Tusk rejoint la campagne pour de renforcer les forces armées de l'UE

Mardi soir, le Président du Conseil l’Union européenne (UE), Donald Tusk, a adressé une lettre aux chefs d’État de l’UE, pour les inviter au sommet vendredi à Bratislava. Citant des entretiens avec des responsables européens qui témoignent d'un désarroi politique généralisé, Tusk a déclaré que la sortie britannique de l’UE avait déclenché une crise historique de toute l’Union.

« Ce serait une erreur fatale de supposer que le résultat négatif du référendum au Royaume-Uni est un problème spécifiquement britannique, » a-t-il écrit. Il a ajouté : « Les Européens veulent savoir si l'élite politique peut rétablir son contrôle sur des événements et des processus qui les accablent, les désorientent, et parfois les terrifient. Aujourd’hui beaucoup de gens, et pas seulement au Royaume-Uni, pensent qu'appartenir de l’Union européenne nuit à la stabilité et à la sécurité. »

La seule référence dans la lettre à la détresse et la colère sociales de la population européenne, lors de la plus profonde crise capitaliste depuis les années 1930, est la suivante : « Nos citoyens exigent également de l’UE qu’elle protège mieux leurs intérêts économiques et sociaux. »

Tusk a déclaré ensuite que la crise de l’UE est si profonde qu’elle menace la survie de la démocratie en Europe : « L’histoire nous a appris que cela peut produire un virage massif contre la liberté et d'autres valeurs fondamentales de l’Union européenne. » Quinze ans après les attentants du 11 septembre, il a avoué que la « guerre contre le terrorisme » renforce le néo-fascisme. « La promesse d’une répression impitoyable contre le terrorisme », a-t-il écrit, « est devenu l’un des principaux slogans des extrémistes de droite. »

La réaction de Tusk à sa propre évaluation de la crise souligne la faillite historique de l’UE. Ayant avoué que l'hystérie sécuritaire et anti-immigré de la bourgeoisie européenne renforce les néo-fascistes et la montée de régimes autoritaires, il a appelé à continuer précisément dans cette voie, en renforçant les forces armées et la police et en intensifiant la répression des réfugiés.

« A présent, le contrôle de nos frontières prime sur tout, c'est à la fois pratique et symbolique, » a-t-il déclaré. Attaquant les défenseurs du droit d’asile, il a dénoncé les « déclarations politiquement correctes selon lesquelles l’Europe ne doit pas être une forteresse » et applaudi ceux qui veulent bloquer la fuite des réfugiés de Syrie et d’Irak vers l’Europe via les Balkans.

Tusk s’est aligné tacitement sur le consensus au sein de la classe dirigeante européenne en faveur des provocations belliqueuses de l’OTAN contre la Russie et de l’austérité sociale. Il n'a rien dit sur les dizaines de millions de chômeurs en Europe, et sur le danger d’un affrontement militaire entre l’OTAN et la Russie, soit sur les frontières de la Russie soit en Syrie, alors que l’OTAN intensifie ses interventions à la fois en Europe orientale et au Moyen-Orient.

Avec la lettre de Tusk, l’UE soutient les propositions de Berlin et Paris, qui veulent inverse l’éclatement de l’UE en la transformant en alliance militaire capable de mener de grandes guerres à l’étranger et des opérations de police à grande échelle à l'intérieur de l’Europe.

De même, le Président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, Elmar Brok, a dit vouloir développer les capacités militaires et l'UE et intervenir en Syrie.

Il a attaqué l'UE, qu'il juge « trop faible » et sans « aucun pouvoir politique » : « Je souhaite que le discours demain de Jean-Claude Juncker au Parlement européen et tous les chefs d’État et de gouvernement réunis cette semaine à Bratislava mettent fin à cela, et construisent une politique de sécurité et de défense européenne, des structures communes, pour que nous jouions un rôle, aussi quand nos intérêts et nos valeurs sont en jeu ... Je sais que l’opposition syrienne attend que les Européens apparaissent enfin et ne présentent plus ce terrible spectacle. »

De telles tentatives désespérées de transformer l’UE en régime militaro-policier témoignent d’un effondrement historique du capitalisme. Vingt-cinq ans après la dissolution de l’URSS par la bureaucratie stalinienne et la fondation de l'UE par le Traité de Maastricht en 1992, qui promettait de garantir la paix, la prospérité et la démocratie, la bourgeoisie européenne a renié ces promesses. Assaillie par une crise économique insoluble, par les retombées de ses propres guerres, et par la montée de la colère sociale dans la classe ouvrière, elle mise tout sur la répression et la guerre.

L'incapacité de l’UE à contenir des conflits historiques dans son sein domine les relations internationales européennes. Avant la fondation de l’UE, Londres et Paris étaient terrifiés par la réunification de l’Allemagne. Le président français François Mitterrand a menacé le vice-chancelier allemand, Hans-Dietrich Genscher, en disant que si Berlin refusait l'union monétaire voulue par Paris, l'Allemagne se retrouverait face à une alliance hostile de la France, la Grande-Bretagne, et la Russie contre elle, comme à la veille de la Première Guerre mondiale.

De tels conflits économiques et géostratégiques émergent à nouveau. La Grande-Bretagne doit se préparer à d’âpres négociations sur les conditions de sa sortie de l’UE ; les conflits montent aussi entre l’Allemagne, la France et les États d’Europe méridionale et orientale.

Mardi, alors que la presse allemande mettait en garde contre la formation d’un bloc potentiellement hostile en Europe du sud qui comprendrait les 2e et 3e économies de la zone euro, la France et l’Italie, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a exigé une sortie hongroise de l’UE. Il a dit que les politiques anti-immigré réactionnaires du Premier ministre hongrois Victor Orbán mettaient les droits de l’homme en danger.

Dans Die Welt, Asselborn a déclaré qu'en Hongrie, « des gens qui fuient la guerre sont traités presque pire que les animaux sauvages. » Il a attaqué la barrière construite autour des frontières de la Hongrie, « toujours plus longue, plus haute et plus dangereuse. La Hongrie n’est pas loin de tirer sur les réfugiés. »

Se plaignant que l’UE prétend « défendre certaines valeurs en dehors de ses frontières, mais elle n’est plus capable de les faire valoir chez elle, » il a dit : « Ça serait bien si les règles étaient modifiées de sorte que la suspension de l’adhésion d’un État membre de l’UE ne soit plus nécessairement décidée à l’unanimité [parmi les autres États membres de l’UE] ».

Les propos d’Asselborn illustrent la propagande hypocrite des pays de l’UE, qui se bousculent pour défendre leurs intérêts géostratégiques. En attaquant les Hongrois, il n’a pas expliqué pourquoi l'UE n'expulserait pas, par exemple, la France – qui démantèle des camps de réfugiés à Calais, construit des barrières pour empêcher les réfugiés d'aller en Grande-Bretagne, et envoie la police les attaquer.

Der Spiegel a mis en garde contre le sommet d’Athènes le 9 septembre entre la France, l’Italie, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, Chypre et Malte, dans un article intitulé « La nouvelle force du Club Med ». Le magazine a souligné la proposition du président français, François Hollande, de lancer un « programme de croissance économique » et du Premier ministre italien, Matteo Renzi, pour un fonds d’investissement de 50 milliards d’euros.

Berlin « a perdu un puissant allié, la Grande-Bretagne,lors du Brexit », écrivait Der Spiegel, ce qui renforce les appels en provenance d’Europe du Sud pour un assouplissement de l’austérité. « Nous sommes plus de la moitié de l’UE, » a dit Renzi, « ça nous donne du poids. »

En fait, Hollande, Renzi, et leur hôte, le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, représentent tous des gouvernements impopulaires qui ont imposé l’austérité aux traveilleurs pour nourrir les profits des banques, dont ils représentent les intérêts. Alors que s'intensifie la bataille au sein des classes dirigeantes pour le partage des profits, leurs remarques ont attiré une réplique sèche du ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble : « Quand les dirigeants des partis sociaux-démocrates se rencontrent, on ne doit s'attendre à rien de terriblement intelligent. »

(Article paru en anglais le 14 septembre 2016)

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