Troisième semaine d’offensive à Mossoul : les tensions sectaires montent en Irak

Des troupes gouvernementales irakiennes ont pénétré dans la banlieue est de Mossoul lundi, alors que l’offensive américaine, lancée le 17 octobre pour reprendre la deuxième ville du pays à l’État islamique (ÉI), commençait sa troisième semaine.

Mais les progrès des soldats du gouvernement irakien, des Peshmerga et des milices sunnites et chiites n’ont pas permis de dissimuler le fait que des tensions sectaires croissantes menacent d’énormément intensifier le conflit sanglant en Irak et en Syrie et de faire entrer les grandes puissances dans un conflit militaire direct.

Les forces spéciales du Service de lutte contre le terrorisme (CTS) ont capturé Bazwaya, le dernier village à l’extérieur de Mossoul, lors d’un raid lundi. S’il n’y ait eu aucun reportage sur des victimes civiles, l’Associated Press a fait état de maisons en feu et de bâtiments aux toits effondrés dans le village, où des centaines de familles sont censées se trouver.

Plus tard, on a confirmé que des troupes irakiennes étaient entrées dans le quartier de Karama, dans l’est de Mossoul. Une autre section de l’armée irakienne avançant sur Mossoul depuis le sud reste à environ 16 kilomètres de là.

La coalition dirigée par les États-Unis a également annoncé qu’elle avait mené neuf frappes aériennes pour soutenir l’offensive irakienne dimanche, dont trois à Mossoul et une près de Tal Afar.

Samedi, les milices chiites organisées dans les Unités de Mobilisation Populaire (UMP) ont annoncé une offensive majeure à l’ouest de Mossoul dans le but de capturer la ville de Tal Afar détenue par l’ÉI et de couper les routes de fuite de Mossoul en Syrie. Depuis le début de l’offensive de Mossoul, de nombreux reportages font état d’un nombre important de combattants de l’ÉI battant en retraite via cette route vers Raqqa, ce qui a poussé les responsables russes et syriens à accuser les États-Unis d’avoir délibérément prévu que les choses se passent ainsi.

Les UMP ont promis de rester en dehors de Mossoul. Elles ont été précédemment accusées d’avoir commis des atrocités contre des résidents sunnites suite à la capture de Ramadi et de Falloujah.

En représailles apparentes pour l’offensive des UMP, cinq attentats à la bombe attribués à l’ÉI ont eu lieu dans plusieurs quartiers chiites de Bagdad dimanche, tuant au moins 17 personnes et en blessant beaucoup d’autres. D’autres attaques près de Bagdad, lundi, ont fait 16 morts supplémentaires.

L’offensive des UMP a eu lieu un jour après que des extrémistes islamistes soutenus par les États-Unis ont lancé une contre-attaque contre les troupes syriennes et leurs milices chiites alliées à Alep. Le bombardement sans discrimination de zones civiles par l’ancien Front al-Nusra, affilié à Al Qaida, qui a coûté la vie à des dizaines de personnes au cours du week-end, n’a pas empêché les médias américains de saluer la mission.

Cela démontre une fois de plus le caractère totalement réactionnaire de la politique impérialiste américaine dans la région. Son soutien explicite aux extrémistes islamistes en Syrie a encore enflammé la fracture chiite-sunnite en Irak et en Syrie et pose le danger immédiat d’une nouvelle escalade du conflit dans les deux pays. Ces fortes tensions sectaires ont été grandement exacerbées par l’invasion et l’occupation de l’Irak par les États-Unis en 2003, lorsque Washington a exploité sans pitié les animosités sunnites et chiites pour installer un régime de pantins à Bagdad.

Les milices chiites des UMP, qui sont nominalement sous le contrôle du gouvernement irakien mais qui reçoivent le soutien de l’Iran, ont promis samedi de reprendre ce qu’elles considèrent comme un territoire chiite en Irak, avant de rejoindre le conflit en Syrie du côté du régime d’Assad. « Après avoir nettoyé toutes nos terres de ces bandes terroristes, nous sommes tout à fait prêts à aller dans n’importe quel endroit qui représente une menace pour la sécurité nationale irakienne », a déclaré le porte-parole des PMU Ahmed al-Asadi à Bagdad.

L’intervention des milices chiites soutenues par l’Iran en Syrie mettrait à mal la stratégie de Washington visant à provoquer un changement de régime à Damas, ainsi que la perspective d’affrontements entre les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN d’un côté et l’Iran et la Russie de l’autre.

Lors d’une réunion des ministres russe, iranien et syrien des Affaires étrangères à Moscou vendredi pour discuter du conflit syrien, le ministre syrien des Affaires étrangères Walid al-Muallem a déclaré que son homologue russe Sergueï Lavrov avait accepté de prendre des mesures pour empêcher les combattants de l’État islamique de traverser la frontière irakienne. « Je suis heureux d’entendre M. Lavrov confirmer que nous allons empêcher l’ÉI d’atteindre Raqqa », a-t-il dit. Que cette réunion ait discuté ou non de l’offensive imminente des UMP, il est clair que toute tentative de la part de la Russie ou de l’Iran d’intervenir pour couper le flux de combattants de l’ÉI en Syrie ne ferait qu’accroître davantage le potentiel d’affrontements militaires avec les États-Unis.

La Turquie a réagi avec préoccupation à l’intervention des UMP, avertissant que si la population turkmène significative à Tal Afar était menacée, elle pourrait prendre des mesures militaires pour les défendre. La Turquie a déployé plusieurs centaines de troupes dans une base militaire de Bashiqa, au nord-est de Mossoul, où elle a formé des milices turkmènes sunnites et prêté un soutien militaire à l’avance de Peshmergas sur le territoire de l’ÉI.

En plus de s’opposer à la consolidation par les UMP d’une région dominée par les chiites autour de Tal Afar, Ankara est également troublé par l’influence croissante de l’Iran. Il est déjà en litige avec le gouvernement dominé par les chiites à Bagdad, qui prétend que le déploiement turc à Bashiqa est illégal. Le président Recep Tayyip Erdogan a indiqué dans une série de discours belliqueux au cours des dernières semaines que la Turquie est déterminée à revendiquer un rôle beaucoup plus important en Irak et dans tous les territoires de l’ancien Empire ottoman.

Mercredi dernier, le président américain Barack Obama a passé un appel téléphonique d’une heure à Erdogan pour discuter la stratégie américano-turque en Irak et en Syrie. Il a salué la participation turque dans le nord de la Syrie, où les forces turques sont intervenues pour empêcher l’établissement d’une région contrôlée par le Kurdes à sa frontière, tandis que les deux dirigeants ont réaffirmé leur engagement formel à maintenir les frontières irakiennes.

En réalité, les différentes forces actuellement alignées contre l’ÉI poursuivent des objectifs mutuellement antagonistes qui menacent de déchirer l’Irak. Selon certaines informations, les troupes gouvernementales irakiennes qui avancent ont déployé des banderoles et des drapeaux chiites dans des zones qu’ils ont prises, y compris la ville chrétienne de Bartilla. « L’armée irakienne empêche nos gens de pénétrer à l’intérieur de Bartilla », a déclaré le président du parti démocrate chrétien Bet-Nehrain, Romeo Hakari à Voice of America.

Le Premier ministre du gouvernement régional du Kurdistan (KRG) Netchirvan Barzani a déclaré à un journaliste du quotidien allemand Bild, vendredi, que la conclusion de la mission de Mossoul serait suivie par une nouvelle poussée pour l’indépendance kurde. Après la reprise de Mossoul, a-t-il déclaré, les responsables kurdes rencontreront « des partenaires à Bagdad et parleront de notre indépendance ». « Nous ne sommes pas Arabes, nous sommes notre propre nation kurde. À un moment donné, il y aura un référendum sur l’indépendance du Kurdistan », a-t-il ajouté.

Le conflit croissant pour Mossoul a déjà forcé plus de 17 000 civils à fuir leurs maisons. Les médias américains et l’establishment politique ont cherché à préparer l’opinion publique au nombre élevé de victimes civiles en répétant les informations que l’ÉI utiliserait les résidents locaux comme des boucliers humains. Les pertes civils suite aux frappes aériennes menées par les États-Unis ou aux opérations des forces gouvernementales irakiennes sont en grande partie cachées, y compris l’appel lancé par Human Rights Watch pour une enquête sur une frappe aérienne alléguée la semaine dernière qui a tué entre 15 et 20 civils lors d’un enterrement près de Kirkouk.

Les Nations unies estiment que plus d’un million de personnes seront forcées de fuir, mais les places dans les camps, y compris dans ceux qui ne sont pas encore construits, ne devraient pas dépasser les 500 000. Les travailleurs humanitaires craignent également l’effet sur les civils qui fuient sans avoir emporté d’affaires personnelles à l’approche du froid hivernal.

L’aggravation des divisions sectaires qui se répandent dans toute la région depuis le déclenchement de l’offensive de Mossoul soutenue par les États-Unis ne fait que souligner le fait qu’aucune des puissances impliquées n’offre une sortie du bain de sang qui engloutit la population du Moyen-Orient. Alors que la principale responsabilité de la mort et de la destruction semées en Irak et en Syrie incombe à l’impérialisme américain, qui mène des guerres quasi-ininterrompues dans la région depuis un quart de siècle, les tentatives de la Russie et des puissances régionales comme la Turquie et l’Iran pour défendre leurs propres intérêts ne font que jeter de l’huile sur le feu.

(article paru en anglais le 1 novembre 2016)

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