Assemblée nationale populaire (APN) en Chine, une lettre ouverte de « membres fidèles du parti communiste » a été publiée le 4 mars appelant le président Xi Jinping à « démissionner de tous ses postes à la direction du Parti et de l’État. » La lettre critique sévèrement Xi pour avoir « rassemblé toute la puissance dans [ses] propres mains » et causé au pays des « problèmes et des crises sans précédent dans toutes les sphères, économiques, idéologiques, politiques et culturelles ».

La lettre a été rapidement enlevée de Wujie News, un site Web de l’État, qui a été fermé pour plusieurs jours. Ses propriétaires sont le Parti communiste chinois (PCC) Comité de la région du Xinjiang, le Groupe des médias SEEC qui publie le magazine financier Caijing et l’énorme société de commerce électronique Alibaba.

Une traduction anglaise de cette lettre a depuis refait surface ainsi que des nouvelles qu’une vingtaine de personnes avaient été arrêtées en lien avec sa publication. La BBC a rapporté le 24 mars que parmi elles se trouvaient le journaliste Jia Jia, qui, selon son avocat, a été arrêté le 15 mars alors qu’il tentait de monter à bord d’un vol de Pékin à Hong Kong. Il aurait été libéré le 25 mars.

Un membre anonyme du personnel de Wujie a déclaré à la BBC que seize autres personnes avaient été « enlevées » dont six collègues du site Web et dix autres personnes travaillant pour une entreprise de technologie associée. Un dissident chinois bien connu, Wen Yunchao, vivant à New York affirme que son frère et ses parents ont également été détenus dans la province du Guangdong dans le but de leur faire révéler l’auteur de la lettre. Wen a dit qu’il n’avait rien à voir avec cette lettre.

On ne sait pas qui a écrit cette lettre ouverte qui a d’abord été publiée, selon la BBC, sur un site Web en langue chinoise basé à l’étranger. Néanmoins, le contenu de la lettre indique un profond mécontentement et des luttes intestines entre factions du PCC dans le contexte du ralentissement économique croissant de la Chine et de la confrontation avec Washington et son « pivot » vers l’Asie, et du renforcement de ses capacités militaires contre la Chine.

Depuis sa prise de fonction en 2012, Xi a concentré les leviers du pouvoir entre ses mains. Non seulement il est président du Parti communiste chinois (PCC), président de la Chine et commandant en chef des forces armées, mais il préside également plus de six soi-disant « petits groupes dirigeants » qui définissent la politique dans des domaines clés comme l’économie, la sécurité intérieure et les affaires étrangères.

Xi est arrivé au pouvoir dans le contexte de l’arrestation et de la condamnation de l’ancien chef du parti de Chongqing, Bo Xilai, sur des accusations de corruption. Il a étendu la campagne anti-corruption, aboutissant à l’arrestation de l’ancien chef de la sécurité Zhou Yongkang, partisan de Bo au sein du Comité permanent du Bureau politique du PCC, ainsi que de hauts fonctionnaires qui leur sont associés. Le Comité permanent du Bureau politique est le principal organe de direction du PCC.

La répression contre Bo et Zhou avait pour but de toucher ceux au sein de la bureaucratie du PCC qui sont étroitement associés à de grandes entreprises d’État (SOE). Bo préconisait une protection et une transformation des entreprises publiques en « championnes nationales » pour les rendre concurrentielles sur les marchés mondiaux. Il était aussi lié à des couches de l’armée chinoise qui poussaient à une réaction plus ferme à l’expansion militaire américaine en Asie.

La lettre ouverte ne reflète pas les vues de Bo, mais celles de sections de l’appareil du PCC critiques de Xi pour avoir retardé la restructuration économique pro-marché et ne pas avoir fait assez pour apaiser Washington. Elle accuse Xi de ne pas suivre la maxime de l’ancien haut dirigeant Deng Xiaoping – « cacher sa force et attendre le bon moment » -- permettant ainsi « la réussite du retour des États-Unis en Asie, leur formation d’un front uni avec la Corée du Sud, le Japon, les Philippines et les pays d’Asie du Sud-Est pour contenir conjointement la Chine. »

Dans une attaque cinglante de la politique économique, le document déclare que la direction du Groupe dirigeant des affaires financières et économiques de Xi a « engendré une tourmente sur les marchés boursiers et immobiliers, qui a fait disparaître la richesse de centaines de milliers de gens ordinaires. Des réformes de l’approvisionnement et des politiques de capacité de production ont engendré des licenciements dans les entreprises appartenant à l’État; et la fermeture des entreprises privées a également conduit à de nombreux licenciements. »

La lettre attaque aussi l’initiative phare de Xi « Une route, une ceinture, » visant la construction d’un vaste réseau de liaisons terrestres et maritimes reliant la Chine à l’Europe. Elle fait valoir que le projet a mis « une énorme quantité de réserves de change dans des pays et régions chaotiques sans retour sur investissement. » Elle continue ainsi: « La consommation excessive de réserves de change et les cycles de dévaluation du renminbi ont fait baisser la confiance de tous et conduit l’économie nationale à l’effondrement. Les gens veulent le changement. »

La référence à la chute des marchés boursiers l’an dernier est significative. Le premier ministre Li Keqiang fut étroitement associé à une réponse paniquée incluant l’interdiction des ventes à découvert et de nouvelles offres d’achat et de ventes d’actions par les grands investisseurs. En tant que premier ministre, Li a la charge de la politique économique et a été au centre de l’élaboration du rapport Chine 2030, coécrit avec la Banque mondiale, qui établit de vastes réformes pro-marché destinées à ouvrir davantage le pays aux investisseurs étrangers.

Li n’était pas seul responsable à avoir encouragé la frénésie spéculative sur les marchés d’actions de la Chine, mais il a été marginalisé. Un article paru dans l’Australian Financial Review jeudi dernier, intitulé « Le culte de Xi Jinjing, » disait que Xi avait effectivement relégué les six autres membres du Comité permanent du Bureau politique à des rôles mineurs. « Dans ce cadre, la plus grande victime a été le premier ministre technocrate Li Keqiang, une figure fortement diminuée après que Xi a pris le contrôle de l’économie. »

Tout en continuant la purge de ceux associés à Bo, Xi semble avoir lancé une attaque contre la faction de la Ligue de la jeunesse communiste associée à Li. Le mois dernier, le Beijing Daily a traité les responsables liés à la Ligue d’« aristocrates ambitieux dont les attitudes égoïstes ne servent en rien le parti et conduisent à des scandales. » The Australian rapportait ces commentaires dans un article intitulé « La poussée de Xi pour éliminer ses rivaux et régner à vie comme ‘un autre Mao’ » et pointait une étude de la Commission centrale du PCC pour l’inspection de la discipline qui avait critiqué la « mentalité » des membres de la ligue.

Un lien entre cette lettre ouverte et l’agitation interne au PCC n’est pas certain, mais elle n’est pas seule à critiquer l’accumulation rapide des pouvoirs par Xi – un thème maintenant repris dans les médias internationaux.

Le mois dernier, Ren Zhigiang, un magnat de l’immobilier au franc-parler a vu ses comptes Twitter soudainement fermés après avoir critiqué la visite très médiatisée de Xi à trois grands groupes médiatiques appartenant à l’État – l’agence de nouvelles Xinhua, le Quotidien du peuple et China Central Television (CCTV) – pour insister qu’ils relaient la ligne du parti. Il a été accueilli à CCTV avec une banderole obséquieuse disant: « le surnom de CCTV est ‘le parti’. »

Ren, qui a quelque 37 millions d’adeptes sur Twitter, a publié rapidement une réponse sur Internet demandant: « Depuis quand le gouvernement du peuple s’est transformé en gouvernement du parti? » Dans un autre, il déclarait: « Il ne faut pas utiliser l’argent des contribuables pour faire des choses qui ne fournissent pas des services aux contribuables. » Ren, qui est membre du PCC de longue date et dont le père était vice-ministre du Commerce, a été attaqué par les médias d’État, mais n’a pas été arrêté.

Il est clair que la direction du PCC tente d’éviter que l’affaire ne prenne plus d’ampleur. Un essai de Cai Xia, professeur à la prestigieuse École centrale du parti, déclarait que le traitement de Ren avait « des relents de procès politique. » Son essai a été effacé des sites chinois et condamné par un journal du parti.

Il est significatif que le journal de la Commission centrale de contrôle de la discipline ait publié un éditorial fin février faisant obliquement allusion à l’inquiétude face à la réponse à Ren. « Ceux qui réussissent dans les entreprises puissantes sont toujours ouverts et disposés du fond du cœur à entendre différents points de vue. » Le chef de la commission, Wang Qishan, qui dirige la campagne anti-corruption de Xi et est membre du Comité permanent du Bureau politique, a une relation personnelle de longue date avec Ren.

Dans le monde politique byzantin du PCC, la lettre ouverte est une indication de plus des tensions aiguës générées dans les cercles dirigeants par la montée des rivalités géopolitiques, le marasme économique de la Chine et les signes croissants d’agitation dans la classe ouvrière.

(Article paru d’abord en anglais le 28 mars 2016)

 

Loading