1937: Quand les travailleurs de l’auto canadiens et américains luttaient côte à côte

Plus de 20.000 travailleurs de l’automobile chez Ford, GM et Chrysler sont présentement en lutte pour défendre leurs emplois et leurs conditions de travail face aux trois grands de l'automobile qui, avec le plein appui de la bureaucratie du syndicat Unifor, tentent d’imposer des concessions au nom de «l’investissement» et la «sécurité d’emploi».

Depuis plus de trois décennies, Unifor et son prédécesseur, les Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA), tout comme les Travailleurs unis de l'automobile (United Auto Workers, UAW) basés aux États-Unis, ont saboté toutes les tentatives des travailleurs de combattre les fermetures d’usines, le démantèlement des pensions, la réduction des avantages sociaux et l’établissement de salaires beaucoup plus bas pour les nouveaux employés.

Une contre-offensive contre les patrons de l’automobile et leurs serviteurs des syndicats exige que les travailleurs s’inspirent des expériences de décennies de luttes. Celles-ci comprennent non seulement d'amères défaites et trahisons, mais également des combats de classe courageux, voire révolutionnaires dans les années 1930 (ne serait-ce que de façon embryonnaire), des travailleurs de la base. L’une de ces luttes, qui contient des leçons critiques pour aujourd’hui, était la grève de 1937 par des travailleurs de GM à Oshawa, qui représente un point tournant dans le développement du syndicalisme industriel au Canada. 

La grève à General Motors, Oshawa, Ontario, 1937 (Walter P. Reuther Library - Wayne State University)

La grève qui a commencé dans les usines de GM à Oshawa le 8 avril 1937 faisait partie d’un soulèvement international de la classe ouvrière. Les travailleurs de GM Canada étaient inspirés par les actions de leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, qui dans les mois précédant le débrayage de Oshawa avaient mené la fameuse grève avec occupations de 44 jours au centre des opérations de GM à Flint, Michigan. La victoire de Flint a précipité une éruption de luttes ouvrières à travers les États-Unis et une rapide croissance des rangs du syndicat UAW qui avait été formé récemment.

Il y eut 477 grèves sauvages aux États-Unis en 1937, impliquant environ 500.000 travailleurs. La première section de l'UAW au Canada, la section locale 195 chez Kelsey Wheel à Windsor, a été agréée le 9 décembre 1936, après la première occupation d’usine enregistrée au Canada.

Les occupations d’usines furent le résultat d’un soulèvement sans précédent de la classe ouvrière américaine, en commençant par les trois grèves générales de Minneapolis, San Francisco et Toledo en 1934, et une radicalisation des travailleurs à l’échelle internationale qui trouva une expression dans la Révolution espagnole de 1936 et la grève générale en France de la même année. Des travailleurs d’orientation socialiste, y compris des membres des partis socialistes et communistes et du mouvement trotskyste, ont joué les rôles dirigeants dans ses luttes de classes. Le soulèvement de la classe ouvrière aux États-Unis et au Canada ne pouvait que se développer à travers une rébellion contre les syndicats de métiers de la American Federation of Labour, et sa contre-partie canadienne, le Trades and Labour Congress (TLC), et la formation de nouvelles organisations en 1935, le Congress of Industrial Organisations, ou CIO.

De Flint à Oshawa

C’est dans ce contexte que 200 travailleurs de la métallurgie ont déposé leurs outils dans les usines de GM à Oshawa le 15 février 1937, en réponse à la décision de GM d’augmenter la production de 27 à 32 unités. La campagne d’accélération de GM était presque certainement une tentative de récupérer une partie des pertes de production causées par l’occupation à Flint. Même s’il s’agissait du déclencheur immédiat pour la dispute, les travailleurs étaient également outrés par les coupures des salaires que la compagnie avait imposées vers la fin de 1936 malgré ses profits records, sans mentionner les conditions de travail généralement misérables et la menace constante de licenciements. Les salaires réels en 1937 avaient baissé de 20 pour cent depuis 1920. 

Des grévistes montant la garde aux fenêtres de l’usine de carrosserie numéro trois, Flint, Michigan

Les grévistes ont demandé l’appui de l'UAW à Détroit et dans les jours qui ont suivi, Hugh Thompson, un organisateur de l'UAW a été envoyé à Oshawa pour aider la lutte. Les travailleurs sont d’abord retournés au travail après conseil de Thompson, qui a commencé à inscrire des travailleurs à l'UAW. L’effort d’organisation s’est rapidement répandu dans d’autres entreprises de la ville, avec des travailleurs qui ne faisaient pas partie de l’industrie de l’automobile.

L’appel de l'UAW à Detroit n’était pas une simple décision tactique. Il était motivé par la conviction de longue date et répandue selon laquelle les travailleurs canadiens et américains avaient des intérêts communs. Depuis l’émergence des Chevaliers du travail en 1870, des mouvements ouvriers militants avaient rapidement traversé la frontière séparant le Canada des États-Unis. C’était vrai du IWW (International Workers of the World) au début du 20e siècle et des syndicats industriels apparus dans les années 1930.

Début avril 1937, avec le refus de la part de GM de reconnaître la légitimité de l'UAW et le plein appui du gouvernement libéral provincial de Mitch Hepburn pour la compagnie, les 4000 travailleurs de GM Oshawa votent pour la grève. Leurs demandes comprennent la reconnaissance de l'UAW en tant qu’agent officiel des négociations, la journée de huit heures et une semaine de travail de 40 heures, des droits d’ancienneté, un délégué ainsi qu’un comité de plaintes.

La grève à General Motors, Oshawa, Ontario, 1937 (Walter P. Reuther Library - Wayne State University)

Face à une lutte militante dans un centre industriel majeur à une courte distance de Toronto, et la menace embryonnaire d’un soulèvement de la classe ouvrière nord-américaine, GM et les libéraux d’Ontario ont tenté de diviser les travailleurs sur la base du nationalisme canadien réactionnaire. GM a justifié son refus de reconnaître l'UAW en décrivant ses dirigeants comme des «agitateurs payés par l’étranger», une description répétée par le premier ministre libéral Hepburn qui se moquait du syndicat en disant qu’il était non-canadien et dominé par des étrangers.

En décembre 1936, seulement quelques mois avant la grève, Hepburn dénonçait le CIO en disant qu’il «voulait passer des ordres à l’industrie canadienne», tout en ajoutant ceci: «Après avoir examiné les activités de ces agitateurs étrangers et le chaos qu’ils ont créé aux États-Unis, je suis certain que la politique telle qu’ils la dictent consistera en revendications de plus en plus impossibles, se traduisant en pertes énormes et toujours grandissantes des revenus d’exportations dont bénéficie présentement l’industrie automobile de l’Ontario.»

Le gouvernement provincial libéral a également pris des mesures pour réprimer la grève. Hepburn a organisé une police volontaire anti-grève de quelques 300 à 400 individus, composée d’officiers de police, de vétérans de guerre, et d’étudiants universitaires dans le but explicite de briser violemment la grève. Le déploiement de cette force, que les grévistes ont surnommée «les hussards de Hepburn», a été bloqué par la solidarité des grévistes à Oshawa, l’appui des travailleurs de Oshawa et de Toronto, et la peur de la classe dirigeante qu’une confrontation directe provoquerait une rébellion ouvrière beaucoup plus importante.

Des réunions de masse et des manifestations ont eu lieu à Oshawa, y compris une manifestation de 5.000 personnes sur une population totale de seulement 25.000 personnes à l’époque. Des fermiers et propriétaires de petites entreprises ont offert de la nourriture et du crédit aux travailleurs en grève.

Le succès de la grève de 1937, qui a permis aux travailleurs de GM d'obtenir gain de cause sur leurs revendications principales après une lutte de deux semaines, découlait de l’esprit révolutionnaire et du militantisme des travailleurs, guidés par un internationalisme instinctif qui aspirait à unifier les luttes menées contre les patrons capitalistes et leur États par les travailleurs au Canada avec des luttes similaires aux États-Unis et outre-mer. Bien que GM avait refusé de reconnaître l'UAW formellement dans l’entente qui a mis fin à la grève le 23 avril, en pratique, la section UAW avait négocié au nom des travailleurs. 

Grévistes à Oshawa, Ontario, 1937 (Collection Thomas Bouckley)

Le soulèvement de masse des travailleurs à travers les États-Unis et le Canada dans le milieu des années 1930 a été politiquement étouffé en fin de compte par les dirigeants des syndicats industriels, aidés et couverts par les Partis communistes stalinisés. Le CIO a maintenu la subordination de la classe ouvrière aux représentants politiques de la grande entreprise, à Roosevelt et au Parti démocrate aux États-Unis, et aux libéraux au Canada. Avec leur politique du «Front populaire», qui prétendait que les travailleurs devaient appuyer les «capitalistes progressistes» afin de combattre le fascisme, les Partis communistes stalinisés ont aidé les syndicats à empêcher la transformation du soulèvement ouvrier en lutte politique contre le capitalisme en son ensemble.

Dans les décennies qui ont suivi, les syndicats ont fortement dégénéré vers la droite. Entièrement voués au système de profit capitaliste, l'UAW est devenu le rempart du Parti démocrate et a maintenu la subordination politique de la classe ouvrière canadienne aux libéraux et aux réformistes de la Cooperative Commonwealth Federation (CCF) et son successeur, le Nouveau parti démocrate (NPD).

En même temps que la bureaucratie syndicale aux États-Unis, les syndicats canadiens ont mené une purge brutale contre les militants socialistes et gauchistes au début de la guerre froide et ont promu un nationalisme pro-impérialiste et un anti-communisme virulents.

La division de l'UAW sur des lignes nationales

Dans le contexte du boom d’après-guerre, les syndicats ont fait des gains matériels limités pour les travailleurs, tout en servant de police politique de la classe ouvrière. Mais vers la fin des années 1970, ils se sont trouvés face à une crise grandissante. Ils n’avaient pas de réponse progressiste face à la mondialisation de la production, qui a mis fin à toute possibilité pour les travailleurs de faire des gains dans le cadre de l’État-nation, et fourni la base objective de l’offensive lancée par l’élite dirigeante, personnifiée par l’émergence de Reagan et Thatcher, contre la classe ouvrière.

Dans les années subséquentes, ils ont systématiquement répudié toute tradition de lutte ouvrière et adopté à bras ouverts la perspective qu'il n'existe aucune différence entre les intérêts des travailleurs et ceux des investisseurs capitalistes auxquels ils sont subordonnés, tout en assurant leurs privilèges en siégeant sur des comités de gestion et en imposant concessions et licenciements.

Le syndicat UAW à été le fer de lance de ce développement. Aux États-Unis, les bureaucrates ont mis de l’avant le nationalisme réactionnaire «achetez américain» et ont été des complices dociles des mises-à-pied et des attaques contre les salaires et conditions de travail. Durant la banqueroute de Chrysler de 1979, l'UAW a organisé des fermetures d’usines, la destruction de milliers d’emplois syndiqués et des réductions salariales sans précédent, pendant que le président de l'UAW Douglas Fraser prenait place au conseil d’administration de Chrysler. 

Grévistes GM à Windsor, Ontario en 1984

Au Canada, quand les travailleurs se sont révolté contre les politiques de concession de la direction de l'UAW, l’aile canadienne de l'UAW, sous la présidence de Bob White, a oeuvré pour contenir et étouffer l’opposition en la dirigeant sur une voie nationaliste. Bien que des travailleurs américains ont mis pression pour que la direction canadienne de l'UAW lance un appel aux travailleurs américains pour une lutte commune contre les concessions, White était têtu dans son opposition. Il a insisté que la question était nationale, et ne concernait pas les intérêts communs des travailleurs de l’automobile, des deux côtés de la frontière.

Reposant sur les arguments réactionnaires anti-ouvriers, qui ne diffèrent essentiellement pas de ceux mis de l’avant par les patrons et politiciens capitalistes dans les années 1930, White prétendait faussement que les travailleurs canadiens de l’automobile avaient besoin de leur propre organisation séparée et que leurs emplois et salaires ne pouvaient être défendus que sur la base d’une perspective nationaliste. En 1985, la direction de l'UAW canadien a divisé le syndicat international en deux pour former les Travailleurs canadiens de l'auto (TCA), répudiant tout comme le faisait l'UAW, les traditions militantes à l’origine du syndicat.

Bob White

Lors de la fondation des TCA, White a prétendu qu’il serait plus militant que le syndicalisme corporatiste pratiqué par l'UAW au sud de la frontière. Cependant, la perspective nationaliste et pro-capitaliste des TCA a frayé la voie à des concessions sans fin, alors que l'UAW et les TCA dressaient les travailleurs américains et canadiens les uns aux autres dans une course vers le bas qui continue jusqu’à ce jour.

Les travailleurs de l’auto canadiens chez GM, Ford et Chrysler ne pourront faire avancer leur lutte contre l’assaut mené sur les emplois et les conditions de travail par les patrons et leur complices syndicaux que s’ils rejettent cette vision nationaliste. Il faut ressusciter et renforcer les traditions internationalistes des années 1930, quand les travailleurs canadiens et américains ont uni leurs destins.

Ce ne sera pas fait par une faction de la bureaucratie syndicale, mais devra être gagné dans une lutte impitoyable menée par les travailleurs contre Unifor. Ce que les luttes courageuses des années 1930 démontrent avant tout, c’est les travailleurs doivent construire leur propre parti, basé sur un programme socialiste, pour mobiliser les travailleurs dans l’industrie automobile, les unir avec leurs frères et sœurs de classe à travers le Canada et internationalement, afin de fournir une direction politique à leur lutte contre les patrons de l’auto et toute l’élite capitaliste.

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