Le dictateur égyptien al-Sissi acceuilli à la Maison Blanche

Le président Donald Trump a accueilli le dictateur militaire sanguinaire de l’Égypte, le général Abdel Fattah al-Sissi, à la Maison Blanche lundi, en faisant une démonstration publique de soutien à un régime qui a massacré des milliers de personnes, et écrasé le soulèvement révolutionnaire de millions de travailleurs et de jeunes qui avaient inspiré le monde en 2011, et qui actuellement jette en prison des milliers d’opposants politiques et dissidents.

Plus d’un millier d’Égyptiens ont été condamnés à mort par les tribunaux au cours de procès joués d’avance où ils ne pouvaient pas présenter une défense et où aucune preuve n’a été présentée. D’autres sont condamnés à de la prison à perpétuité comme le président élu de l’Égypte, Mohamed Morsi des Frères musulmans, dont le gouvernement fut renversé par un coup d’État militaire en juillet 2013 par al-Sissi.

Ce bilan sanglant n’a pas inquiété Trump dans la moindre mesure, lorsqu’il serrait la main de al-Sissi vigoureusement, tout à fait le contraire de son refus remarquable à tendre la main à Angela Merkel lorsque la chancelière allemande fut son invitée le mois dernier. « Nous sommes très derrière l’Égypte et le peuple d’Égypte », a dit Trump, alors qu’il se tenait côte à côte dans le bureau ovale avec l’oppresseur en chef du peuple égyptien.

« Vous avez un grand ami et un allié aux États-Unis avec moi », a dit Trump à al-Sissi. « Je veux juste que tout le monde sache que nous sommes beaucoup derrière le président al-Sissi, il a fait un travail fantastique dans une situation très difficile. »

Le président égyptien a répondu par la flatterie extravagante à l’égard de Trump, déclarant : « Depuis que nous nous sommes rencontrés septembre dernier, j’ai eu un profond respect et admiration de votre personnalité unique, surtout que vous êtes un pilier très fort dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. » Le régime égyptien n’a fait aucune objection aux efforts de Trump, au nom de la lutte contre le terrorisme, à propos de son interdiction de visite aux États-Unis pour les ressortissants de sept pays à majorité musulmane, y compris deux des voisins de l’Égypte, la Libye et le Soudan.

Une déclaration de la Maison Blanche annonçant la visite d’al-Sissi a indiqué qu’à l’ordre du jour ne figuraient que deux questions pour la réunion, le terrorisme et la réforme économique. Les questions les plus importantes n’ont pas été affichées ouvertement. L’escalade de l’intervention militaire américaine partout au Moyen-Orient et les efforts déployés par Washington pour mobiliser ses vassaux, les dictateurs militaires et despotes pétroliers à y contribuer tous.

L’Égypte est le deuxième bénéficiaire de l’aide militaire et économique dans la région, devancée seulement par Israël. Cependant, en dépit d’énormes achats d’armes, y compris des avions de combat, des véhicules blindés et des armes de pointe, il n’y a pas d’avions de guerre égyptiens qui participent au bombardement mené par les États-Unis en Irak et Syrie. L’Égypte a également rejeté les demandes de l’Arabie Saoudite à soutenir la coalition des monarchies du Golfe qui mènent la guerre au Yémen contre les rebelles houthis qui ont renversé le régime du président Abdrabbuh Mansur al-Hadi soutenu par les Saoudiens.

Les responsables égyptiens ont résisté à la pression pour faire une contribution militaire en raison des crises de sécurité sur ses deux frontières orientales et occidentales : les attaques de guérilla islamistes dans la péninsule du Sinaï, et la guerre civile en Libye voisine. Plus significatif encore est la crainte continue d’une explosion sociale à l’intérieur, six ans après le mouvement de masse qui a fait tomber le régime militaire du président Hosni Moubarak. La fonction la plus importante de l’appareil militaire massif égyptien, financé par l’aide américaine de 77 milliards de dollars sur trois décennies, est d’assurer le contrôle sur une population de 90 millions, de loin la plus grande dans le monde arabe.

Trump a enterré avec ostentation la rhétorique occasionnelle sur les droits de l’homme des administrations Obama et Bush. Cependant, il n’a pas encore annulé certaines des restrictions imposées sur les achats militaires égyptiens suite au coup d’État d’al-Sissi. À l’époque, Obama se sentit obligé de critiquer des actes les plus violents de répression, même tout en maintenant des liens de sécurité avec Le Caire, y compris les 1,3 milliards d’aide militaire annuelle.

En particulier, al-Sissi cherche la restauration du « financement de trésorerie », une méthode particulièrement favorable de l’aide militaire permettant à l’Égypte d’acheter aux États-Unis du matériel militaire avec un crédit très avantageux à long terme. Les observateurs dans les médias égyptiens, tous soumis à la censure de l’État, ont suggéré qu’une coopération égyptienne avec les efforts militaires américains contre l’État islamique en Irak et en Syrie pourrait être le prix à payer pour la restauration des crédits à long terme.

En dépit de l’approbation enthousiaste de Trump pour al-Sissi, à la fois en tant que candidat présidentiel et président, sa politique budgétaire initiale soumise au Congrès comprenait des réductions nettes dans l’aide étrangère qui auraient des conséquences dévastatrices pour l’économie égyptienne en faillite. En ce qui concerne l’aide militaire, le budget de Trump a garanti le financement continu d’Israël, mais pas pour l’Égypte, un sujet qui était toujours en cours d’évaluation.

Le taux de chômage officiel en Égypte est de 12,7 pour cent, par rapport à 9 pour cent en 2011, quand le mécontentement sur l’économie a été une force motrice dans la révolution qui renversa la dictature de Moubarak. Le chômage des jeunes est estimé à plus de 30 pour cent.

Le président al-Sissi a rencontré ses argentiers à la Banque mondiale, même avant de rendre visite à Trump à la Maison Blanche. Il a aussi rencontré Jeffrey Immelt, PDG de General Electric, et devait rencontrer plus tard dans la semaine les représentants du Fonds monétaire international. À chaque arrêt, y compris à la Maison Blanche, al-Sissi a promis de poursuivre son programme de « réforme économique », qui consiste à sabrer les subventions pour les biens de consommation comme le pain et ouvrir davantage l’économie égyptienne à l’investissement étranger.

Le mois dernier, la baisse des subventions pour le pain, exigée par le FMI, a déclenché des émeutes dans de nombreuses villes. Dans un commentaire publié dans la revue Foreign Policy, Zeinab Abul-Magd de l’université d’Oberlin a écrit : « Les émeutes révèlent que, sous cette tranquillité, une guerre fait rage entre l’armée dominatrice du pays et ses pauvres civils, » ajoutant que : « La stabilité du régime de l’armée égyptienne n’est pas garanti pour durer. »

Al-Sissi s’est consacré à consolider son soutien au sein de l’establishment militaire, lui accordant des investissements financiers somptueux de l’État dans des entreprises dirigées par des officiers militaires. Le mois dernier, son régime a orchestré la libération de prison de l’ancien dictateur, Hosni Moubarak, en annulant sa condamnation pour corruption.

La rencontre de Trump avec al-Sissi fait partie d’une offensive de la politique étrangère américaine dans tout le Moyen-Orient. Plus tard cette semaine du roi Abdallah de Jordanie se rendra à la Maison-Blanche, un autre despote soutenu par les États-Unis qui est sous une pression croissante pour contribuer davantage à la campagne militaire en Irak et en Syrie.

Le week-end dernier Trump a envoyé son gendre, Jared Kushner, en Irak, pour accompagner le général Joseph Dunford, président des chefs d’état-major et le conseiller en lutte antiterroriste Thomas Bossert à la Maison Blanche. Il va participer à des négociations avec les dirigeants irakiens à Bagdad et se fera une idée de première main du siège militaire irakien de Mossoul, où des avions de combat américains ont massacré des centaines de civils dans les bombardements sans relâche.

Kushner, âgé de 36 ans et rejeton d’une famille milliardaire de l’immobilier, n’a aucune expérience de la politique étrangère, mais dispose d’un portefeuille qui s’élargit pour inclure la Chine, le Mexique et le Moyen-Orient, ce qui lui sacre comme le « prince héritier » d’un régime de plus en plus dynastique.

La mission Dunford-Kushner fait suite à des reportages selon lesquels le Pentagone ne veut plus annoncer ou confirmer le déploiement des troupes à l’intérieur ou en dehors de l’Irak et la Syrie, suite aux ordres du Conseil national de sécurité de Trump. Un responsable du Pentagone a déclaré au Los Angeles Times que le but était « de maintenir la surprise tactique, assurer la sécurité opérationnelle et la protection de la force. »

Le but réel, cependant, est de cacher au peuple américain, et à l’opinion publique mondiale, l’escalade continue des opérations militaires des États-Unis dans la région, qui comprend les déploiements récents de 400 marines dans le nord de la Syrie et 300 parachutistes pour renforcer l’assaut irakien de Mossoul.

L’administration de Trump a aussi approuvé la vente des avions de combat F-16 à la monarchie de Bahreïn, suspendue depuis des années en raison de la répression brutale contre la majorité chiite de ce pays. Le roi Hamad a réagi en intensifiant la répression, approuvant une modification de la constitution lundi permettant aux tribunaux militaires de juger des civils pour des infractions contre l’état d’urgence qui est en vigueur depuis 2011.

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Washington rolls out red carpet for the butcher of Cairo

[3 avril 2017]

(Article paru en anglais le 4 avril 2017)

 

 

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