Pourquoi Emmanuel Macron n'est pas un moindre mal face à Marine Le Pen

Ces commentaires ont été formulés à Paris le 1er mai, lors de la première réunion publique du Parti de l'égalité socialiste, par Johannes Stern, membre de la direction du Sozialistische Gleichheitspartei, section allemande du CIQI.

En tant qu'intervenant du Comité international de la Quatriéme Internationale (CIQI) aujourd'hui, je souhaite tout d'abord vous adresser les salutations internationales les plus chaleureuses de la part du Sozialistische Gleichheitspartei (SGP), la section allemande du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et de l'ensemble du Comité international. Je suis fier de participer et de parler à cette premiére réunion publique du Parti de l'égalité socialiste (PES) à Paris, en un moment politique aussi critique.

Le PES est clairement le seul parti intervenant dans les élections avec une perspective révolutionnaire pour la classe ouvrière. Comme l'a expliqué le camarade Alex Lantier, notre appel à un boycott actif n'est pas fait du point de vue de calculs parlementaires mais de la dynamique de la lutte des classes.

Il est clair qu'une confrontation amère est en préparation entre le prochain gouvernement français et la classe ouvrière. Les travailleurs et les jeunes comprennent qu'ils font face à deux candidats de droite, la néo-fasciste Marine Le Pen et le banquier Emmanuel Macron, qui sont les deux profondément hostiles à leurs intérêts. Selon les sondages, 69 pour cent de l'électorat est insatisfait, ou très insatisfait, du choix proposé entre les candidats au deuxième tour.

Je veux surtout développer ce point : pourquoi ne rejoignons-nous pas tout le camp bourgeois, libéral et de pseudo-gauche, qui cherche à représenter Macron comme le moindre mal par rapport à Le Pen et demande aux travailleurs et aux jeunes de voter pour le premier ? Notre réponse est claire : tout simplement, Macron n'est pas le moindre mal. C'est le candidat de l'austérité et de la guerre ! Comme Le Pen, il pose un danger mortel pour la classe ouvrière.

Sur la question de l'austérité je veux citer un article récent du New York Times. Il est intitulé « Comment Macron pourrait réparer l'économie française ? » et résume ce que l'élite financière internationale attends de son candidat.

« De toute évidence, les raisons pour des changements sont devenues plus urgentes. [...] Au cours de la dernière décennie, les dépenses publiques ont augmenté encore plus, à 57 pour cent du produit intérieur brut, contre 51 pour cent au début de la décennie. C'est plus élevé que toute autre nation du monde et 18 points de pourcentage de plus que la moyenne pour les pays développés. Il est difficile de dire de combien les dépenses publiques sont trop importantes, mais la France est nettement en déséquilibre, et M. Macron a raison de dire que la tendance n'est plus durable. La masse salariale publique est également gonflée et M. Macron vise à rééquilibrer l'économie en supprimant 120 000 emplois dans le secteur public, en rationalisant le système de retraite et en ramenant les dépenses de l'État à 52 % du PIB. »

Sur la question de la guerre, écoutons M. Macron lui-même. Lors d'une réunion publique il y a six semaines à Paris, il a déclaré : « Nous sommes entrés dans une époque des relations internationales où la guerre est à nouveau un horizon possible de la politique. » À la même réunion, il s'est engagé à réintroduire le service militaire et a exigé que la France maintienne des capacités militaires indépendantes « afin de concevoir, de décider et d'exécuter » l'action militaire.

Ce sont précisément les raisons pour lesquelles l'ensemble de l'establishment international au pouvoir soutient Macron. Puisqu'il est un défenseur de l'UE et du militarisme européen, Berlin, en particulier, le considère comme un allié dans son projet mégalomane de militariser et dominer l'UE pour devenir une puissance mondiale.

Nous n'aurons de l'influence que si nous faisons conjointement de l'Europe, l'Allemagne et la France en particulier, un véritable acteur dans le monde, a déclaré le Président et ancien social-démocrate allemand Frank-Walter Steinmeier, quelques jours avant le premier tour de l'élection, dans un entretien accordé à Sud Ouest.

Compte tenu de « la nouvelle orientation des États-Unis, une Europe unie devient encore plus importante », a déclaré Steinmeier, se référant à la politique agressive « L'Amérique d'abord » de Donald Trump. Si l'unification de l'Europe échoue, « comme les partis nationalistes et populistes le veulent en France, nous ne serons pas des acteurs, mais plutôt des pions d'autres puissances », a-t-il averti.

En d'autres termes, alors que l'Allemagne se prépare à entrer en conflit avec les autres grandes puissances - y compris les États-Unis - son opposition à Le Pen repose uniquement sur des calculs géo-stratégiques. Il n'a rien à voir avec les préoccupations concernant les positions d'extrême droite et xénophobes de Le Pen, ni avec les origines fascistes du Front national.

En fait, alors que le militarisme allemand et européen se réarme, les élites dirigeantes réhabilitent de plus en plus les politiques d'extrême droite et fascistes et les mettent en œuvre eux-mêmes. Alex a déjà mentionné l'invitation de Le Pen au palais de l’Élysée, l'imposition d'un état d'urgence par le gouvernement PS et son projet d'inscrire une loi de déchéance de la citoyenneté dans la constitution.

L'ensemble de l'Union européenne capitaliste n'est pas un moyen d'unifier l'Europe et de favoriser la justice sociale et la paix, mais un terrain propice au nationalisme, à la xénophobie, à la contre-révolution sociale, au tout sécuritaire et à la guerre. Les mesures d'austérité dictées par Bruxelles et Berlin ont détruit des pays entiers, comme la Grèce, et ont réduit des millions de personnes à la pauvreté. La politique brutale anti-réfugiés de l'Europe-forteresse a transformé la Méditerranée en une fosse commune, où plus de 25 000 personnes se sont noyées ces dernières années. Les centres de détention et les camps de réfugiés dans toute l'Europe rappellent les images des camps de concentration mis en place par les nazis avant la Seconde Guerre mondiale.

Comme en France, la montée des forces d’extrême droite et fascistes, telles que Pegida et l'AfD en Allemagne, est l'expression d'un virage vers la droite de l'ensemble de l'establishment au pouvoir. En Allemagne, cela trouve son expression la plus forte dans une tentative de réécrire l'histoire, et même de minimiser les crimes des nazis et de réhabiliter Hitler.

Voici une citation récente d'un professeur allemand : « J'ai comparé Hitler à Staline. Staline était un psychopathe, Hitler ne l'était pas. Staline aimait la violence, Hitler ne l'aimait pas. Hitler savait ce qu'il faisait. Il fut un gratte-papier qui ne voulait pas connaître les conséquences sanglantes de ses actes. »

Déjà en 2014, cette même personne a déclaré au magazine hebdomadaire le plus lu d'Allemagne, Der Spiegel : « Hitler n’était pas un psychopathe, il n'était pas cruel. Il ne voulait pas parler de l'extermination des Juifs à sa table. »

Ces déclarations monstrueuses concernant le chef des nazis et plus grand meurtrier de masse dans l'histoire ne proviennent pas d'un homme qui est principalement actif dans les mouvances extrémistes de droite ou néo-fascistes. L'auteur dans les deux cas est Jörg Baberowski, qui occupe la chaire d'histoire de l'Europe de l'Est à l'Université Humboldt de Berlin. Il a des liens étroits avec l'armée allemande et le gouvernement allemand, et il est même invité à parler et promu en tant que grand intellectuel par les dirigeants du Parti de gauche (Die Linke, le parti allemand avec lequel Jean-Luc Mélenchon s’associe).

À l'heure actuelle, la présidente social-démocrate de l'Université Humboldt, Sabine Kunst, cherche à faire taire toute critique des déclarations de Baberowski par l'IYSSE (International Youth and Students for social Equality - Les Jeunes et Étudiants internationaux pour l’égalité sociale) sur le campus, avec le soutien du gouvernement de coalition SPD-Verts-Parti de gauche à Berlin. L'IYSSE est le mouvement des jeunes et des étudiants du CIQI et du SGP (Parti de l’égalité socialiste), et a mené une puissante campagne contre les développements très inquiétants à l'Université Humboldt, qui a obtenu le soutien des étudiants non seulement à Humboldt, mais aussi dans des universités et parmi les jeunes et travailleurs de toute l'Allemagne.

L'IYSSE et le SGP ont expliqué que le révisionnisme sur l'histoire en Allemagne est directement liée au retour du militarisme allemand. Nous avons expliqué que la bourgeoisie allemande a besoin d'un nouveau récit historique pour surmonter l'hostilité au militarisme et à la guerre. Ils doivent effacer de la mémoire les crimes du militarisme allemand des deux guerres mondiales, afin de se préparer à de nouveaux crimes et à de nouvelles guerres.

Trois ans après que le président allemand d’alors Joachim Gauck et le gouvernement allemand ont proclamé la « fin de la limitation militaire » lors de la Conférence de sécurité de Munich de 2014, les implications profondes de ce changement de politique étrangère deviennent claires. À la fin de l'année dernière, le gouvernement allemand a annoncé que le budget de la défense devait être presque doublé et la Bundeswehr massivement réarmée. Le ministère de la Défense prévoit un développement substantiel de l'armée, de la marine et de l'armée de l’Air. Les médias discutent de la réintroduction de la conscription et de l'acquisition de son propre arsenal nucléaire par l'Allemagne.

En même temps, les commentateurs dans les médias et les conseillers en politique étrangère font des déclarations dont les nazis auraient été fiers. Une importante publication de politique étrangère intitulée « La nouvelle politique étrangère de l'Allemagne », qui comprend les contributions du président allemand Steinmeier, du ministre des Finances Schäuble, du ministre de la Défense von der Leyen, ainsi que les principaux politiciens des Verts et du Parti de gauche, se plaint qu'en Allemagne, « l'effort névrotique pour rester moralement propre » imprègne presque tous les débats sur la politique intérieure et étrangère.

« Celui qui part en guerre doit généralement être responsable de la mort des êtres humains, y compris la mort de non-participants et d'innocents », déclare la publication. En particulier, par les « temps de nouvelle incertitude stratégique », il est nécessaire « de magnifier l'armée, non seulement parce que les sociétés exigent de telles épreuves difficiles, mais plutôt parce que c'est finalement la discipline la plus difficile, la plus exigeante et, sans aucun doute, la discipline suprême de la politique étrangère ».

La conclusion de cette publication ne peut être comprise que comme une menace : dans les années à venir, l'Allemagne doit « s'engager beaucoup plus politiquement et militairement » et sera confrontée à des « problèmes de politique étrangère et de sécurité » que « le pays ne pourrait pas imaginer dans ses pires cauchemars. »

Avec cela, je voudrais revenir à mes remarques préliminaires. Je me suis référé à ces développements afin de souligner qu'il n'y a pas de candidat « du moindre mal » pour la classe ouvrière au second tour. La politique de Macron est la même politique réactionnaire de la guerre et du militarisme qui est le plus agressivement énoncée à Berlin.

Comme avant les Première et la Seconde Guerres mondiales, tous les principaux États capitalistes se préparent à la guerre. Il y a trois jours, Donald Trump a déclaré : « Il est possible que nous puissions finir par avoir un conflit majeur, majeur avec la Corée du Nord. Absolument. » Le demi-fasciste milliardaire devenu président des États-Unis ne semble pas être dérangé par le fait qu'un « conflit majeur avec la Corée du Nord » signifierait « une guerre nucléaire », peut-être aussi avec la Russie et la Chine, menaçant l'existence même de l'humanité.

« Alors que les élites dirigeantes se préparent à la guerre, la classe ouvrière doit être mobilisée pour l'empêcher », a déclaré le camarade David North dans sa contribution au rassemblement internet pour le 1er mai organisé par le CIQI hier. Il a poursuivi :

« Le fondement essentiel de la lutte contre la guerre est une compréhension de ses causes. Comme l'a expliqué Lénine en 1917, la guerre est le produit du développement du capitalisme mondial "et de ses milliards de fils et de connexions". On ne peut pas l’arrêter, dit-il, "sans renverser le pouvoir du capital et transférer le pouvoir de l’État à une autre classe, le prolétariat". »

« Par conséquent, la lutte contre la guerre pose, sous la forme la plus nette, le problème politique fondamental de cette époque historique : la résolution de la crise de la direction révolutionnaire. Jamais la contradiction entre l'état très avancé de la crise du capitalisme et la conscience subjective de la classe ouvrière n'a été si grande. Mais c'est cette contradiction même qui donne l'impulsion à un développement immense et rapide de la conscience politique. »

Comme Trotsky l'a expliqué en 1938, lorsque la Quatrième Internationale, en tant que parti mondial de la Révolution socialiste, a été fondée ici à Paris, la tâche décisive était de résoudre la crise de la direction dans la classe ouvrière. C'est tout le sens de la fondation du PES en août dernier et de son appel à un boycott actif lors du second tour des élections présidentielles. Je vous encourage tous à étudier le document fondateur du Parti de l’égalité socialiste (PES) et à son programme électoral et à aider dans la construction de la seule organisation en France qui représente la continuité du trotskysme et avance un programme révolutionnaire pour la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 4 mai 2017)

 

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