Québec solidaire prêt à gouverner avec le Parti québécois pro-austérité

Sous le couvert de promouvoir l'indépendance du Québec et de barrer la voie aux libéraux, Québec solidaire envisage d'entrer dans un gouvernement dirigé par le Parti québécois – ce parti de la grande entreprise qui a ravagé les services publics, criminalisé les luttes ouvrières et attisé le chauvinisme anti-musulman afin de diviser les travailleurs.

C'est ce qui ressort d'un débat public organisé récemment par le quotidien pro-indépendance Le Devoir, qui coïncidait avec une série d'initiatives lancées par le Parti québécois en vue d'un éventuel «regroupement» des forces indépendantistes. Les deux principaux participants étaient Jean-François Lisée, député en vue du PQ, et Françoise David, députée et porte-parole de QS.

Tout au long du débat, Lisée a proposé une alliance PQ-QS dirigée contre le Parti libéral du Québec aux élections provinciales de 2018. Il a tenu à rappeler qu'il avait déjà travaillé avec Amir Khadir, député et ex-porte-parole de QS, afin de créer les conditions pour une «convergence» de leurs partis respectifs.

David a répondu à ces avances en cherchant à garder ses distances envers le PQ, évoquant par exemple certaines des mesures de droite les plus impopulaires des gouvernements péquistes passés. Mais il est vite devenu clair que Québec solidaire, après avoir évolué pendant dix ans dans l'orbite du PQ, ne désirait rien de plus que s'en rapprocher afin de gravir les échelons vers la respectabilité et un rôle direct dans la gestion du système capitaliste en crise.

Le point tournant du débat fut la déclaration de David que son parti était prêt à entrer dans un gouvernement péquiste si seulement le PQ montrait plus d'ardeur dans la mise en place d'un scrutin proportionnel. «Le PQ l’a proposé dans son programme depuis 1977», a-t-elle dit. «S’il l’avait fait, on serait peut-être au pouvoir ensemble.»

Il s'agit là d'un engagement explicite de Québec solidaire à suivre l'exemple de son modèle grec, Syriza (Coalition de la gauche radicale). Portée au pouvoir en promettant la fin des mesures d'austérité ayant ravagé la Grèce, Syriza répudia rapidement ses promesses électorales, refusa de faire appel aux travailleurs européens contre l'ordre capitaliste existant, plia l'échine devant l'Union européenne et imposa finalement un régime d'austérité encore plus draconien que les précédents.

Tout comme Syriza, Québec solidaire se donne un air «de gauche» mais n'a rien à voir avec la classe ouvrière, et encore moins le socialisme. Formé d'éléments issus des couches supérieures des classes moyennes, notamment des milieux communautaires, féministes et pseudo-marxistes, QS se décrit comme un parti des «citoyens» qui cherche à «démocratiser» le Québec. Son principal champ d'activité c'est le domaine électoral, par lequel il espère parvenir aux portes du pouvoir.

Le mode de scrutin actuel favorise les partis établis et met la barre haute pour leur arracher des circonscriptions traditionnellement acquises. QS craint dans ce contexte qu'une alliance formelle avec le PQ ne mène à sa dissolution au sein de ce parti de la grande entreprise. D'où sa revendication en faveur de la proportionnelle – la répartition des sièges selon le pourcentage du vote total obtenu. QS calcule qu'il pourrait ainsi faire élire un plus grand nombre de députés et augmenter son poids politique lors d'éventuelles négociations pour la formation d'un gouvernement PQ-QS, si la classe dirigeante le juge un jour nécessaire pour accélérer son assaut sur les emplois, les services publics et le niveau de vie des travailleurs.

Un autre facteur d'inquiétude pour Québec solidaire dans ses efforts de rapprochement, c'est que s'il laissait tomber toute apparence d'indépendance envers le PQ, il serait moins apte à jouer son rôle politique central, qui est de donner une couverture de «gauche» au PQ et au projet réactionnaire de l’indépendance du Québec, c'est-à-dire la création d’une nouvelle république capitaliste en Amérique du Nord qui est préconisée par une faction de la bourgeoisie québécoise. Québec solidaire cherche à convaincre cette faction, représentée par le PQ, qu'une coalition de type «arc-en-ciel», laissant plus de visibilité aux éléments des classes moyennes actifs au sein de QS, donnerait plus de légitimité populaire au projet indépendantiste.

Fait significatif, lors du dernier conseil national du Parti québécois, Pierre-Karl Péladeau – le magnat des télécommunications et anti-syndicaliste notoire qui a capturé la direction du PQ – a proposé l’introduction d’une résolution visant à réviser le mode de scrutin pour favoriser une «convergence réelle» avec Québec Solidaire et Option nationale (ON), l’autre parti indépendantiste provincial créé en 2011 par le banquier d’affaires Jean-Martin Aussant.

En préconisant un ralliement de la prétendue «gauche» souverainiste, le PQ cherche visiblement à redorer son image populaire, largement ternie par les compressions budgétaires et mesures anti-démocratiques qui ont marqué son passage au pouvoir. La dernière fois fut en 2012, après que les syndicats eurent détourné un puissant mouvement de grève étudiante derrière un vote électoral en faveur du PQ, avec l'aide cruciale de Québec solidaire. Ce dernier a proposé une alliance électorale au PQ en juin 2012. Il s'est ensuite dit prêt à soutenir un gouvernement minoritaire péquiste de manière inconditionnelle et pour au moins un an.

Le résultat fut une victoire électorale du PQ, qui en profita pour imposer les coupes sociales les plus profondes des dernières années et promouvoir une «Charte de la laïcité» faite pour attiser le chauvinisme anti-musulman, afin de diviser la classe ouvrière et détourner l'attention de ses propres mesures d'austérité. Cette campagne aux forts relents xénophobes fut accueillie comme un débat légitime par Québec solidaire, qui a seulement déploré que le PQ soit allé trop loin.

Rien de tout cela n'aura changé l'orientation de longue date de Québec solidaire envers le PQ. Son président, Andrés Fontecilla, a récemment fait savoir qu’il existe au sein de sa formation un «débat permanent» et un «dialogue très fécond» sur des projets d’alliance avec d’autres partis politiques indépendantistes. Le 19 mars, suite à une journée de réflexion «sur la stratégie d'accession à l'indépendance», QS a émis un communiqué de presse appelant les «autres formations souverainistes» à en faire autant «pour établir une base de discussion».

En fait, QS est depuis longtemps dans une alliance de facto avec le PQ, ON et le Bloc québécois par sa participation à la table de concertation des OUI Québec (anciennement le Conseil de la souveraineté du Québec), qui se qualifie d’organisation «non-partisane de la société civile». Présidée par Claudette Charbonneau, ex-dirigeante de la Confédération des syndicats nationaux, cette table de concertation vise «à développer une feuille de route commune pour aller vers l’indépendance».

OUI Québec affirme s’inspirer de l’exemple de la Catalogne et la coalition Ensemble pour le Oui (Junts pel Si), dans laquelle des forces de la pseudo-gauche catalanes et ce qu’elles nomment des «organisations citoyennes» ont serré les rangs avec les forces de la droite pour remporter plus de sièges au parlement catalan.

En 2015, le PQ, QS et ON avaient envoyé des émissaires pour prendre part à une «mission d’observation» en Catalogne. Le représentant du PQ, Daniel Turp (aujourd’hui le président du tout nouvel Institut sur l’indépendance créé par le PQ) avait dit à l’époque: «Nous avons plusieurs organismes (Mouvement national des Québécoises et des Québécois, la Société Saint-Jean-Baptiste, les OUI Québec) qui pourraient avoir, dans notre propre débat, un rôle analogue à celui qu'ont eu l'Assemblée nationale catalane et Omnium Cultural».

Le site internet Presse-toi à gauche, où publient diverses tendances de la pseudo-gauche et où une influence particulière est exercée par Gauche Socialiste (les partisans québécois du Nouveau parti anticapitaliste français), a lancé son propre débat sur le ralliement des forces souverainistes. Presse-toi à gauche encourage ainsi les «indépendantistes de gauche» à redoubler leurs efforts de longue date pour donner un vernis «progressiste» au projet réactionnaire du séparatisme québécois. Plusieurs ont répondu à l'appel. Le Parti communiste du Québec, par exemple, qui forme une tendance au sein de QS, a appuyé l’idée d’une non-concurrence des forces souverainistes aux élections de 2018.

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