Les municipalités du Québec réduisent les pensions, encore

À partir du 1er janvier, Montréal, la ville de Québec et la plupart des municipalités du Québec ne vont plus ajuster selon l’inflation les pensions versées à leurs employés à la retraite. Selon les estimations, les retraités touchés perdront, après 15 ans, entre le tiers et la moitié de leur pouvoir d’achat.

Cette mesure dévastatrice découle de la loi 3 adoptée en décembre 2014 par les libéraux de Philippe Couillard. Elle impose un partage des déficits accumulés dans les caisses de retraite, une restructuration rétroactive des droits et bénéfices inscrits dans les conventions collectives, et un plafond sur les coûts des régimes de retraite.

Ce qui a permis son passage c’est le rôle traître joué par les syndicats pour étouffer la vive opposition qui régnait durant toute l’année 2014 parmi les employés municipaux, et l’ensemble des travailleurs, face à l’assaut gouvernemental sur les pensions.

La Coalition syndicale pour une libre négociation regroupait divers syndicats censés représenter les employés municipaux – y compris le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), une Fédération d'employés de services publics affiliée à la CSN, et des syndicats de pompiers affiliés à la FTQ. «Nous sommes ouverts à la négociation», tel fut le refrain de cette coalition syndicale tout au long du conflit sur les régimes de retraite.

Son porte-parole Marc Ranger (devenu en 2016 le directeur québécois du SCFP) l’expliquait ainsi: «Nous sommes prêts à mettre plus d’argent» dans les cotisations et à «revoir certains bénéfices … et les critères de l’âge de la retraite». Le résultat fut d’encourager le gouvernement Couillard dans sa ligne dure jusqu’à l’adoption finale de la loi 3 en décembre 2014. Les syndicats ont depuis abandonné même les efforts bidon de mobilisation des membres et se limitent à une contestation judiciaire de la loi 3, semant l’illusion que les travailleurs peuvent défendre leurs droits en faisant confiance aux tribunaux de l’élite dirigeante.

Cherchant à cacher les causes objectives de l’assaut sur les pensions, les syndicats l’imputaient à la «mauvaise gestion de certaines municipalités du Québec». En fait, l’intransigeance du gouvernement Couillard, y compris la réouverture arbitraire des conventions collectives municipales pour miner les régimes de retraite, traduisait les efforts de toute l’élite dirigeante québécoise et canadienne pour faire porter aux travailleurs tout le poids de la crise capitaliste.

Une des cibles principales de ces efforts, ce sont les régimes de retraite à prestations déterminées, qui assurent une certaine stabilité financière aux travailleurs après des décennies au service de leur employeur. Ces régimes sont maintenant sous attaque patronale-syndicale conjointe dans tous les domaines d’activité, et ce, partout au Canada.

Unifor, le plus grand syndicat canadien du secteur privé, a imposé cet automne aux travailleurs de l’auto des contrats de travail pourris qui permettent aux fabricants d’éliminer les derniers vestiges des régimes de retraite à prestations déterminées pour les nouveaux employés.

La voie était ainsi ouverte au gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau – porté au pouvoir en automne 2015 avec le plein appui des syndicats – pour introduire en octobre 2016 le projet de loi C-27, qui facilite la conversion des régimes de retraite à prestations déterminées vers des régimes à prestations cibles, c’est-à-dire non-garanties et faisant porter aux travailleurs tout le risque d’un manque à gagner dans les caisses de retraite. Même si le projet de loi ne touche directement que les secteurs économiques sous juridiction fédérale (notamment les banques, les compagnies aériennes, Postes Canada et d’autres sociétés de la couronne), son impact sera beaucoup plus grand car les lois fédérales du travail servent de modèle à tous les paliers de gouvernement à travers le Canada.

Les régimes à prestations cibles ont été appliqués pour la première fois aux employés du secteur public du Nouveau-Brunswick en 2012, alors sous gouvernement conservateur, après de longues consultations impliquant le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

Aujourd’hui, moins de 40 pour cent des travailleurs canadiens sont couverts par un plan de pension de l’employeur, tandis que le régime public de pension ne remplace que 25 pour cent du revenu avant retraite. Le second axe de l’assaut gouvernemental sur les pensions consiste à bloquer toute expansion du régime public dans une politique visant son érosion progressive.

Le gouvernement Couillard a annoncé la tenue prochaine d’auditions publiques sur l’avenir du système public de retraite au Québec – le Régime de rentes du Québec (RRQ), qui correspond au régime de pensions du Canada (RPC), en vigueur ailleurs au Canada.

Dans un document consultatif publié à cette occasion, le gouvernement du Québec insiste que toute révision du RRQ doit tenir compte de «la capacité des entreprises à supporter davantage de charges sur la masse salariale», ce qui exclut en partant toute hausse des prestations.

Parmi les mesures envisagées dans ce document, on note une augmentation de l’âge de la retraite, une moindre indexation des prestations, une réduction des montants accordés au conjoint survivant en cas de décès, et une «réduction en fonction des gains de longévité» (les gouvernements n’aiment pas que les gens vivent longtemps).

La réaction des syndicats a été de faire appel au nationalisme québécois pour diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada et bloquer ainsi une lutte commune pour la défense des pensions, qui sont attaquées par tous les paliers de gouvernement à travers le Canada.

Serge Cadieux, Secrétaire général de la FTQ, a cherché à établir un faux contraste entre les plans du gouvernement québécois pour le RRQ et ceux du gouvernement canadien pour le RPC. Il a qualifié les récentes mesures du gouvernement Trudeau de «bonification du RPC», et promis de faire pression sur le gouvernement Couillard pour que toute révision du RRQ ne soit «pas inférieure au reste du Canada».

Le fait est que la loi C-26 adoptée cet automne par le gouvernement Trudeau – et saluée par le président du Congrès du travail du Canada comme étant un «exemple du bien qui peut sortir de la collaboration entre les syndicats et les gouvernements» – n’a rien à voir avec une «bonification» des prestations du RPC.

Si le pourcentage du revenu avant retraite passerait de 25 à 33 pour cent dans le calcul de la pension, cette mesure ne se ferait sentir que dans 40 ans (c’est le nombre d’années de contributions exigées pour avoir droit au nouveau taux). Entre-temps, les cotisations vont immédiatement augmenter. Par exemple, un travailleur ayant un salaire annuel de 55.000$ devra payer 43 dollars de plus par mois (ou 516$ par année) d’ici 2025, tandis qu’un travailleur âgé aujourd’hui de 50 ans et gagnant 50.000$ par an aurait droit à moins de 500$ de plus par année en prenant sa retraite à 65 ans.

Au cœur de la loi C-26 se trouve l’obligation légale d’être autofinancée, c’est-à-dire que toute hausse des prestations doit entraîner une hausse des cotisations venant des poches des travailleurs – et non une hausse de l’impôt sur la grande entreprise et les riches qui ont bénéficié ces dernières années d’une baisse massive de leur charge fiscale.

 

 

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