La crainte du « Brexit dur » cause la dégringolade de la livre britannique

L’interaction de plus en plus forte entre les tensions géopolitiques croissantes et la volatilité du marché financier a pris une expression dramatique vendredi lorsque la livre britannique a chuté au début des échanges à l’ouverture des marchés financiers asiatiques.

La livre a dévissé de 6 pour cent en à peine deux minutes suite à des rapports selon lesquels le Royaume-Uni déciderait de faire un « Brexit dur », c’est-à-dire une rupture nette avec l’Union européenne (UE) au lieu d’un retrait limité qui maintiendrait un accès au marché commun.

Ce plongeon a coïncidé avec des informations sur l’adoption d’une position intransigeante par François Hollande quant aux termes du retrait britannique – dont les négociations devraient débuter en avril prochain d’après la Première ministre britannique Theresa May.

« Le Royaume-Uni a décidé de faire un Brexit, je crois même un Brexit dur ». a dit Hollande. « Et bien, il faut aller jusqu’au bout de la volonté des Britanniques de sortir de l’Union européenne. Nous devons avoir cette fermeté. Si nous ne l’avons pas, nous mettrons en cause les principes mêmes de l’Union européenne. La fermeté, c’est en fait l’assurance que l’Europe pourra préserver ses principes ».

Hollande a prévenu qu’à moins d’une attitude ferme, d’autres pays chercheraient à sortir de l’UE en préservant les avantages d’une adhésion mais sans en avoir les obligations.

« Il faut qu’il y ait une menace, il faut qu’il y ait un risque, il faut qu’il y ait un prix, sinon nous serons dans une négociation qui ne pourra pas bien se terminer ». Ses propos furent prononcés lors d’un dîner jeudi soir au moment de l’ouverture des marchés asiatiques.

Les premiers commentaires sur le plongeon de la livre, qui fut suivi d’une récupération d’une grande partie de ses pertes, l’ont imputé à un fat finger [gros doigt en français, désigne une erreur de quantité dans un ordre] ou à un déclenchement d’algorithmes incontrôlés dont les effets ont été amplifiés par le peu d’activité sur les marchés asiatiques.

Cependant, la chute rapide – la plus forte dégringolade de la livre sterling depuis la baisse de 11,1 pour cent le jour du résultat du référendum sur le Brexit, le 24 juin – fut suivie par une chute continue de la livre cette semaine. Ce vendredi 7 octobre, elle atteignait 1,1831 dollar contre environ 1,50 dollar la veille du référendum et avant de revenir à 1,2434 dollar. Une baisse de 1,4 pour cent sur l’ensemble de la journée et de 4,2 pour cent sur la semaine.

Dans le but d’apaiser les marchés, le chancelier de l’Échiquier [ministre britannique des finances et du trésor], Philip Hammond, a publié un communiqué à Washington, où il participe à des réunions du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. S’exprimant devant les journalistes, il a nié que le gouvernement ait décidé d’appliquer la stratégie d’un « Brexit dur ». La seule chose à avoir changé serait l’indication claire par May du calendrier concernant l’invocation de l’article 50, le processus officiel enclenchant les négociations officielles sur la décision britannique.

Les remarques de Hammond ne contribueront guère à ramener le calme à long terme. En décrivant vendredi la situation comme connaissant des « turbulences », il a dit s’attendre à ce qu’elles se poursuivent au cours de ces prochaines cinq années pendant la durée des négociations.

La question clé est de savoir si tout en quittant l’UE, la Grande-Bretagne fera encore partie de l’union douanière européenne. Si la Grande-Bretagne rompait totalement, alors les relations commerciales avec l’UE suivraient les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au lieu des accords actuels de l’UE sur le marché commun – une situation qui aurait un effet défavorable sur les sociétés britanniques.

Hammond a déclaré qu’aucune décision n’avait été prise à propos de l’union douanière et que le gouvernement britannique était « en train d’élaborer notre stratégie de négociation ».

Les chefs d’entreprise britanniques craignent que le gouvernement choisisse la voie du « Brexit dur ». Selon un article paru dans le Financial Times, une lettre adressée par la Confederation of British Industry (CBI) à la Première ministre précisait que tout départ du Royaume-Uni (R-U) devait maintenir des liens spéciaux avec le marché commun.

Le CBI a dit qu’un accès sans obstacle au marché unique « est vital pour la santé de l’économie du R-U, notamment pour notre secteur manufacturier et celui des services », et que le gouvernement « devrait offrir un cadre sûr aux entreprises en excluant sur le champ et à tout prix cette option [les règles de l’OMC]. »

La crainte d’un « Brexit dur » a été aggravée par le discours populiste employé par May dans son allocution prononcée à la conférence annuelle du parti conservateur et dans lequel elle dénonçait une « élite internationale ».

Le CBI a remarqué : « Le gouvernement doit établir un plan de route clair pour dialoguer avec les entreprises de toutes tailles et de tous les secteurs afin d’accroître la confiance montrant que ces décisions complexes sont prises sur la base de faits et d’une véritable compréhension des implications économiques ».

Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a dit qu’il pensait que la chute soudaine de la livre, qui fut suivie par une reprise, était d’ordre technique et qu’il avait demandé à la Banque des règlements internationaux d’entreprendre une enquête.

La réaction des observateurs du marché au plongeon de la livre a montré qu’ils le considéraient comme bien plus qu’un simple « krach éclair » (flash crash).

Hans Redeker, le responsable de la stratégie sur les changes chez Morgan Stanley, a dit que le nouveau gouvernement britannique semblait « suivre une voie économique qui pourrait comporter d’importants risques » et que l’évocation d’un « Brexit dur » a aggravé le problème.

La stabilité de la livre est vitale pour l’économie britannique. Celle-ci est tributaire d’un afflux de capitaux étrangers pour le financement du déficit de sa balance courante qui se situe à 6 pour cent de son produit intérieur brut. Si les marchés financiers craignent une nouvelle dévaluation substantielle de la livre, ces fonds pourraient se tarir.

Selon Ulrich Leuchtmann de la banque allemande Commerzbank, le risque d’une dévaluation massive de la livre sterling a augmenté.

« Il n’est donc pas surprenant que nous ayons plutôt des situations où personne ne veut offrir un marché pour la vente de livres sterling », a-t-il dit au Financial Times. « Le flash crash a été plus qu’une anomalie du marché. Il est aussi un signal qu’un « arrêt brutal » du financement de la balance courante est désormais plus probable ».

L’effet de la chute de la livre sterling s’est fait sentir sur d’autres marchés financiers. Le marché boursier britannique a connu une hausse parce que les actions sont devenues moins chères en raison de la faible valeur de la livre. Cependant, le rendement des bons du trésor à échéance de dix ans – qui évolue en sens inverse de son prix – a grimpé de 11 points de base (0,11 points de pourcentage), terminant la semaine en hausse à 23 points de base, tout juste sous la barre de 1 pour cent.

Si les taux d’intérêt continuent d’augmenter en raison de la chute de la livre, ceci aura un effet d’entraînement sur les marchés financiers qui sont devenus de plus en plus tributaires d’entrées d’argent bon marché pour le financement de la spéculation dont la City de Londres est l’une des principales places mondiales.

(Article original paru le 8 octobre 2016)

 

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