La classe dirigeante espagnole se range derrière l’attaque de Washington contre la Syrie

L’arrivée au pouvoir aux États-Unis de l’administration agressivement nationaliste et protectionniste de Donald Trump a déclenché des divisions amères dans la classe dirigeante espagnole. L’attaque de Trump contre la base aérienne al-Shayrat de la Syrie, le prélude à une escalade militaire plus large menaçant directement la Russie, puissance nucléaire, marque un changement majeur dans la situation politique. La bourgeoisie espagnole serre les rangs en faveur de Trump et de son alignement sur les exigences de la CIA, du Parti démocratique et du Pentagone d’une politique de guerre.

Immédiatement après l’élection de Trump l’année dernière, l’influent quotidien El País a publié plus de 20 éditoriaux contre Trump et a attaqué le gouvernement de droite du Parti populaire (PP) en Espagne pour sa soumission devant Trump et a appelé l’UE à adopter une ligne plus agressive envers les États-Unis.

Dans son éditorial du vendredi, cependant, il affirme : « Trump avait peu de marge de manœuvre, surtout s’il voulait envoyer un message clair à Al Assad et à d’autres régimes qui violent en toute impunité les principes et les traités sur lesquels reposent la paix et la sécurité internationales ». Il dénonce la Russie parce qu’elle bloque les initiatives états-uniennes de changement de régime et des alliés au Conseil de sécurité de l’ONU.

Il y a deux mois, Elena Valenciano, députée européenne du Parti socialiste espagnol (PSOE) et vice-présidente du groupe socialiste au Parlement européen, exigeait que le Parlement européen agisse « avec force » et « courageusement » contre les déclarations de Trump qui critiquaient L’Union européenne (UE). Maintenant, elle salue les frappes de Trump sur la Syrie, affirmant que son but était d' « envoyer un message clair » à Assad, bien qu’elle ait également déclaré qu’elle n’était pas d’accord avec son unilatéralisme.

Le gouvernement du PP a pour sa part renforcé sa collaboration avec les États-Unis et a approuvé l’attaque. Vendredi dernier, il a qualifié les frappes de « réponse mesurée et proportionnée » à la prétendue attaque de gaz mardi dans le village de Khan Sheikhoun dans la province d’Idlib en Syrie. Sans aucun élément de preuve, et en ignorant le déni par le gouvernement syrien de son implication, la déclaration dénonce « l’utilisation par l’armée syrienne d’armes chimiques contre la population civile du pays ».

La déclaration tait la violation flagrante du droit international impliqué dans l’action de Washington, affirmant que « l’opération américaine était une action limitée dans ses objectifs et ses moyens ». L’attaque, continue-t-elle, a frappé « une base militaire, pas des objectifs civils » – bien qu’en fait, il a tué au moins 15 personnes, y compris neuf civils, dont quatre enfants.

Elle conclut en disant que Madrid « qui a un fort sentiment de loyauté vis-à-vis de ses alliés, est en faveur d’une action internationale concertée et regrette donc le fait que le blocus du Conseil de sécurité des Nations Unies dans le conflit syrien ne l’ait pas rendue possible ».

Lors d’une conférence de presse, le porte-parole du gouvernement et le ministre de la Culture, Íñigo Méndez Vigo, n’avait rien à dire lorsqu’on leur a demandé pourquoi le gouvernement avait changé sa position depuis 2013. À cette époque, l’Espagne s’était opposée à la tentative de l’administration Obama d’utiliser des allégations d’attaque d’armes chimiques faussement attribuée au gouvernement syrien, pour lancer une guerre.

Mendez a déclaré sans façon que la « situation a changé » depuis 2013, lorsque l’Espagne, sous le même Premier ministre, Mariano Rajoy, a déclaré que Madrid « ne soutient jamais une action militaire concrète ». À l’époque, Rajoy a ajouté : « Il n’y a pas de solution militaire possible au conflit civil en Syrie, il n’y a qu’une seule solution politique », et que l’Espagne voulait empêcher « la Syrie de devenir l’Irak bis ».

Ce qui a changé n’est pas le fait que l’acte de guerre de Trump contre la Syrie ne menace plus de plonger la Syrie dans un effusion de sang toujours plus grande à l’échelle de la guerre de plusieurs décennies en Irak ni de provoquer une guerre encore plus large. Plutôt, à la lumière de l’alignement soudain de Trump sur la CIA et le Parti démocrate, la bourgeoisie espagnole a réfléchi à sa position et se range derrière Washington. Le milliardaire d’extrême droite Trump est maintenant vu par des sections croissantes de la classe dirigeante comme une opportunité.

Une fois Trump installé à la présidence, le PP a immédiatement entamé une offensive diplomatique pour devenir le nouveau partenaire stratégique de Washington en Europe, puisque son allié traditionnel le plus proche, la Grande-Bretagne, a commencé son départ de l’UE sous le Brexit. Au cours de sa première conversation avec Donald Trump, le Premier ministre Rajoy lui a proposé l’Espagne comme « interlocuteur en Europe, en Amérique latine et aussi en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ». Rajoy a déclaré qu’il était prêt à « développer une bonne relation avec la nouvelle administration américaine ».

La déclaration de la Maison Blanche sur la conversation indiquait que Trump avait souligné que c’était important que tous les alliés de l’OTAN partagent le fardeau des dépenses de défense.

Le mois dernier, et à la demande de Washington, la ministre espagnole de la Défense, María Dolores de Cospedal, a rencontré le secrétaire à la Défense américain, James Mattis, à Washington. Elle a promis que l’Espagne consacrerait 2 % de son PIB aux dépenses de défense dans les dix ans à venir.

Dès son retour, l’Espagne a annoncé que le nouveau budget de 2017 comprendrait une énorme augmentation de 32 pour cent des dépenses militaires, passant de 5,7 milliards d’euros en 2016 à 7,5 milliards d’euros en 2017.

Le 26 mars, Rajoy a nommé l’ancien ministre de la Défense, Pedro Morenés, avec qui Rajoy a des liens étroits, nouvel ambassadeur d’Espagne à Washington. Morenés a été l’un des principaux architectes du renouvellement en 2015 d’un accord de défense bilatéral entre l’Espagne et les États-Unis. L’accord permet l’utilisation militaire permanente par Washington de la base aérienne de Morón à Séville, avec un nombre accru de soldats et d’avions. Il permet également le stationnement de deux destroyers supplémentaires équipés du système de radar Aegis à la base navale de Rota, ce qui porte le total à quatre.

Au lendemain de l’attaque de Trump contre la Syrie, les social-démocrates espagnols, leurs alliés politiques et leurs partisans des médias rejoignent le PP en s’alignant sur la politique étrangère de Trump.

Deux des destroyers postés à la Base navale de Rota, l’USS Porter et l’USS Ross, ont été utilisés lors de l’attaque de la semaine dernière contre la Syrie. Luís Simón, analyste principal et directeur du bureau de Bruxelles du groupe de réflexion l’Institut royal d’Elcano, s’est félicité du fait que cela ait montré « l’importance croissante de l’Espagne pour la marine américaine comme source de profondeur stratégique pour les actions éventuelles au Moyen-Orient ».

En essayant de limiter la colère populaire sur fond d’une large opposition à la guerre, les représentants du gouvernement et les médias ont affirmé que les destroyers « sont partis il y a des jours » et « patrouillaient au large de la côte d’Israël ». Cependant, Madrid a également déclaré rapidement que même si elle n’avait pas été préalablement consultée ni n’avait reçu aucune communication directe de Washington, il a été prévenu de l’attentat par l’OTAN.

De telles déclarations visent à confondre et à désorienter la population. Plutôt que de renforcer la sécurité, comme on l’a prétendu à la veille de signer l’accord de défense avec les États-Unis, le soutien des bourgeoisies espagnoles et européennes aux guerres impérialistes et aux opérations de changement de régime, met en péril des millions de personnes d’anéantissement, surtout quand les États-Unis et leurs alliés européens aggravent témérairement la confrontation avec la Russie et la Chine, toutes deux des puissances nucléaires.

(Article paru en anglais le 10 avril 2017)

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