Les États-Unis font pression pour une « zone d’exclusion aérienne » et le conflit syrien dégénère

Prenant la parole devant une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la Syrie mercredi, le ministre américain des affaires étrangères John Kerry a d’une façon démagogique tenu la Russie et le gouvernement du président Bachar al-Assad pour responsables de l’escalade de la violence qui a rendu lettre morte le cessez-le-feu convenu plus tôt ce mois-ci.

Kerry a également demandé l’imposition d’une zone d’« exclusion aérienne » de fait sur les secteurs contrôlés par les « rebelles » islamistes soutenus par les États-Unis, y compris ceux qui sont affiliés à Al-Qaïda, sous prétexte d’assurer la livraison de l’aide humanitaire et la relance de la trêve.

« Je crois que pour rétablir la crédibilité du processus, nous devons aller de l’avant pour essayer immédiatement de maintenir au sol tous les aéronefs dans les secteurs clés afin de désamorcer la situation et donner une chance à l’aide humanitaire de circuler librement », a expliqué Kerry à la réunion du Conseil de sécurité.

Le gouvernement syrien a déclaré le cessez-le-feu terminé lundi après avoir fait état ​​de 300 violations par les « rebelles » islamistes soutenus par l’Occident et à la suite de l’attaque américaine samedi sur l’avant-poste de l’armée syrienne près de l’aéroport de Deir al-Zor dans l’est de la Syrie, qui a tué 90 soldats et blessé 100 autres.

Les responsables américains ont affirmé que l’attaque était une erreur, alors que Damas a fait remarquer qu’elle a été immédiatement suivie par un assaut sur ​​la position par les combattants de l’État islamique, accusant les actions aériennes et terrestres d’avoir été coordonnées. Deir al-Zor occupe une position stratégique sur la route menant de la Syrie à l’Irak et ​​l’Iran ensuite.

Le raid aérien des États-Unis a été suivi lundi par une attaque contre un convoi d’aide des Nations unies dans la ville d’Urum al-Kubra au nord d’Alep, qui a fait 20 morts et détruit 18 camions portant des fournitures de secours. Washington a immédiatement accusé, sans présenter aucune preuve, la Russie ou le gouvernement d’en être responsables. Kerry et d’autres responsables américains invoquent maintenant l’attaque comme un moyen de calomnier Moscou et faire pression pour ​de nouvelles concessions.

En tenant la Russie et le gouvernement d’Assad responsables de l’attaque de lundi, Kerry a affirmé que cela « soulève un doute profond quant à savoir si la Russie et le régime d’Assad peuvent ou voudront respecter les engagements qu’ils ont accepté à Genève ».

S’exprimant plus tôt, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait décrit l’attaque sur le convoi d’aide comme « une provocation inacceptable », et a appelé à une enquête « approfondie et impartiale » pour déterminer qui était responsable. Il a répété les déclarations précédentes par les responsables militaires russes qu’aucun des avions de combat russes n’était dans les environs de l’attaque, ajoutant que l’armée de l' air syrienne n’était pas capable de réaliser un tel raid aérien de nuit. Il a souligné que l’attaque du convoi a coïncidé avec une offensive « rebelle » dans le même secteur.

Par ailleurs, les responsables militaires russes ont rapporté mercredi qu’un drone Predator américain, capable de tirer plusieurs missiles air-sol, a été repéré en train de survoler le convoi d’aide au moment de l’attaque. Plus tôt, le ministère de la Défense russe a diffusé une vidéo aérienne montrant que le convoi d’aide avait été accompagné d’un camion « rebelle » qui remorquait un mortier de gros calibre, qui a par la suite disparu.

Dans sa déclaration au Conseil de sécurité, Lavrov a également insisté sur le fait qu’il ne pourrait plus y avoir de cessations « unilatérales » des hostilités en Syrie. La Russie a accusé les islamistes soutenus par les É-U de ne jamais avoir accepté le cessez-le-feu et d’avoir continuer à mener des attaques sur les positions du gouvernement après l’entrée en vigueur de celui-ci le 12 septembre.

Prenant la parole devant la même réunion du Conseil de sécurité, l’ambassadeur de la Syrie à l’ONU Bachar al-Jaafari a promis que son pays « ne deviendra pas une autre Libye ou l’Irak », et a déclaré que son gouvernement était prêt « à parvenir à une solution politique qui soit décidée par les Syriens ».

Alors que Kerry a affirmé que sa proposition de zone d’« exclusion aérienne » vise à empêcher le gouvernement syrien d’attaquer « des cibles civiles avec l’excuse qu’il ne fait que traquer al-Nosra », du point de vue des objectifs de Washington, c’est le contraire qui est le cas.

Comme pour son soutien au cessez-le-feu lui-même, Washington invoque les préoccupations humanitaires pour les civils pris au piège dans les zones contrôlées par le Front al-Nosra et d’autres milices liées à Al-Qaïda afin de mettre un terme aux opérations militaires syriennes contre ces forces et ainsi leur permettre de réarmer, de se regrouper et de reprendre une offensive contre le gouvernement Assad.

Le cessez-le-feu syrien a fait l’objet de divisions implacables au sein du gouvernement Obama, avec le Pentagone et de hauts commandants en uniforme au Moyen-Orient remettant en question la possibilité même que l’armée accepte d’obéir les ordres pour mettre l’accord en œuvre.

Les personnes les plus fortement impliquées dans la guerre américaine orchestrée pour le changement de régime en Syrie, en particulier des éléments au sein de la CIA, se sont opposées à l’accord parce qu’il fait appel à Washington pour superviser la séparation de la soi-disant « opposition modérée » qu’il a payées et armées des forces d’Al-Qaïda comme le Front al – Nosra qui sont officiellement désignées comme « terroristes ». Dans la semaine suivant l’initiation du cessez-le-feu, il n’y avait aucun signe que ces « modérés » se distancient des éléments d’Al-Qaïda. Une telle séparation est refusée par les « rebelles » de Washington parce que Nosra représente le groupe armé le plus important dans le combat contre le gouvernement syrien.

Plus important encore pour le Pentagone, l’appel du cessez-le-feu à la mise en place d’un centre d’opérations conjointes avec la Russie pour échanger des renseignements et des informations de ciblage gênerait les préparatifs grandissants de guerre de l’armée américaine contre la Russie elle-même. Le bombardement de la position de l’armée syrienne samedi, suivi par l’attaque contre le convoi d’aide lundi, ont servi à enterrer cette proposition.

Au milieu de la joute diplomatique entre les États-Unis et la Russie à l’ONU, il y avait plusieurs signes que le conflit en Syrie est au bord d’une escalade dangereuse, portant en son sein la menace d’une guerre plus large et même mondiale.

Les États-Unis envisagent un plan pour commencer à directement armer les combattants kurdes syriens des YPG (Unités de protection du peuple), selon des responsables anonymes cités dans un article publié mercredi dans le New York Times. Des unités de Forces spéciales américaines ont déjà été déployées aux côtés des combattants kurdes et Washington leurs a acheminés des armes au moins indirectement par l’intermédiaire d’une milice syrienne arabe moins importante qui combat aux côtés du YPG.

Néanmoins, le plan, qui est censément en cours de discussion au sein du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, représenterait une escalade de l’utilisation par les États-Unis de la milice kurde comme force par procuration dans sa campagne contre l’État islamique. Cela ferait aggraver aussi les tensions entre Washington et le gouvernement turc du président Recep Tayyip Erdogan, qui a lancé sa propre incursion militaire en Syrie le mois dernier.

L’opération Euphrates Shield, nom de code de l’invasion turque de la Syrie, comprends maintenant également une mission des opérations spéciales américaines pour « conseiller et aider ». Étant donné que le principal objectif stratégique de l’intervention d’Ankara est d’empêcher les forces kurdes de consolider une entité autonome à la frontière de la Turquie, les forces spéciales américaines pourraient se retrouver face à face dans des camps opposés sur le champ de bataille.

Avant de partir pour la réunion de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, Erdogan a déclaré que l’intervention turque avait « nettoyé » une superficie de 900 kilomètres carrés de « terroristes » terme par lequel il entend dire à la fois l’État islamique et les YPG kurdes. Il a ajouté, « Nous pouvons étendre cette zone à 5000 kilomètres carrés dans le cadre d’une zone de sécurité ». Une telle intervention nécessiterait le déploiement en Syrie de milliers de soldats turques.

Pendant ce temps, le ministère de la Défense russe a annoncé mercredi que le porte-avions de la marine russe, l’Amiral Kuznetsov, est en cours de déploiement en Méditerranée orientale pour participer à des opérations militaires en Syrie.

(article paru en anglais le 22 septembre 2016)

 

 

 

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