L'International Socialist Organization soutient l'escalade de l'OTAN en Syrie

Les arguments avancés par l'International Socialist Organization (ISO) pour soutenir la guerre des États-Unis et de l'OTAN en Syrie sont presque identiques à la propagande de la CIA publiée par le New York Times. Un exemple récent et, il faut le dire, particulièrement sale de la propagation par l'ISO du récit de la CIA est l'article d'Ashley Smith, "L'anti-impérialisme et la révolution syrienne", affiché le 25 août sur socialistworker.org, le site web de l'ISO.

Le WSWS a souvent fait remarquer que la campagne de l'ISO pour promouvoir l'intervention américano-otanienne en Syrie suit de près les initiatives du gouvernement américain. Le 25 août, le Times a publié des articles de deux chroniqueurs, Roger Cohen et Nicholas Kristof. Ces messieurs se spécialisent dans la promotion des guerres de la CIA en tant qu'interventions « humanitaires » parmi les milieux libéraux aisés influencés par le Times. L'essai de Cohen est intitulé «La retraite de l'Amérique et l'agonie d'Alep ». Kristof a choisi un titre encore plus provocateur pour son appel à l'intensification des bombardements: « Anne Frank aujourd'hui est une fille syrienne ».

Cohen et Kristof ont tous deux employé la méthode cynique qui consiste à faire un plaidoyer moral et strident pour la guerre en invoquant le spectre de tragédies passées. Kristof a exploité la mémoire d'Anne Frank, Cohen celle des combats à Sarajevo aux années 1990. Les deux chroniqueurs ont pris la posture de prophètes solitaires tentant d'influencer la conscience d'un monde insensible.

Cohen s'écriait: "[Alep] est bombardé: Quoi de neuf ? ... Dans quels grands dîners à Londres, Paris, Berlin, ou à Washington est-ce discuté? Quels journalistes occidentaux peuvent être présents pour rendre compte jour après jour de leur indignation face à la mutilation d'une ville? Qui se souvient que, il y a six ans à peine, on parlait d'Alep en tant que nouveau Marrakech, un endroit pour acheter une maison de vacances? Alep est seul, seul sous les bombes d'avions russes et syriens, seul face aux caprices violents du président Vladimir Poutine et du président Bachar al-Assad ".

L'essai d'Ashley Smith, également publié le 25 août, a utilisé le même modèle de propagande. Lui aussi, fouilla dans le passé à la recherche d'un événement historique qui pourrait émouvoir un lectorat de gauche. Il a choisi d'évoquer pour sa polémique pro-impérialiste les luttes historiques des mineurs de charbon du comté de Harlan, Kentucky!

Singeant la chansonnière syndicaliste Florence Reese, Smith déclame: « ' What side are you on?' [De quel côté êtes-vous?] » Quels sont donc les « côtés »? « Soutenez-vous la lutte populaire contre la dictature et pour la démocratie? Ou êtes-vous avec le régime brutal de Bachar al-Assad, son soutien impérial la Russie, son allié régional Iran et les mandataires de l'Iran comme le Hezbollah du Liban? Malheureusement, un trop grand nombre ont échoué à cette épreuve ».

Pour Smith, ceux qui ont «échoué» sont ceux qui ne soutiennent pas les milices islamistes armées par Washington en Syrie, et qui s'opposent au déclenchement d'une guerre plus large avec la Russie et l'Iran. Arguant entièrement du point de vue des agents de la CIA qui approvisionnent les milices islamistes, il critique le gouvernement Obama pour ne pas avoir suffisamment armé ces milices.

Ajoutant qu'Obama comptait sur « des dirigeants pro-Washington fiables associés à l'insurrection», Smith écrit: « Son administration a espéré utiliser les personnages du côté rebelle pour fournir un nouveau visage pour la dictature de la Syrie. Mais Assad s'est maintenu dans une large mesure grâce au fait que les États-Unis, tout en acceptant de fournir certaines armes aux rebelles, leur ont refusé les armes lourdes qu'elles leur ont prié de fournir afin d'arrêter l'assaut du régime ».

Ce plaidoyer pour la guerre n'est qu'un tissu de mensonges. Elle se fonde sur une fausse dichotomie: en Syrie, selon Smith, on soutient soit une guerre américaine pour la «démocratie», soit Assad et le régime russe, auxquels il colle l'étiquette «impérialiste» pour essayer de les rendre plus odieux.

Quand Smith écrit qu'il soutient une guerre populaire pour la démocratie, il n'a aucune crédibilité, vu qu'il avoue ensuite que Washington compte utiliser l'opposition pour mettre en place une dictature fantoche en Syrie.

Les arguments de Smith sont absurdes, mais ils ont une fonction politique. L'ISO fournit une façade de « gauche » aux milieux diplomatiques et du renseignement liés au Parti démocrate.

Les arguments de Smith leur fournissent une calomnie toute faite contre l'opposition socialiste à la guerre: toute opposition aux guerres démocrates équivaut à soutenir « l'impérialisme » chinois et, en particulier, « l'impérialisme » russe .

La ressemblance entre cet argument et la propagande anti-communiste de la CIA pendant la guerre froide n’est pas une coïncidence. Elle ressort de l'histoire de l'ISO, qui descend de la rupture de Max Shachtman avec le trotskisme et le marxisme en 1939-1940. Shachtman est ensuite devenu un théoricien anti-communiste de la centrale syndicale AFL-CIO, partisan du Parti démocrate et défenseur de l'impérialisme américain.

Shachtman (1904-1972) rejeta la défense de l'Union soviétique contre l'impérialisme, et par la suite du régime chinois qui émergea de la révolution de 1949, en les traitant de « régimes collectivistes bureaucratiques ». Sur la base de cette variante de la théorie du « capitalisme d’Etat, » Shachtman soutint finalement la guerre américaine au Vietnam.

L'URSS n'existe plus. Elle fut dissoute en 1991 par le régime stalinien bureaucratique dirigé par Mikhaïl Gorbatchev. Le gouvernement post-soviétique – dirigé par Boris Eltsine, un ancien apparatchik stalinien – rétablit brutalement le capitalisme. Cette expérience a confirmé l'analyse trotskyste de la bureaucratie comme une caste parasitaire (pas une classe), sans fonction historique indépendante. Cela réfuta également les innombrables variantes de la théorie de Shachtman, qui insistaient que la bureaucratie soviétique représentait un « capitalisme d'Etat » et un nouveau système historique d'exploitation de classe.

Avant 1991, les trotskystes appelaient à une révolution politique en URSS, qui renverserait la bureaucratie tout en défendant les relations de propriété nationalisée établies au lendemain de la révolution d'Octobre 1917. C'était le contenu révolutionnaire de la «défense de l'Union soviétique ». Mais après la dissolution de l'URSS en 1991, il était impossible de transférer en bloc les politiques et les conceptions liées à la défense de l'URSS contre l'impérialisme au nouveau régime capitaliste en Russie.

Les marxistes rejettent toutefois la définition de la Russie et de la Chine comme «impérialistes», une définition qui est fausse du point de vue de l'histoire, de l'économie et de la politique. Nous nous opposons également aux préparatifs massifs de l'Otan pour une guerre contre la Russie et la Chine.

Les descendants politiques de Shachtman ont simplement transféré l'étiquette impérialiste qu'ils avaient collée à l'URSS à la Russie capitaliste. Leurs raisons sous-jacentes avaient moins à voir avec la théorie qu'avec des intérêts politiques. Malgré la dissolution de l'URSS, l'Etat russe – en vertu de sa présence géographique – bloquait la projection de la puissance américaine au Moyen- Orient et en Eurasie. C'est la source de tensions constantes entre les Etats-Unis et la Russie.

L'héritage idéologique du shachtmanisme rapporte toujours. La désignation de la Russie comme impérialiste joue un rôle vital pour les défenseurs de «gauche» de la politique étrangère de Washington, qui cherchent à faire passer le conflit géopolitique américain avec la Russie et la Chine pour de l’ «anti-impérialisme». En outre, Smith répète les calomnies shachtmanites anti-marxistes de la guerre froide et traite toute opposition à la guerre en Syrie de néo-stalinisme.

« Comment des adversaires de l'impérialisme américain peuvent-ils finir par soutenir un dictateur connu pour avoir collaboré avec les États-Unis dans la torture des prisonniers de "la guerre contre la terreur" sous le programme de restitution extraordinaire [extraordinary rendition] de la CIA? »

«La réponse commence par le soutien de la gauche stalinienne de la Russie de Staline et la Chine de Mao pendant la guerre froide. Elle a soutenu les dictatures capitalistes d'Etat non seulement comme des adversaires de l'impérialisme américain, mais comme des modèles positifs du socialisme».

« Ainsi, certains des mêmes courants qui aujourd'hui soutiennent Assad ont hier défendu la répression meurtrière des révoltes ouvrières et même les invasions impérialistes par le passé ».

« Ils ont soutenu l’écrasement par la Russie de la révolution hongroise de 1956, le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie en 1968 et Solidarité en Pologne en 1981. Ils ont soutenu la Chine de Mao, lorsque le régime a détruit la vie des travailleurs et des paysans lors du Grand Bond en avant et a opprimé les Tibétains par une occupation durant des décennies. »

Il n'y a aucun fondement historique et politique légitime pour cette identification calomnieuse de l'opposition contemporaine aux guerres des États-Unis avec une perspective pro-stalinienne.

Tout en traitant la Russie et la Chine d' «impérialistes», Smith prétend que les États-Unis sont devenus une puissance pacifiste, voire timide, dans l'arène mondiale. Ignorant le bilan des occupations militaires, des interventions armées et les assassinats par drones sous Obama, allant de l'Asie et du Moyen-Orient à l'Afrique, il écrit que l' impérialisme américain a abandonné l'agression.

Il déclare effrontément que les adversaires de gauche de la guerre « sont coincés dans le passé, ils essayent de démasquer une stratégie de changement de régime que les Etats-Unis ont abandonnée ».

« En réalité », écrit-il, « les Etats-Unis ont délaissé en général la politique de changement de régime pur et simple au Moyen-Orient après l'échec de l'invasion et de leur occupation de l'Irak. La priorité, pour la direction alternative pour l'impérialisme américain poursuivie par Barack Obama, est que les Etats-Unis doivent éviter de déstabiliser les régimes par crainte du chaos qui en découlerait ».

Après que l'Administration Obama a bombardé et détruit le gouvernement libyen en 2011, renversé le président Ali Saleh au Yémen, et a dépensé des milliards de dollars pour armer les milices islamistes qui ont dévasté la Syrie, une telle déclaration est un mensonge stupéfiant. Smith s'abaisse à toutes les calomnies pour s'attaquer au sentiment anti-guerre. Il tente même de coller des accusations de racisme anti-arabe aux adversaires d'une nouvelle escalade militaire américaine au Moyen-Orient qui conduirait à la mort d'innombrables milliers d'Arabes.

Bien qu'il ait avoué que Washington arme l'opposition islamiste afin d'installer une dictature en Syrie, Smith dénonce toute personne qui tire « la conclusion que le gouvernement américain tire les ficelles dans la rébellion en Syrie ». Il écrit que « de tels arguments affichent un rejet arrogant – comme les défenseurs de l'impérialisme - de la capacité des peuples exploités et opprimés de se battre pour leur libération. On retrouve donc un cliché orientaliste classique: l'impérialisme occidental manipulant les tribus locales ignorantes et réactionnaires à ses propres fins ».

De qui Smith se moque-t-il? Cet appel minable à la politique raciale n'est qu'une tentative de donner un visage de «gauche» à une apologie pour la CIA. Ce ne sont pas les adversaires socialistes de la guerre, mais l'ISO et M. Smith qui se sont démasqués comme des ennemis des travailleurs.

(Article paru en anglais le 21 septembre 2016)

 

 

Loading