Perspectives

Les défaites de Clinton aux primaires intensifient la crise du Parti démocrate

Bernie Sanders a remporté des victoires écrasantes sur Hillary Clinton dans les caucus (comités électoraux) du Parti démocrate tenus samedi 26 mars dans l'État de Washington, à Hawaii et en Alaska. 

L'ampleur des défaites de Clinton, favorite présumée de la course à la nomination présidentielle, a été très grande dans les trois Etats. Dans les caucus de Washington, Sanders a gagné avec 73 pour cent contre 27 à sa rivale. En Alaska, il a gagné avec 82 pour cent contre 18 à Clinton. Il a remporté les caucus d’Hawaii avec 70 contre 30 pour cent à la favorite. 

Le sénateur du Vermont a remporté six des sept dernières primaires du Parti démocrate dont des victoires mardi dernier dans l'Utah et l'Idaho. Clinton a gagné le même jour dans l'Arizona.

Le taux de participation aux caucus du week-end, qui mobilisent généralement beaucoup moins de participants que les élections, a approché ou dépassé les records de 2008. Au moins 225.000 y ont participé à Washington. Un rapport de l'Atlantic fait remarquer que la victoire de Sanders « a été totale », ajoutant: « Il a pris tous les comtés de Washington et de l'Alaska, il a gagné par des écarts à deux chiffres dans tous les 40 districts ». 

Ces résultats ont intensifié la crise politique dans le Parti démocrate. Même une mince victoire de Clinton sur un candidat se disant « socialiste » serait d'une grande importance. Pendant la campagne des primaires du Parti démocrate en 1968, qui se déroulait dans le contexte d'une opposition en pleine croissance à la guerre du Vietnam, la performance du sénateur Eugene McCarthy dans la primaire du New Hampshire, où il avait reçu 42 pour cent des voix contre 49 pour cent à Lyndon B. Johnson, avait été considérée comme un coup presque fatal au président sortant. Elle a contribué à précipiter la décision de Johnson de se retirer de la course présidentielle trois semaines plus tard. 

Il est extraordinaire que Clinton qui est devenue la personnification politique du statu quo soit non seulement en train de perdre, mais qu’elle se trouve battue dans tant d'Etats. Elle est largement battue dans de nombreux scrutins alors qu’elle est présentée comme la gagnante quasiment inévitable de la primaire. Ses défaites sont un rejet des appels des hauts responsables du Parti démocrate dont Obama, le président, pour que Sanders mette fin à sa campagne. Dans un système politique qui serait de quelque façon sensible au mécontentement populaire, la candidature de Clinton serait considérée comme vouée à l'échec. 

Nonobstant la ligne générale des médias, la question n'est pas tant qui a le plus de délégués, mais la dynamique politique en cours. Même si Sanders ne parvenait pas à dépasser l'avance toujours importante de Clinton, largement en raison des gages des soi-disant « super délégués » – agents permanents du parti, élus et politiciens non élus dans les primaires et les caucus il serait impossible de dissimuler le fait que la porte-étendard du Parti démocrate est profondément impopulaire. 

Le résultat final du processus de nomination, tant pour les démocrates que pour les républicains, reste très volatile et imprévisible. Ce qui est clair cependant, c'est que le système bipartite au moyen duquel la classe capitaliste américaine exerce sa domination depuis près de 150 ans, est en train de s’effondrer. 

La colère sociale qui s’accumule depuis des décennies et s'est considérablement intensifiée depuis le krach de 2008, commence à trouver une expression politique. Les États-Unis sont déchirés par des niveaux extrêmes d'inégalité sociale, une poignée de milliardaires contrôlant plus de richesses que la moitié la plus pauvre de la population. Il faut y ajouter les conséquences déstabilisatrices d'un quart de siècle de guerre sans fin, en particulier dans la décennie et demi de la «guerre contre le terrorisme ».

De plus en plus, cette réalité sous-jacente bouscule la structure sclérosée de la politique américaine. Exprimant le choc que cela a produit dans l'establishment politique, Nicholas Kristof du New York Times a récemment fait l'aveu remarquable que lui – comme le reste des médias – « étaient en grande partie inconscients de la douleur ressentie par la classe ouvrière américaine. »

Si Kristof faisait allusion au soutien obtenu par Trump parmi certaines couches de travailleurs, la trajectoire essentielle de la classe ouvrière américaine n’est pas à droite, mais à gauche.

Le soutien pour Sanders est l'expression initiale de sentiments anticapitalistes largement répandus parmi les travailleurs et en particulier parmi les jeunes électeurs qui n’ont rien vu d'autre que la crise économique et la guerre dans toute leur vie politiquement consciente. Sanders, dont la couverture médiatique a été bien inférieure à celle des autres principaux candidats, a reçu 1,5 million de voix des moins de 30 ans dans le processus des primaires jusqu’à samedi dernier, 300.000 de plus que Clinton et Trump réunis.

Ces chiffres expriment des tendances sociales profondes et des changements correspondants dans la conscience politique. Une étude menée par YouGov publiée plus tôt cette année a révélé que les Américains âgés de moins de 30 ans considéraient le socialisme comme meilleur que le capitalisme (43 pour cent avaient une opinion favorable du socialisme contre 32 pour cent en faveur du capitalisme). Seize pour cent des personnes de moins de 30 ans se décrivaient comme socialistes, alors que seulement 11 pour cent se disaient capitalistes.

Un autre sondage récent a révélé que parmi les 18 à 35 ans, 56,5 pour cent se décrivent comme de la «classe ouvrière», terme quasiment proscrit dans la politique américaine et banni des médias. Le pourcentage de ceux qui se décrivent comme de la « classe moyenne » a progressivement diminué, passant de 45,6 pour cent en 2002 au niveau record de 34,8 pour cent en 2014.

L'ampleur du soutien a pris la campagne Sanders au dépourvu. Il reflète un potentiel politique qui est tout à fait inacceptable pour le candidat et les forces sociales au nom desquelles il parle. Sanders n’a jamais eu l'intention ni le désir de mener un mouvement populaire contre le capitalisme. Dès le début, sa campagne était destinée à servir de soupape de sécurité à l'establishment politique.

A mesure que la campagne progresse, la contradiction entre les objectifs propres de Sanders et les objectifs de ceux qui l’ont soutenu va inévitablement apparaître. Conscient des dangers que cela pose, Sanders a employé un double langage lors des interviews du week-end. Interrogé pour savoir s'il posait des conditions pour approuver Clinton si elle gagnait l’investiture démocrate, y compris qu'elle appuie sa revendication de campagne d’une couverture médicale universelle, d’un salaire minimum de 15 dollars et de la scolarité gratuite dans les universités publiques, Sanders a éludé la question. Il a dit que ses propos avaient été « mal interprétés » pour suggérer qu'il y avait des conditions, tout en évitant de dire directement qu'il soutiendrait Clinton.

Mais quand il a annoncé sa candidature à l'investiture démocrate l'an dernier, Sanders a promis de soutenir le candidat désigné éventuel, quel qu'il soit. Et au cours de la primaire, il a promu à maintes reprises sa campagne comme le moyen le plus efficace d'augmenter le taux de participation pour le Parti démocrate à l'élection de novembre.

Les slogans de la campagne de Sanders – qui dénoncent la « classe milliardaire » et un système politique dominé par l’argent du grand patronat – ne portent que sur certains aspects de surface de la société américaine, mais ne touchent en aucun cas à la source du mécontentement de masse – le système capitaliste lui-même.

Les questions qui pousse la classe ouvrière dans la lutte politique – la lutte contre la guerre, l'inégalité et la destruction des droits démocratiques – ne peuvent être résolues sans une rupture décisive d’avec le Parti démocrate et sans la construction d'un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière sur la base d'un programme authentiquement socialiste. Cela signifie un combat pour unir les travailleurs à travers le monde dans une lutte commune pour renverser le système capitaliste, le remplacer par une économie rationnellement planifiée et démocratiquement contrôlée en fonction des besoins sociaux et non du profit privé.

La crise du système bipartite révélée par l’élection souligne l'urgence de la construction du Parti de l'égalité socialiste pour qu’il intervienne dans les luttes de la classe ouvrière et fournisse la direction révolutionnaire nécessaire. 

(Article paru en anglais le 28 mars 2016)

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