Françoise David, porte-parole de Québec solidaire, quitte la politique

La chef parlementaire de Québec solidaire (QS), Françoise David, a annoncé qu’elle quittait la politique en invoquant, à 69 ans, des questions de santé et d’épuisement.Tout l’establishment dirigeant a immédiatement salué la carrière politique de celle qui co-dirige QS depuis dix ans. 

Le premier ministre libéral québécois, Philippe Couillard, qui mène aujourd’hui un assaut brutal sur les conditions de vie des travailleurs, a déclaré qu’on «peut avoir des différences d’opinion sur les orientations politiques du Québec» mais «garder un ton civilisé» et David «a beaucoup contribué à ça».

Jean-François Lisée du Parti québécois (PQ), l’autre parti de gouvernement de l’élite dirigeante qui a mis la hache dans les services publics chaque fois qu’il est passé au pouvoir, a renchéri: «Elle arrivait à adoucir les mœurs politiques». 

Quant au quotidien Le Devoir, proche des milieux souverainistes québécois, il a salué en David «une femme politique pragmatique». 

Ces défenseurs expérimentés de la classe dirigeante ont pleinement pris la mesure de David et reconnu derrière son «pragmatisme» une perspective politique bien définie, qui ne pose aucune menace à l’ordre social existant. 

Rejetant la division fondamentale de la société en classes sociales antagonistes, David a prôné la fiction d’un «peuple québécois» soudé par une langue commune (le français) et pouvant agir collectivement pour amener le progrès social au Québec par l’action parlementaire – peut-être sous la pression amicale de «la rue», mais sans conflits sociaux sérieux et sans remettre en cause le système capitaliste. 

C’est cette perspective nationaliste, basée sur le rejet de la lutte de classe, que David a insufflée à Québec solidaire pendant les dix ans passés à la tête du parti. 

Depuis sa fondation en 2006, QS affiche de fausses couleurs «de gauche». Prônant l’électoralisme et agissant en étroite collaboration avec la bureaucratie syndicale pro-capitaliste, David et QS s’opposent férocement à la lutte pour mobiliser la classe ouvrière contre la montée du militarisme canadien et l’assaut patronal sur les emplois, les salaires et les programmes sociaux. 

Loin de se présenter comme un parti des travailleurs ou un parti socialiste, QS se décrit comme un parti des «citoyens» basé sur des valeurs altermondialistes, féministes, souverainistes et écologistes. Son hostilité à la lutte pour l’indépendance politique de la classe ouvrière a été mise en évidence pendant la longue grève étudiante de 2012 lorsqu’il a aidé la bureaucratie syndicale à détourner ce mouvement derrière le Parti québécois.

Avec ses appels identitaires basés sur le genre, l’orientation sexuelle, la langue ou la culture, Québec solidaire articule les efforts de couches aisées des classes moyennes pour se tailler une place au sein de l’establishment dirigeant en tant qu’éléments fiscalement responsables, économiquement crédibles et prêts à gouverner – c’est-à-dire à imposer l’austérité capitaliste, vraisemblablement comme partenaires au sein d’un gouvernement péquiste. 

Dans cette optique, David a été à l'avant-plan des efforts de QS pour donner une couverture «de gauche» au PQ dans l’espoir de raviver le soutien populaire pour ce parti de la grande entreprise – un soutien miné par ses années passées au pouvoir à démanteler les services publics et à attaquer les travailleurs. 

En annonçant sa retraite, David a fait référence avec enthousiasme à la décision de QS, lors de son dernier conseil national, d'intensifier le «dialogue» avec d'autres formations souverainistes dites «progressistes», c'est-à-dire avant tout, le PQ. Dans son dernier geste politique, David se ralliait ainsi aux efforts de longue date des chefs syndicaux pour subordonner politiquement les travailleurs au PQ, cette fois sous le prétexte de «battre les libéraux» aux prochaines élections de 2018. 

Le parcours de Françoise David reflète celui de toute une couche issue des classes moyennes qui s’est radicalisée dans les années 60 et 70, mais qui a toujours exclu la possibilité de gagner les travailleurs à un programme socialiste. 

À partir des années 80, cette couche s’est tournée abruptement vers la droite pour s’intégrer pleinement à l’establishment dirigeant. Certains ont ouvertement embrassé le libre-marché et le chauvinisme québécois, comme l’ex-chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. D’autres, comme Françoise David, ont gardé une posture vaguement «progressiste», basée sur la promotion de politiques identitaires. 

David provient d’une famille bourgeoise politiquement influente. Son grand-père, Athanase David, a été un important membre du gouvernement provincial libéral dirigé par Taschereau de 1920 à 1936. Son père est le fondateur de l’Institut de cardiologie de Montréal et a siégé comme sénateur. Sa sœur, Hélène, est députée du Parti libéral et un de ses frères, Charles-Philippe, est un politologue bien en vue dans la province. 

Au beau milieu des luttes militantes de la classe ouvrière internationale dans les années 1960 et 1970, David a rejoint le mouvement étudiant et a obtenu son diplôme de service social en 1972. Quelques années plus tard, elle a adhéré au groupe maoïste En lutte, où elle a milité pendant cinq ans. Gilles Duceppe a aussi adhéré au mouvement maoïste dans la même période. 

L’attrait qu’exerçait à l’époque le maoïsme sur ces éléments radicalisés des classes moyennes était basé sur sa nature essentielle en tant que variante du stalinisme – le nationalisme extrême; le rejet du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière au profit du populisme paysan; l’appui inconditionnel pour Staline et sa répression sanglante des défenseurs du socialisme international (Trotsky et l’opposition de gauche); et la subordination politique des travailleurs à la classe dirigeante (le «bloc des quatre classes» de Mao). 

L’orientation politique de ces éléments devait subir une profonde transformation avec le déclin du mouvement international de protestation étudiante contre la guerre du Vietnam et la restabilisation du capitalisme mondial après 1975. 

Au début des années 1980, avec l’arrivée au pouvoir des Reagan et Thatcher qui symbolisait le rejet par la classe dirigeante du compromis de classe en faveur d’une politique de guerre de classe, les ex-radicaux des années 60 et 70 ont opéré leur propre virage sec à droite et rompu toute association, aussi limitée soit-elle, avec le marxisme et la politique révolutionnaire. 

Faisant la paix avec le capitalisme, ils aspiraient aux plus hauts échelons de la société, que ce soit par leur enrichissement personnel en Bourse ou par l’obtention de postes de direction dans les services publics, les syndicats et les universités – en partie grâce à la loi 101 du PQ qui contenait des mesures dites de «discrimination positive» favorisant l’ascension sociale des francophones. 

Au Québec, les luttes militantes de la classe ouvrière dans la période précédente ont été détournées, avec l'aide des syndicats, vers le Parti québécois et le nationalisme «de gauche». C'est dans ce milieu, profondément hostile aux intérêts des travailleurs, que David évoluera le reste de sa carrière. 

Elle a rejoint le mouvement communautaire, qui a toujours évolué dans l’orbite politique du Parti québécois. En 1994, elle est devenue présidente de la Fédération des femmes du Québec, parachevant ainsi son passage du maoïsme, superficiellement orienté vers les luttes ouvrières, au féminisme, basé comme toute politique identitaire sur le rejet explicite de la lutte des classes. 

À la tête de la principale organisation féministe du Québec, David a organisé la marche «Du pain et des roses» en 1995 et la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence en 2000. Dans un commentaire qui expose le caractère conservateur de l'action politique de David, l'ex-premier ministre péquiste Jacques Parizeau dira de la marche de 1995: «Merci de nous déranger à ce point». 

David faisait partie de la coalition arc-en-ciel en faveur de la souveraineté du Québec, mise en place par le premier ministre péquiste Jacques Parizeau à l’occasion du référendum de 1995. Cette coalition regroupait le Parti québécois, le Bloc québécois, l’ADQ populiste de droite de Mario Dumont et les centrales syndicales de la province. Elle avait le soutien politique de nombreux groupes de la pseudo-gauche tels que les pablistes de Gauche socialiste. 

En 2006, David devait jouer un rôle central dans la fondation de Québec solidaire, résultat de la fusion entre l'Union des forces progressistes et Option citoyenne, un parti proche des milieux communautaires et fondé par David elle-même. 

Comme l'a écrit le World Socialist Web Sitedans son analyse des dix ans de Québec solidaire: «Même s’il se plaint occasionnellement de certains excès du "capitalisme néolibéral", QS est une organisation pro-capitaliste de pseudo-gauche qui articule les aspirations et griefs non pas de la classe ouvrière, mais d’une section privilégiée des classes moyennes – universitaires et autres professionnels, fonctionnaires des syndicats et entrepreneurs petits et moyens. Cette couche sociale désire gagner le respect de l’élite dirigeante et devenir un acteur de premier plan dans la politique bourgeoise officielle.» 

À de nombreuses reprises, QS a signalé son appui aux interventions impérialistes des États-Unis et du Canada partout dans le monde et a participé à la campagne anti-Poutine visant à préparer une confrontation militaire avec la Russie. 

L'objectif de QS n'est pas de renverser le capitalisme pourrissant, mais de le sauvegarder. Dans un contexte où les partis politiques traditionnels perdent tout soutien populaire en raison de leurs politiques militaristes et de droite, la classe dirigeante a besoin de nouveaux mécanismes pour étouffer la lutte des classes. 

SYRIZA, un autre parti de la pseudo-gauche que QS a décrit comme son «cousin», a pris le pouvoir en Grèce en promettant la fin de l’austérité capitaliste pour ensuite imposer des coupes sociales et des attaques anti-ouvrières encore pires que ses prédécesseurs. C’est un rôle similaire que Françoise David a préparé Québec solidaire à jouer avant de quitter elle-même la scène politique.

Loading