Hollande invite Le Pen aux funérailles du policier tué sur les Champs-Elysées

Hollande a invité hier les deux candidats présents au second tour du 7 mai, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, le candidat favori du PS de Hollande, à la commémoration du policier Xavier Jugelé, abattu le 20 avril par un militant de l'Etat islamique (EI) sur les Champs-Elysées.

Son intention n'était pas difficile à déchiffrer. Il avait déjà invité Le Pen à l'Elysée après les deux attentats terroristes de 2015, afin de promouvoir une unité nationale qui inclurait le FN, qui descend des fascistes qui ont gouverné la France sous l'Occupation nazie. Surtout à présent que Le Pen est au second tour, et qu'elle pourrait en principe remporter la présidence le 7 mai, Hollande veut tout faire pour délégitimer l'opposition au Front national de Le Pen.

La dernière fois que le FN est parvenu au second tour, après l'élimination de Lionel Jospin (PS) en 2002, des millions de personnes sont allées manifester spontanément. Quinze ans plus tard, après de violents accrochages entre la police et des manifestants anti-fascistes le soir du premier tour, Hollande traite tant Le Pen que Macron de candidat légitime à la présidence.

Traitant les deux candidats de personnes qui « auront à décider pour demain », il a dit à Le Pen et à Macron de continuer à développer l'appareil policier massif qui a émergé sous l'état d'urgence qu'il a imposé en 2015. Il leur a demandé de fournir « les ressources budgétaires nécessaires pour recruter les personnels indispensables à la protection de nos concitoyens », proposant « de la constance, de la persévérance, de la cohérence dans l’effort, plutôt que des surenchères et des ruptures ».

L'appel de Hollande à une néo-fasciste de renforcer l'appareil d'Etat est sinistre, surtout parce qu'il n'y a presque aucun doute que les services ont joué un rôle dans le meurtre de Jugelé. Le tireur décédé, Karim Cheurfi, avait écopé d'une peine de 15 ans de prison pour avoir blessé deux policiers avec une arme à feu en 2001. Après son arrestation pour avoir déclaré qu'il cherchait des armes afin de tuer des policiers, le renseignement l'a suivi de près pour ses liens via Internet avec l'EI.

Il n'y a aucune explication innocente pour le fait qu'un tel homme a pu réunir un arsenal d'armes à feu et de coûteaux afin d'assassiner un policier. La sympathie des services de sécurité pour le FN est connue. Vu que Jean-Luc Mélenchon montait dans les sondages juste avant l'attentat, suite aux frappes américaines en Syrie, il est légitime de se demander si on a permis à l'assassinat de se produire, afin que l'hystérie sécuritaire qui en résulterait bénéficie à la campagne de Le Pen.

Le Pen est allée des funérailles de Jugelé au plateau de télévision de TF1, où elle a accordé une entrevue longue et belliqueuse sur sa campagne. Elle a proposé une politique protectionniste, un abandon de l'euro pour retourner au franc, et de doubler les dépenses militaires.

Pour financer une telle augmentation des dépenses, il faudrait mener des attaques sociales dévastatrices contre les programmes sociaux. Le Pen a dit que l'armée est « à l'os. ... Ils sont avec un matériel obsolète. Parfois ils doivent se payer leur propre matériel, c'est indigne et dangereux pour la sécurité des Français et pour nos militaires ». Elle a proposé d'augmenter le budget militaire à 2 pour cent du PIB l'année prochaine, et 3 pour cent à l'horizon 2022.

La domination de ce qui passait pour la « gauche » française par le PS a permis au FN de se donner pour la seule tendance d'opposition grâce à un discours protectionniste et anti-immigré. Au premier tour, le FN était en tête dans 216 des 566 circonscriptions de la France métropolitaine. S'il a perdu dans les grandes villes, il a remporté des victoires importantes dans les zones désindustrialisées du Nord, de la Picardie, et de la Lorraine, ainsi qu'en Champagne et sur la côte de la Méditerranée.

Le FN a aussi obtenu des victoires moins larges dans des régions où il n'avait presque aucune présence il y a 10 ans : l'Alsace, la Bourgogne, le Centre, et la Haute-Normandie. Le FN pourrait remporter plus de 100 sièges à l'Assemblée aux législatives en juin.

L'invitation de Hollande à Le Pen hier souligne l'importance des liens qui ont émergé entre le PS et le FN sous sa présidence, alors que toute l'élite dirigeante réagissait à l'opposition populaire à la guerre et aux mesures d'austérité du PS et de l'UE en se déplaçant très loin vers la droite. Le FN a servi de base politique à Hollande. Il a invité Le Pen à l'Elysée deux fois en 2015, alors que le PS se préparait à imposer un état d'urgence qui suspendait des droits démocratiques fondamentaux afin de réprimer violemment des manifestations contre sa loi travail régressive.

Le PS a également essayé d'inscrire la déchéance de nationalité, le fondement juridique de la persécution des dirigeants de la Résistance et de la déportation des Juifs aux camps de la mort sous l'Occupation, dans la constitution. Avec cette répudiation des traditions de la politique de gauche, le PS a non seulement tenté de légitimer le FN ; il s'est discrédité auprès de larges masses de travailleurs. Le PS passe à présent par un effondrement historique, ayant reçu à peine 6 pour cent des voix au premier tour.

Le FN peut prétendre être le parti « anti-système » surtout à cause de la répudiation du marxisme révolutionnaire par toutes les organisations qui ont rompu avec le trotskysme en France. Alors que des manifestations éclataient contre la présence du FN au second tour en 2002, elles ont rejeté l'appel du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) à mener un boycott actif du second tour. Cette politique visait à préparer la classe ouvrière à lutter au mieux contre les guerres et les mesures d'austérité que Chirac a ensuite imposées.

Ces partis—Lutte ouvrière (LO), la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, aujourd'hui le NPA, Nouveau parti anticapitaliste), et le Parti des travailleurs (PT, le Parti ouvrier indépendent démocratique)—ont été hostiles à cette stratégie. Ils avaient reçu 3 millions de voix. Mais ils ne pouvaient ni ne voulaient construire un parti ouvrier trotskyste de masse contre Jospin et le PS. Ils se sont alignés sur l'appel du PS à un vote pour le candidat de droite, Jacques Chirac, laissant au FN le loisir de se présenter en seul parti d'opposition en France.

Le résultat des élections de 2017 témoignent des conséquences réactionnaires et désastreuses de ces décisions. Le FN peut prétendre sérieusement arriver au pouvoir à présent.

Mais l'opposition des travailleurs à l'austérité, à la guerre, et à la dictature qui a poussé des millions de gens à manifester en 2002 n'est pas morte. Le chômage touche des millions de gens, dont 25 pour cent des jeunes, et les tensions de classes sont même plus aigües qu'il y a 15 ans. Mais cette colère sociale ne peut s'exprimer par le biais de partis petit-bourgeois comme le NPA, qui ont appelé à voter Hollande en 2012, soutenu la guerre en Syrie, et profité pendant des décennies de leurs liens corrompus avec un PS qui est à présent à l'agonie.

La tâche de fournir une direction politique révolutionnaire à la colère sociale et politique des travailleurs incombe à la section nouvellement fondée du CIQI, le Parti de l'égalité socialiste, qui lutte pour le trotskysme par opposition au PS et ses satellites, tels que le NPA.

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