Les Républicains se divisent en se retournant contre la campagne de Fillon

Ce week-end, de larges sections de l'appareil de Les Républicains (LR) ont cherché à éjecter François Fillon de sa position de candidat présidentiel de LR dans le contexte de l'affaire des emplois fictifs suspectés de sa femme, Penelope.

Cette affaire, sortie d'investigations d'allégations de liens corrompus entre Fillon et Moscou dans le sillage du débat sur les sympathies prétendument pro-russes du nouveau président américain, Donald Trump, menace de faire exploser le principal parti de gouvernement de la droite française.

Cette crise internationale déclenche à présent une violente guerre de fractions au sein de LR. Ce soir à 18h, une réunion extraordinaire du Bureau politique de LR doit décider du sort de la campagne de Fillon. Face à un tir nourri d'attaques contre lui par des cadres LR, ainsi qu'à une tentative de monter en urgence une campagne de rechange autour d'un candidat malheureux aux primaires LR, Alain Juppé, Fillon a organisé une manifestation dimanche au Trocadéro, à Paris.

Devant une foule de milliers d'électeurs LR, de soutiens du mouvement Sens Commun lié la Manif pour tous anti-mariage gay, et d'élus LR dans un quartier huppé de Paris, Fillon s'est défendu tout en reconnaissant avoir commis des erreurs pour tenter de parer au discrédit grandissant qui pèse sur sa candidature. « Je vous dois mes excuses, dont celle de devoir défendre mon honneur et celle de mon épouse », a-t-il dit.

Dénonçant « la fuite en canard d'un camp vers un autre » de ses anciens collaborateurs, dont une bonne partie de la direction de sa propre campagne, il a dit : « Mon examen de conscience, je l'ai fait. Aux hommes politiques de mon camp je dirai à présent ceci : il vous revient maintenant de faire le vôtre. Laisserez-vous les passions du moment l’emporter sur les nécessités nationales ? Laisserez-vous les intérêts de factions et de carrière et les arrière-pensées de tous ordres l’emporter sur la grandeur et la cohérence d’un projet adopté par plus de quatre millions d’électeurs ? »

Après l'annonce en soirée que plusieurs dirigeants LR dont Xavier Bertrand, Christian Estrosi, et Valérie Pécresse voulaient le rencontrer pour le forcer à effectuer « une sortie respectueuse », Fillon est aussi passé au journal télévisé de 20h sur France2. Il s'est déclaré meilleur opposant de la candidate frontiste Marine Le Pen, pointant le risque d'un second tour opposant Le Pen à l'ex-ministre de l'Economie PS Emmanuel Macron, et d'une éventuelle victoire du FN dans ce scénario.

Il a également menacé LR de continuer sa campagne malgré une décision négative du Bureau politique de LR aujourd'hui, déclarant que sur sa candidature, « Ce n'est pas le parti qui va décider. Ce n'est pas dans les coulisses qu'on va choisir. ... Si les électeurs avaient voulu d'Alain Juppé, ils auraient voté pour lui à la primaire ».

Alors que 71 pour cent des Français, dont 47 pour cent des électeurs LR, voudraient le retrait de Fillon, selon un sondage réalisé pour le Journal du Dimanche, il semble peu probable que cet argument fasse taire à lui seul les critiques de Fillon au sein de LR. Car selon d'autres sondages, Juppé accéderait au second tour et battrait Le Pen s'il était candidat. Juppé a annoncé hier qu'il s'exprimerait ce matin sur la campagne ; Fillon doit également s'entretenir avec lui.

L'équipe de campagne de Fillon subit également la désertion en bloc de son personnel dirigeant. Jeudi, le trésorier Gilles Boyer et le directeur adjoint Sébastien Lecornu ont présenté leur démission. Boyer a fait savoir au site d'informations Médiapart qu'il reprochait à Fillon – qui défend l'état d'urgence, un programme d'austérité profonde avec une privatisation éventuelle des soins médicaux, et des mesures sociales marquées par la droite catholique – d'être à droite des néo-fascistes : « On ne combat pas le FN en tentant d’être plus à droite que lui ».

Le porte parole de Fillon, Thierry Solère, a démissionné vendredi, et dimanche c'était le tour du directeur de campagne, Patrick Stefanini. La victoire n'étant « pas certaine », déclarait Stefanini dans sa lettre de démission à Fillon, « Ta défaite au soir du premier tour ne peut donc plus être exclue. Elle placerait les électeurs de la droite et du centre devant un choix cornélien [voter pour un candidat FN ou proche du PS]. Je me refuse à assumer cette perspective ».

Les commentateurs médiatiques soulignent de plus en plus le danger d'une explosion de LR, dans le cas d'une défaite de LR au premier tour. « Si Fillon ne passe pas le premier tour, la droite parlementaire implosera », a confié l'historien Gilles Richard au Monde.

Il en a rendu responsable la banqueroute de la politique menée par le PS et ses alliés politiques depuis des décennies : « Cette division est la conséquence directe de l’échec de la stratégie sarkozyste ou, dit autrement, de l’essor considérable du FN depuis que Marine Le Pen en a pris la direction ... Tout cela est lié au profond changement de la vie politique française depuis les années 1980, quand le PCF s’est effondré et que le PS a renoncé à 'changer la vie' pour s’adapter à la 'mondialisation' néolibérale ».

Ce qui ressort de la profonde crise déclenchée en France par la campagne présidentielle, c'est avant tout la ruée de toute la classe politique vers un Etat policier par lequel la bourgeoisie répudierait toutes les acquis sociaux accordés aux travailleurs après la Deuxième Guerre mondiale. C'est un processus international, que l'on voit également dans l'élection de Trump aux Etats-Unis, et l'effondrement de l'Union européenne représentée par le Brexit.

Tous les sondages indiquent que le FN serait présent au second tour des présidentielles, ainsi que la faiblesse remarquable des candidats que les partis traditionnels, dont LR, le PS, et le Front de gauche, lui opposent. Vu la profonde désillusion des électeurs non seulement vis-à-vis du PS, qui soutient Macron, mais aussi de LR, il est impossible d'exclure un mouvement soudain de l'opinion qui mettrait Le Pen à l'Elysée et pourrait sceller la fin de l'UE. En effet, cette possibilité obsède manifestement les différentes fractions qui s'affrontent au sein de LR.

Selon un sondage Ipsos qui indique un fort intérêt populaire pour la présidentielle (71 pour cent), la population française est profondément hostile aux partis existants. 84 pour cent des sondés estiment que la classe politique est un frein à l'amélioration du pays, 82 pour cent la trouve corrompue, et 83 pour cent ont déclaré leur désaccord avec les déclarations que le système démocratique français fonctionne bien, ou que leurs idées y sont représentées.

En même temps, comme l'indique le commentaire de Boyer contre les vélléités d'extrême-droite de Fillon, de très larges sections de la classe politique adoptent des positions sur l'état d'urgence ou l'austérité qui sont très proches de celles défendues traditionnellement par le FN. Ceci souligne la banqueroute d'une stratégie qui tenterait de défendre les droits démocratiques en France en votant pour les candidats que finiront par adouber les différentes fractions du PS et de LR.

Philippe de Villiers, un nationaliste traditionnellement proche de la droite de LR mais dont Macron a sollicité le soutien lors d'une visite au Puy du Fou à l'été 2016, se range à présent derrière Le Pen. Il l'a applaudie parce que « Sa main ne tremblera pas lorsqu'il faudra prendre des décisions douloureuses », et parce qu'elle aurait absorbé selon lui les idées de Villiers, de l'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, et du polémiste Eric Zemmour.

Jeudi, de Villiers a écrit dans le magazine d'extrême-droite Valeurs actuelles que grâce à leur travail politique, que Le Pen avait adopté, elle était en passe de rallier l'électorat de droite. Selon lui, elle a « compris qu’il fallait faire une campagne identitaire. Marine, qui a lu nos livres [de Buisson, Zemmour, et de Villiers], a capté notre petite musique. Résultat : notre grande circonscription “lectorale” est en train de lâcher Fillon. La droite votera pour elle au deuxième tour, elle peut même gagner ».

 

 

 

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