Le Parti québécois adopte un nationalisme économique «musclé»

Lors du conseil national du Parti québécois tenu à la mi-janvier, son nouveau chef, Jean-François Lisée, se trouvait confronté à la crise qui secoue le parti depuis plus d’une décennie – résultats électoraux désastreux, démissions en succession de ses chefs, incapacité à profiter de l’opposition populaire aux mesures d’austérité du gouvernement Couillard.

Cherchant à stopper la chute du soutien pour le PQ, résultat des coupes budgétaires massives et des lois anti-grève draconiennes qu’il a imposées chaque fois qu’il était au pouvoir, son nouveau chef a dépeint dans son allocation d’ouverture un PQ «protégeant la santé et la sécurité des salariés, offrant à tous l’assurance automobile et l’assurance médicaments, faisant sortir des milliers de femmes de la pauvreté».

Ce récit bâclé de Lisée n’avait rien à voir avec la réalité historique. Son seul but était de faire un appel démagogique à l’hostilité des travailleurs aux sauvages mesures d’austérité capitaliste des libéraux de Couillard. D’où la nécessité de camoufler le lourd bilan du Parti québécois dans l’assaut frontal de la classe dirigeante sur les travailleurs – notamment en 1996-97 sous le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard qui, avec Lisée comme conseiller politique, a aboli des dizaines de milliers de postes dans les réseaux de la santé et de l’éducation au nom du «déficit zéro».

L’intervention de Lisée s’est ensuite articulée autour de deux points essentiels: la poursuite du tournant identitaire du PQ et l’adoption d’une forme plus agressive de nationalisme économique.

Sur le premier point, Lisée a proposé une série de mesures visant à «enrayer le déclin du français», notamment en tournant le dos au «bilinguisme institutionnel» et en élargissant la loi 101 (qui impose le français comme langue de travail) aux moyennes entreprises et aux entreprises sous juridiction fédérale. Il a également réclamé que «100%» des nouveaux arrivants soient obligés de démontrer «une réelle connaissance du français», et ce, «avant qu’ils ne prennent leur billet d’avion pour arriver chez nous».

Sous le couvert de la «laïcité», Lisée a maintenu la position anti-musulmane de son parti consistant à interdire aux employés de l’État de porter des signes religieux «ostentatoires» (ce qui comprend le foulard islamique mais pas la croix chrétienne) – de manière explicite pour ceux en position d’autorité comme les policiers et les juges, et indirectement pour les autres qui seraient soumis à un nébuleux «devoir de réserve».

Lisée a également réitéré que les services de l'État devraient être donnés et reçus à visage découvert, une mesure visant ouvertement les minorités musulmanes et qui vient en fait d’être présentée par le parti libéral à travers le projet de loi 62.

Le chauvinisme québécois et le tournant identitaire du PQ visent à diviser les travailleurs selon des lignes ethniques et linguistiques; à détourner l’attention de ses propres mesures d’austérité; et à canaliser l’opposition populaire grandissante sur des voies réactionnaires en faisant des minorités religieuses, notamment la communauté musulmane, des boucs-émissaires du chômage et de la pauvreté de masse causés par le système capitaliste en faillite.

Sur le second point, Lisée a parlé avec nostalgie des années 1960 qui ont vu «l’irruption d’une classe d’affaires francophone, locale, nationale, puis internationale», soutenant que «c’est au Parti québécois qu’on le doit».

Il s’est ensuite érigé en champion du «nationalisme économique» dans son discours de clôture, en mettant de l’avant des mesures pour renforcer le rôle de l’État québécois en tant que levier pour l’expansion de la grande entreprise québécoise sur les marchés internationaux.

Le discours de Lisée exprime la nervosité de l’élite dirigeante québécoise face à l’élection de Donald Trump et au protectionnisme croissant aux États-Unis et à l’échelle mondiale. Faisant référence au nouvel occupant de la Maison-Blanche, Lisée a dit qu’ «il va falloir montrer du muscle, défendre nos emplois, nos parts de marché, pied à pied au cours des années qui viennent».

Lisée a proposé un «Buy Québécois Act», inspiré du modèle américain, qui mettrait en place «une politique d’achat québécois, de contenu québécois, partout où c’est possible». Une autre proposition vise à réduire la «paperasse contre-productive» et les impôts des PME (en cassant la «culture du racket» à Revenu Québec).

La montée des tendances protectionnistes est un phénomène international, qui trouve sa plus claire expression avec l’élection de Donald Trump, mais qui prend également une forme aiguë en Europe avec le vote du Brexit en Grande-Bretagne et la montée du Front national en France. Ces tendances émergent dans le contexte de la pire crise du système capitaliste depuis les années 1930. Elles sont la réponse des classes dirigeantes à travers le monde qui se livrent, d’un côté, une lutte de plus en plus ouverte pour les marchés, et font face de l’autre à une opposition sociale grandissante à leurs politiques d’austérité et de guerre.

Tout comme le reste de la bourgeoisie canadienne, la classe dirigeante québécoise réagit aux politiques de la nouvelle administration Trump en cherchant à renforcer ses liens avec Washington. Au même moment, le PQ espère profiter des tendances nationalistes grandissantes pour raviver son programme réactionnaire de l’indépendance du Québec.

Le PQ a toujours soutenu qu’un resserrement des liens avec les États-Unis passait par l’engagement d’un Québec souverain à l’OTAN et au Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD), deux instruments de l’impérialisme américain pour assurer son hégémonie mondiale.

C’est dans le contexte où les États-Unis se tournent vers une politique encore plus agressive pour contrer leur déclin économique que Lisée a réitéré qu’un Québec souverain aurait son propre ministère de la Défense et son armée, laquelle pourrait être appelée à participer à des «missions requérant l’usage de la force». Autrement dit, le Québec prendrait part aux opérations militaires menées par les États-Unis, le Canada et les autres grandes puissance pour assurer les intérêts géopolitiques et économiques de la classe dirigeante québécoise.

C’est sur cette base qu’il a dénoncé l’octroi de contrats de construction de navires de guerre à des entreprises de Victoria et de Halifax aux dépens du Chantier Davie de Lévis à Québec. Loin de s’opposer à l’expansion du militarisme canadien, Lisée était plutôt furieux que l’industrie de guerre du Québec n’ait pas sa part du butin – ce qu’il a qualifié de «plus grande injustice économique envers le Québec de l’histoire de la fédération».

Lisée a repris le mensonge de longue date des souverainistes québécois que la cause de la misère sociale au Québec était le fédéralisme canadien – et non le capitalisme. Il a affirmé qu’un Québec indépendant pourrait utiliser les «milliards de crédits d’impôt pour les sables bitumineux dans l’Ouest et le pétrole de Terre-Neuve et les milliards d’investissements publics pour le nucléaire en Ontario» pour financer les services publics et réduire la pauvreté dans la province du Québec. C’est une tentative flagrante de dresser les travailleurs du Québec contre leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada, afin de les subordonner politiquement aux efforts d’une faction de la classe dirigeante québécoise pour obtenir une plus grosse part des profits tirés de l’exploitation de tous les travailleurs.

Le nationalisme économique du PQ va de pair avec des appels à la «concertation» qui servent à garder le soutien de la bureaucratie syndicale, de Québec solidaire et d’autres groupes des classes moyennes aisées. Rappelant avec satisfaction les «grands sommets socio-économiques» de 1996 qui ont réuni patrons, syndicats et gouvernement dans un assaut concerté sur les services publics et les employés qui les fournissent, Lisée a envoyé un signal clair à la bureaucratie syndicale – le principal promoteur du PQ parmi les travailleurs depuis des décennies – que, contrairement aux libéraux, il utiliserait ses services pour imposer des politiques d’austérité impopulaires.

Lisée a salué Québec solidaire – un parti de la pseudo-gauche, également indépendantiste – pour avoir adopté lors de son propre conseil national en décembre dernier une résolution qui ouvrait la porte à des alliances électorales avec le PQ. Lisée a aussi appelé les électeurs et membres déçus de la Coalition Avenir Québec (CAQ), un parti populiste de droite, à joindre les rangs péquistes.

QS joue un rôle clé pour fournir le vernis «progressiste» dont le PQ a tant besoin. En dépit du fait que le PQ a imposé les plus importantes coupes sociales de l’histoire de la province lorsqu’il était au pouvoir, les dirigeants de QS sont prêts à se rapprocher du PQ – et d’autres forces de droite comme Option nationale – sous le prétexte de bâtir une opposition «progressiste» aux libéraux pour les élections de 2018.

Se posant comme le plus fervent partisan de l’indépendance du Québec, QS a fréquemment critiqué le PQ pour avoir reporté un possible référendum à 2022. Dans un geste d’ouverture envers QS, le PQ a emprunté la proposition démagogique d’une «assemblée constituante» longtemps défendue par QS et a ouvert la porte au scrutin «proportionnel», qui pourrait donner plus de sièges aux députés de QS à l’Assemblée nationale.

Le nationalisme économique du PQ – en fait, de toute l’élite dirigeante québécoise – n’a rien à voir avec la défense des emplois et des services publics. Il vise plutôt à enrichir une petite minorité de super-riches qui vont chercher à gagner de nouvelles parts de marché en abaissant les coûts de main-d’œuvre et en démolissant les gains historiques de la classe ouvrière.

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