Pointant le danger d'une victoire FN, Hollande avance un militarisme européen

Avant le sommet d'hier soir réunissant à Versailles des responsables allemands, italiens, espagnols, et français, François Hollande a accordé une entrevue au Monde et aux autres journaux du groupe Europa (Süddeutsche Zeitung, La Stampa, The Guardian, La Vanguardia, Gazeta Wyborcza). Le président français leur a exposé les perspectives profondément pessimistes qui prédominent dans les milieux bourgeois européens les plus proches de l'Union européenne (UE) et de Berlin.

Hollande a indiqué sans ambiguïté que l'UE est au bord du gouffre, notamment parce qu'une victoire du Front national (FN) aux élections présidentielles françaises d'avril-mai installerait à Paris un gouvernement néo-fasciste qui ferait exploser l'UE. Toutefois, face à cet aveu d'une banqueroute du régime capitaliste français et européen, il n'a rien trouvé d'autre à proposer que de renforcer le militarisme et les mesures d'Etat-policier en Europe.

Interrogé sur une victoire électorale du FN, Hollande a dit : « La menace existe. L'extrême-droite n'a jamais été aussi haute depuis plus de trente ans ». Il a ajouté : « si d'aventure la candidate du Front national l'emportait, elle engagerait immédiatement un processus de sortie de la zone euro, et même de l'Union européenne. C'est l'objectif de tous les populistes, d'où qu'ils soient : quitter l'Europe, se fermer au monde et imaginer un avenir entouré de barrières de toutes sortes et de frontières défendues par des miradors ».

Hollande s'est posé en défenseur de l'UE et de la démocratie. « Mon ultime devoir, c’est de tout faire pour que la France ne puisse pas être convaincue par un tel projet, ni porter une si lourde responsabilité », a déclaré Hollande, qui a pronostiqué : « Mais la France ne cédera pas. D’abord, parce qu’elle est la France et qu’elle a conscience que le vote du 23 avril et du 7 mai déterminera non seulement le destin de notre pays mais aussi l’avenir-même de la construction européenne ».

Ces prétensions démocratiques sont des mensonges creux. Le danger d'une victoire du FN en France, comme d'autres nationalistes ailleurs en l'Europe, est le produit de la colère populaire contre la politique réactionnaire menée par l'UE et en particulier par le gouvernement PS dirigé par Hollande en France, en matière d'austérité et de guerre.

L'offensive austéritaire poursuivie sans relâche par l'UE depuis le krach de 2008 a saigné la classe ouvrière à blanc, le plus visiblement en Grèce ; Hollande a imposé plus de 100 milliards d'euros de mesure d'austérité en France. La bourgeoisie a réagi à la montée de la colère sociale en renforçant les pouvoirs de police et en incitant les haines antimusulmanes et anti-immigrés afin de diviser les travailleurs.

Avant tout, le PS a imposé puis renouvelé l'état d'urgence face à des attentats en France et en Belgique en 2015-2016. Il a caché puis minimisé l'importance du fait que ces attentats provenaient de réseaux terroristes islamistes instrumentalisés par la France et d'autres puissances de l'OTAN dans leur guerre contre la Syria. Le PS a ensuite imposé une loi sur le renseignement qui permet une surveillance généralisée de la population, et participé à l'hystérie politico-médiatique contre les musulmans qui évoquait une guerre de religion et insistait sur plus de répression policière.

Le PS a non seulement doté l'Etat d'une infrastructure judiciaire et d'espionnage digne d'un régime autoritaire ; sa ruée à droite a ouvert un boulevard au FN, qui a pu se présenter en parti « normal » et, en exploitant la colère sociale avec un discours populiste, se préparer à prendre le pouvoir.

L'idée que les Français rejeteraient un gouvernement FN par amour de l'UE est une fraude politique. L'UE est impopulaire en France, d'abord : dans un sondage l'année dernière, 23 pour cent des sondés ont dit croire que la participation à l'UE bénéficiait à la France. Ensuite, la politique de l'UE sur la guerre et la persécution des immigrés et des réfugiés est de plus en plus difficile à distinguer de celle du FN.

Les propositions que Hollande a faites pour l'UE post-Brexit consistaient en grande partie en l'application à l'échelle européenne des politiques que préconise le FN pour la France. Il voulait développer l'UE en une grande puissance militaire et un appareil policier, fondée sur une prétendue « communauté d'esprit » européenne.

« Ce que demandent les Européens, c’est que l’UE puisse les protéger davantage », a-t-il dit. « Que la souveraineté européenne sécurise leurs frontières, les prémunisse du risque terroriste, et enfin préserve un mode de vie, une culture, une communauté d’esprit. ... Aujourd’hui, l’Europe peut se relancer par la défense. A la fois pour assurer sa propre sécurité, mais aussi pour agir dans le monde, pour chercher des solutions aux conflits qui la menacent ».

La montée du FN, comme le Brexit ou l'élection de Trump, reflète l'effondrement des relations et des structures du capitalisme international dévelopées après la Deuxième Guerre mondiale et surtout après la dissolution de l'URSS par la bureaucratie stalinienne en 1991. Après l'élection de Trump, une des fonctions de l'appareil militaire de l'UE serait de rivaliser avec les Etats-Unis, voire à long terme de les menacer directement, et de mener une politique dure contre Londres post-Brexit.

Hollande a souligné à nouveau sa méfiance envers Trump : « Nous connaissons maintenant ses lignes de conduite : l’isolationnisme, le protectionnisme, la fermeture à l’immigration et la fuite en avant budgétaire. Bref l’inquiétude fait face à l’incertitude et l’euphorie des marchés financiers me parait bien prématurée. Quant à sa méconnaissance de ce qu’est l’UE, elle nous oblige à lui démontrer sa cohésion politique, son poids économique et son autonomie stratégique ».

Interrogé sur ce qu'il dirait si le Royaume-Uni voulait garder les avantages de l'UE, Hollande a répondu sèchement : « Que ce n’est pas possible et qu’il va donc devenir un pays tiers par rapport à l’UE. Tel est le problème du Royaume-Uni : il avait pensé qu’en quittant l’Europe il allait nouer un partenariat stratégique avec les Etats-Unis. Mais il se trouve que l’Amérique se ferme par rapport au monde. Le Royaume-Uni a fait un mauvais choix, au mauvais moment. Je le regrette ».

Les défenseurs de l'UE abandonnent l'idée, répandue à sa fondation en 1992 quand on insistait toujours que l'UE devait empêcher l'éruption d'une Troisième Guerre mondiale en Europe, que l'UE traiterait ses Etats membres de manière égale. Comme le démontre le format à quatre du sommet de Versailles, qui n'a pas publié de déclaration officielle afin de minimiser l'oppositions d'autres Etats membres, Berlin et Paris veulent surmonter la montée des tensions en Europe en isolant les petits pays et en développant une UE « à plusieurs vitesses ».

« Soyons francs : certains Etats membres ne rejoindront jamais la zone euro. Prenons en acte. Et ne les attendons pas pour approfondir l’union économique et monétaire », a déclaré Hollande. « Car à vouloir toujours faire tout à vingt-sept, le risque est de ne rien faire du tout ».

Sur la Russie, finalement, tout en étant assez hostile, Hollande a indiqué de nettes différences avec les fractions du gouvernement américain qui ont adopté une ligne agressiste contre Moscou sous Obama, au point de risquer des affrontements militaires avec la Russie et Syrie et en Ukraine.

La Russie, a dit Hollande, « s’affirme comme une puissance. Elle teste nos résistances et mesure à chaque instant les rapports de force. En même temps, la Russie utilise tous les moyens pour influencer les opinions publiques ... Avec une stratégie d’influence, de réseaux, avec des thèses très conservatrices sur le plan des mœurs. C’est aussi la prétention de défendre la chrétienté par rapport à l’Islam. N’exagérons rien mais soyons vigilants ».

Il a ajouté, « On me dit souvent 'Pourquoi ne dialoguez-vous pas plus souvent avec le président Poutine ?' Mais je n’ai jamais cessé de dialoguer avec lui ! Avec la chancelière aussi, d’ailleurs. Et c’est bien ».

Dans ce contexte de désintégration et de poussée vers la guerre du capitalisme mondial, les défenseurs de l'UE et aussi l'administration Trump et ses soutiens européens, dont le FN, confrontent les travailleurs en ennemis. La seule voie pour aller de l'avant est la mobilisation et l'unification des travailleurs à travers le monde en lutte contre l'austérité, la guerre, et les mesures d'Etat policier.

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