Ébranlé par la victoire de Trump, le Canada propose de renégocier l'ALÉNA

Le gouvernement libéral du Canada a réagi rapidement à l'élection du milliardaire fascisant Donald Trump à la présidence des États-Unis en proclamant, quelques heures seulement après le dépouillement des votes, qu'il était impatient de collaborer avec Trump et son administration d'extrême droite.

Le premier ministre Justin Trudeau a rapidement félicité Trump de sa victoire et l'a ensuite téléphoné pour l'inviter au Canada dès qu'il serait en mesure de le faire. Parlant de sa conversation avec Trump mercredi soir, Trudeau a déclaré jeudi dernier: «Ce fut un appel court, mais un solide début à ce qui va devenir une relation constructive.»

Dans une action que les médias on décrit comme un «geste de bonne volonté», l'ambassadeur du Canada aux États-Unis, David MacNaughton, a annoncé mercredi que le gouvernement Trudeau était prêt à renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) si Trump l'exigeait. Tout au long de sa campagne pour remporter l'investiture républicaine et ensuite la présidence, Trump a dénoncé l'ALÉNA, jurant d'y mettre fin si des changements importants n'étaient pas apportés dans l'intérêt du monde des affaires américain.

MacNaughton a déclaré: «S'ils veulent discuter de l'amélioration de l'ALÉNA, nous sommes prêts à nous asseoir à la table pour tenter de présenter à la nouvelle administration tout ce qui pourrait bénéficier tant au Canada qu'aux États-Unis, et au Mexique, bien sûr.»

Cette réaction rapide pour s'attirer les bonnes grâces de Trump ne pouvait masquer le fait que le résultat des élections de mardi dernier a causé un choc et semé des inquiétudes parmi presque toute l'élite dirigeante canadienne. Le Canada dépend des États-Unis pour environ trois quarts de ses exportations et est le plus proche partenaire stratégique et militaire de Washington sur la scène mondiale depuis sept décennies. Plusieurs craignent que Trump adopte des politiques économiques plus protectionnistes en abandonnant l'ALÉNA et le potentiel Partenariat transpacifique (PTP), et renoncer progressivement aux alliances militaires traditionnelles, telles que l'OTAN, à travers lesquelles la bourgeoisie canadienne défend ses propres intérêts prédateurs.

Le gouvernement Trudeau n'avait pas caché son appui à une présidence Clinton. Des représentants libéraux auraient été régulièrement en contact avec le chef de campagne de Clinton, John Podesta, et d'autres éminents démocrates pour offrir des conseils sur la campagne et discuter le programme d'une administration Clinton. Mais la victoire de Trump a forcé un virage abrupt. Trudeau et son gouvernement ont rapidement adapté leur position pour donner leur appui à ce qui sera l'administration la plus à droite de l'histoire des États-Unis. Selon le Globe and Mail, Trudeau aurait donné à ses députés libéraux la directive de ne pas critiquer publiquement le président élu dans le but de souligner à quel point son gouvernement était engagé à développer un étroit partenariat avec Trump et son administration.

MacNaughton a révélé qu'il y avait eu le mois dernier des pourparlers entre des diplomates canadiens et des membres importants de la campagne Trump, y compris le sénateur Jeff Sessions, pour explorer les possibilités de coopération. Faisant référence à l'ALÉNA, il a même soulevé la possibilité d'un retour à l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis de 1989, le prédécesseur de l'ALÉNA, si Trump décidait d'abandonner l'entente trilatérale.

Une augmentation des tarifs américains et un «élargissement» de la frontière à cause de mesures de sécurité accrues – une autre promesse de la campagne Trump – perturberaient considérablement l'économie canadienne et les chaînes de production dont dépendent l'industrie de l'auto et d'autres industries manufacturières. Une récente étude d'Exportation et développement Canada, l'agence de promotion du commerce du gouvernement canadien, a conclu que près d'un million d'emplois seraient perdus si l'ALÉNA était abrogé.

En tentant de tirer le meilleur parti possible d'une mauvaise situation, et en réaction à la montée du nationalisme économique à travers le monde, le gouvernement canadien a apparemment décidé d'agir de manière préventive sur l'ALÉNA. Son objectif est d'accommoder Trump tout en exprimant les propres demandes des entreprises canadiennes sur les changements à apporter à l'accord commercial trilatéral vieux de 22 ans. MacNaughton a indiqué que dans toute renégociation de l'ALÉNA, le Canada tenterait d'obtenir le «libre-échange» du bois d'oeuvre, un irritant perpétuel dans les relations canado-américaines.

Le gouvernement libéral est aussi inquiet de la position de Trump sur les changements climatiques. Au cours de la dernière année, Trudeau et Obama ont conclu des accords sur l'«énergie propre» dans le but d'exploiter la préoccupation de la population sur les changements climatiques et gonfler les profits des sociétés par le développement et l'utilisation d'énergies renouvelables et propres, autres que les combustibles fossiles. Trump s'oppose à de telles initiatives et cela remet en question la possibilité de mettre en œuvre une taxe du carbone par le gouvernement Trudeau.

Les politiques étrangères et en matière de défense de Trump auront un profond impact sur le Canada, dont l'armée est étroitement intégrée aux forces armées américaines. La politique «l'Amérique d'abord» de Trump et ses vives critiques des alliés de l'OTAN qui ne contribueraient pas suffisamment aux dépenses militaires causent le désarroi, car les libéraux savent bien qu'il n'y a pas d'appui populaire pour le type d'augmentation des dépenses qu'exige Washington. Pour atteindre l'objectif de l'OTAN de dépenses militaires à 2% du PIB, le Canada devrait doubler son budget de défense à plus de 40 milliards $ par année.

Quand on lui a demandé si Trump allait faire pression sur le Canada pour augmenter ses dépenses militaires, MacNaughton a répondu en mettant l'accent sur la volonté du gouvernement libéral à mener des opérations militaires agressives. «Certaines personnes, lorsqu'elles parlent de défense, envoient leurs comptables, tandis que nous avons l'habitude d'envoyer nos soldats. Je pense, a ajouté MacNaughton, que nous avons rempli notre rôle en termes de défense et de l'OTAN.»

En effet, un an sous le gouvernement Trudeau, l'impérialisme canadien continue d'agrandir son rôle déjà important dans les principales offensives militaro-stratégiques de Washington. Le gouvernement Trudeau a intensifié le rôle du Canada dans la guerre au Moyen-Orient en triplant le nombre de soldats des forces spéciales déployés en Irak; il a promis 450 soldats pour diriger une brigade antirusse de l'OTAN en Lettonie dans le cadre de l'encerclement de la Russie par l'OTAN; et il a augmenté la participation du Canada en Asie-Pacifique dans la campagne des États-Unis pour isoler et confronter la Chine.

Les établissements politiques, militaires et de sécurité des États-Unis exigent tous que le Canada en fasse davantage pour appuyer les États-Unis dans leur campagne d'hégémonie mondiale. Le président Obama, dans son discours au parlement plus tôt cette année, a exhorté le gouvernement libéral à atteindre rapidement la cible de 2% de dépenses militaires de l'OTAN.

Pour établir les bases politiques d'une hausse des dépenses militaires, d'une plus grande implication du Canada dans les guerres d'agression et d'une plus importante participation du pays dans le programme de bouclier antimissile des États-Unis, les libéraux effectuent actuellement une révision de la politique de défense.

Néanmoins, d'importantes sections de l'élite dirigeante accueillent les critiques d'Obama, et maintenant celles de Trump, jugeant qu'elles peuvent servir à faire pression pour que le gouvernement hausse radicalement les dépenses militaires et procède rapidement à la «modernisation» des forces armées canadiennes, c'est-à-dire un réarmement. En réponse à une question sur la position de Trump qui demande que les alliés des États-Unis portent une plus grande part des coûts de l'OTAN, David Perry, analyste à l'Institut canadien des affaires mondiales, a dit au Globe and Mail: «Depuis la Deuxième Guerre mondiale, nous profitons de nombreux accords de coopération avec les États-Unis en termes de défense, accords qui sont financés disproportionnellement par les Américains.»

Plus troublante du point de vue de la classe dirigeante canadienne est l'ambivalence de Trump envers l'OTAN, qui est essentielle pour promouvoir les intérêts de l'impérialisme canadien en Europe et contrer la Russie, y compris en Arctique. Le Globe and Mail, qui a pleinement appuyé l'hystérie de droite antirusse des démocrates durant la campagne électorale, a à maintes reprises accusé Trump d'entretenir des liens avec le président russe Vladimir Poutine.

La volonté du gouvernement Trudeau de collaborer étroitement avec la prochaine administration Trump révèle de manière dévastatrice ce que vaut réellement sa posture «progressiste». Dans un certain contraste avec le ton plus agressif qu'ont adopté certains politiciens européens après la victoire de Trump, les libéraux canadiens font tout ce qu'ils peuvent pour céder aux caprices de Trump.

Ayant fait le renforcement de l'alliance Canada-États-Unis un élément central de leur gouvernement, les libéraux sont déterminés à ne pas laisser le démagogue ultra-réactionnaire Trump nuire à leurs plans. Ils mettent ainsi en œuvre le programme de la bourgeoisie canadienne dans son ensemble, qui juge que l'impérialisme canadien ne peut faire avancer ses intérêts mondiaux prédateurs qu'à travers un proche partenariat avec l'impérialisme américain, la force la plus violente et déstabilisatrice sur la planète.

Même si la très grande majorité de la bourgeoisie canadienne préférait Clinton, une petite, mais importante minorité a accueilli la victoire de Trump, parce qu'il défend un programme de vastes baisses d'impôt pour les sociétés et les riches, de privatisations et de déréglementations. Kevin Libin du Financial Post a d'ailleurs publié un commentaire intitulé: «Réjouis-toi, Canada, le président Donald Trump pourrait bien être bon pour toi.» («Cheer up, Canada, President Donald Trump just might be good for you»)

La victoire de Trump a été accueillie par une grande section du Parti conservateur, qui est actuellement en pleine course à la direction pour trouver un remplaçant à l'ex-premier ministre Stephen Harper. Kellie Leitch, une droitiste qui s'est fait connaître dans le gouvernement précédent pour ses positions contre les immigrants, incluant la demande que soit créée une ligne téléphonique de dénonciation des «pratiques barbares», se présente comme la Trump canadienne. Leitch préconise la sélection des nouveaux immigrants selon leur respect des «valeurs canadiennes».

La chef conservatrice par intérim Rona Ambrose, qui a tenté d'adopter un ton plus modéré, a aussi accueilli la victoire des républicains, affirmant que cela ouvrait la voie à la reprise du projet d'oléoduc Keystone XL. Ambrose a exhorté Trudeau, qui appuie aussi le projet, à en faire une priorité, étant donné qu'il a maintenant l'appui du prochain président et du Congrès républicain.

(Article paru d'abord en anglais le 11 novembre 2016)

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