Amanda Taub du New York Times et la «crise de la blancheur»

«The Interpreter» est une rubrique du New York Times de Max Fisher et Amanda Taub qui promet d’explorer «les idées et le contexte derrière les grands événements mondiaux». Manifestement une interprétation, mais sur quelle base et de quel point de vue social? 

L’article de Taub du premier novembre, «Derrière les bouleversements de 2016, la crise de l’identité blanche», n’est qu’un parmi plusieurs articles des médias américains qui blâment les «blancs» pour le caractère sans précédent des élections américaines de 2016 à cause de leur attitude défensive et leur refus du changement.

D’après ce raisonnement, l’appui pour Trump provient d’une couche auparavant privilégiée de la classe ouvrière et moyenne inférieure blanche, qui se sent menacée par le pouvoir croissant des femmes, des noirs, et d’autres groupements sociaux qui étaient «marginalisés» dans le passé.

L’article de Taub est frappant pour plusieurs raisons – tout d’abord, son manque de sérieux et de substance. Le commentaire ne révèle pas une trace de recherche ou de profondeur. Il ne s’agit de rien de plus qu’une série d’impressions et d’affirmations motivées par des présomptions politiques réactionnaires qui ne sont pas explicitement mentionnées.

Qui sont les «experts», qui appuient ses affirmations? Il y a Eric Kaufmann de Birbeck College, University of London, dont les études sensationnalistes concernant l’afflux de fanatiques religieux musulmans en occident (dans Shall the Religious Inherit de Earth? et d’autres ouvrages) a alimenté le sentiment anti-immigrant; Michael Ignatieff, l’ancien chef du Parti libéral du Canada, qui a défendu les politiques de l’administration Bush, incluant la torture, dans The Lesser Evil; et Robin DiAngelo, dont le «domaine d’études», d’après son site, est «l’étude de la blancheur et l’analyse de discours critique, expliquant comment la blancheur est reproduite dans les discours de tous les jours».

Un autre aspect remarquable de la rubrique du premier novembre est le degré avec lequel Taub et d’autres comme elle sont absorbés par l’idéologie raciale. Son article déborde d’exclamations cavalières et sans scrupules concernant la «blancheur» et les croyances et peurs «des blancs» qui ressemblent beaucoup plus aux effusions d’un Alfred Rosenberg, idéologue nazi, qu’à quelconque tradition démocratique aux États-Unis. Un tel langage et jargon ont toujours été du domaine de l’extrême droite.

La «blancheur», affirme Taub, est plus qu’une simple couleur de peau. C’est le privilège de «ne pas être défini comme “l’autre”, [c’est-à-dire, noir, femme, etc.]» À présent, cette identité «semble menacée». Elle continue: «Pendant des générations, les travailleurs blancs ont été doublement choyés: ils ont bénéficié d’un statut privilégié basé sur la race, ainsi que des fruits d’une forte croissance économique.» Leur «sentiment de succès pouvait peut-être même offrir une sorte d’identité. Mais avec le déclin de l'industrie et du secteur manufacturier en occident, emportant avec lui de nombreuses villes ouvrières, les parents et les grands-parents ont compris que les opportunités qu’ils avaient ne seront plus disponibles pour la prochaine génération. Ceci crée un vide à combler.»

«Doublement choyés»! Quel univers imaginaire Taub décrit-elle? La classe ouvrière américaine, autant blanche que noire, a fait des progrès durant la période d’après-guerre sur la base d’énormes luttes et sacrifices. Les capitalistes américains n’ont jamais donné librement. Taub fait tout un plat du fait que pour un moment historiquement bref, il s’avère que beaucoup de travailleurs ont été capables de se sortir de la misère et de ne plus vivre sous la domination quotidienne de l’austérité et la pauvreté. Elle leur en veut clairement pour ceci. En tout cas, comme Taub elle-même l’admet, ces conditions «doublement choyées» ont été détruites ou fortement minées.

Taub invente au fur et à mesure qu'elle écrit.

Elle nous informe par exemple de façon condescendante que la perte de sécurité économique et sociale a accéléré le phénomène connu comme la «fragilité blanche» – «le stress que ressentent les blancs quand ils apprennent qu’ils ne sont ni spéciaux ni la norme; que la blancheur n’est qu’une race parmi d’autres. La fragilité entraîne des sentiments d’insécurité, de défense et même de menace. Et elle peut déclencher une réaction contre ceux qui sont perçus comme des étrangers.» Ce sont de grossières bêtises. En fait, beaucoup de blancs, de noirs, et de travailleurs immigrants identifient correctement les forces qui détruisent leurs vies – les banques, les conglomérats, le gouvernement. Ils savent beaucoup moins ce qu'il faut faire.

Une partie de la colère ressentie par Taub et la superstructure éditoriale du New York Times découle du fait que la population refuse les conseils et les réprimandes de ses «supérieurs» en ne faisant pas la file de façon obéissante pour voter pour Hillary Clinton et le Parti démocrate, le parti du statu quo.

La matière grise du Times, aisée et satisfaite du monde tel qu’il est, est sincèrement incapable de comprendre pourquoi de larges sections de la population américaine bouillonnent de colère. Taub est ses collègues ont des revenus de centaines de milliers de dollars par année, vivent dans des demeures plaisantes et confortables, ont des régimes de santé et de pension généreux, des vacances chaque année dans le sud et ainsi de suite. Que connaît Amanda Taub, universitaire et journaliste bien payée, de la misère sociale en Amérique?

Plus de 40 millions d’Américains en 2015, à un moment ou un autre dans l’année, ne savaient pas d’où viendrait leur prochain repas. Des dizaines de millions de personnes vivent sous le seuil de la pauvreté, ou en sont tout près. Les avantages sociaux et les pensions sont éviscérés, les revenus réels en déclin, et les emplois décents disparaissent. La vie est un cauchemar économique pour une section croissante de la population. Pendant ce temps, une poignée de prédateurs haïs jouissent d’une richesse et de privilèges inimaginables. Taub et ses collègues chez le Times sont beaucoup plus proches de ces derniers cercles et circonstances qu’ils le sont de la réalité qui hante la classe ouvrière américaine.

Les guignols éduqués qui écrivent sur la «crise de la blancheur» omettent toujours un fait, à savoir que la population américaine «blanche» a participé à l’élection de Barack Obama, deux fois. Obama s’est avéré l’instrument direct de la finance de Wall Street et de l'appareil militaire et de surveillance. L’inégalité sociale a augmenté sans précédent sous son administration; les assassinats par drone et les guerres non autorisées et non déclarées ont été des éléments clés de sa politique étrangère. Les sept dernières années ont été une expérience révélatrice. Beaucoup de travailleurs s’attendent à la même chose, avec crainte, d’une présidence d'Hillary Clinton.

Donald Trump, un milliardaire démagogue, a largement tiré son appui du dégoût populaire envers Obama, Clinton et les démocrates, ainsi que leurs défenseurs comme Taub et le Times. Si ce réactionnaire est capable de capter l'intérêt de certaines sections de la classe ouvrière, c’est uniquement à cause des politiques de droite propatronales des démocrates. Le «Trumpisme» et ses sous-entendus fascisants, n’existeraient pas sans le vide créé par l’obsession de la «gauche» pour la race, le sexe et le genre, qui jette les souffrants et désespérés dans les bras de la droite.

Si un mouvement suprémaciste blanc se formait, les arguments de Taub et d’autres n’auraient pas besoin d’être modifiés beaucoup afin de servir à son fondement idéologique. Il suffit de retourner les phrases de Taub et elles peuvent être utilisées par quelconque élément de l'extrême droite. Et soyez certains que si les vents politiques tournaient, et qu’un tel mouvement prenait de l’élan, certains parmi les «politiciens identitaires» d’aujourd’hui joindraient leurs rangs. Intellectuellement ou moralement, rien ne les en empêche. 

(Article paru d'abord en anglais le 3 novembre 2016)

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