Québec se prépare à criminaliser une grève dans l'industrie de la construction

Le premier ministre libéral du Québec, Philippe Couillard, a signifié clairement que son gouvernement agira rapidement pour mettre un terme à une possible grève dans l'industrie de la construction, qui compte 175.000 travailleurs. 

Évoquant de manière à peine voilée le recours à une loi spéciale, Couillard a déclaré: «Les activités de construction sont un aspect vital de notre économie au Québec. Comme premier ministre, je ne resterai pas les bras croisés devant un ralentissement des activités avec des conséquences économiques importantes sans agir.» 

Inquiète qu'une grève parmi les travailleurs de la construction, une section historiquement combative des travailleurs, puisse rapidement devenir le fer de lance d'un mouvement plus large de l'ensemble des travailleurs contre l'austérité capitaliste, la classe dirigeante québécoise est déterminée à tuer dans l'œuf toute rébellion de ces travailleurs. L'industrie de la construction représente 12 pour cent de l'économie québécoise. 

Les déclarations de Couillard sont survenues moins de 24 heures après que tous les secteurs de l'industrie (la construction résidentielle, le génie civil et la voirie, l'industriel ainsi que l'institutionnel et le commercial) ont voté à plus de 93% en faveur d'une grève, qui pourraient survenir dès le 22 ou le 24 mai. Tous les travailleurs de la construction sont affiliés à l'Alliance syndicale, un regroupement de plusieurs syndicats en construction. 

Les travailleurs de la construction, qui ont déjà fait d’importantes concessions au niveau des salaires et des conditions de travail en 2013-2014, s’opposent aux exigences du patronat, qui réclame «des gains de flexibilité et de productivité». Parmi les demandes patronales, on trouve le paiement des cinq premières heures supplémentaires à temps et demi plutôt qu’à temps double et la possibilité de faire travailler les ouvriers à temps simple le samedi en cas de journée perdue par le mauvais temps au cours de la semaine. 

Malgré leurs critiques verbales, les chefs syndicaux n’ont aucune intention de défendre les acquis de leurs membres ni de faire d’une grève le catalyseur d’un plus vaste mouvement de la classe ouvrière en défense des salaires et des emplois. 

La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), qui regroupe plus de 600.000 membres et à laquelle une importante partie des travailleurs en construction est affiliée, ne donne aucun détail des demandes syndicales. Mais plus significativement encore, l’Alliance syndicale n’a pas réagi aux propos de Couillard pour une loi spéciale.

Ce silence indique que, comme lors des dernières négociations collectives, les syndicats de la construction s’apprêtent à utiliser la menace d’un décret pour justifier leur capitulation et imposer les demandes du patronat. 

C'est précisément ce que la bureaucratie syndicale a fait en 2015-2016 avec plus d'un demi-million de travailleurs du secteur public qui luttaient contre l'austérité imposée dans les dernières décennies et les conséquences désastreuses sur la qualité des services publics et les conditions de travail. Après avoir maintenu un silence radio pendant des mois sur la possibilité d'une loi spéciale, les syndicats l'ont utilisée à la dernière minute pour forcer leurs membres à accepter les ententes au rabais. 

Malgré le silence total des syndicats sur la menace d’un décret, les travailleurs savent très bien que les libéraux sont prêts à criminaliser une possible grève et qu’ils auront le soutien de toute la classe dirigeante, y compris les partis d’opposition. En juin 2013, le Parti Québécois de Pauline Marois, qui avait été élu quelques mois plus tôt dans la foulée de la grève étudiante en surfant sur la vague d’opposition aux libéraux de Jean Charest, a imposé une loi spéciale pour criminaliser la grève des travailleurs des secteurs industriel, commercial et institutionnel (IC/I). 

Bien que les chefs syndicaux venaient tout juste de signer une entente au rabais pour les travailleurs du secteur résidentiel, de la voirie et du génie civil, qui comprenait une hausse salariale de 2 pour cent par année (soit un appauvrissement en termes réels), les quelque 80.000 travailleurs IC/I avaient voté massivement pour poursuivre la grève. 

Mais le 30 juin, 13 jours seulement après le déclenchement de la grève, le gouvernement Marois adoptait – avec le plein soutien des libéraux et de la Coalition Avenir Québec, mais aussi celui des syndicats – un décret rendant la grève illégale et imposant des peines financières sévères en cas de grève sauvage. 

Le PQ proposait le maintien des normes du travail pour une durée de trois ans, mais suite aux pressions du PLQ et de la CAQ, le PQ a écourté l’entente à un an pour permettre aux employeurs de modifier les conditions de travail plus rapidement. 

Un an plus tard, les syndicats de la construction se sont pliés devant la menace d’une loi spéciale du gouvernement libéral nouvellement élu, et ont signé une entente avec le gouvernement libéral. Le premier ministre Philippe Couillard avait menacé dès son élection qu’une loi spéciale était déjà «en rédaction» si les travailleurs avaient recours à la grève pour s’opposer au contrat. L’entente, que les patrons de l’industrie avaient accueillie avec enthousiasme, comprenait des hausses de salaire d’à peine plus de 2 pour cent. 

L’Alliance syndicale fait présentement un grand cas d’une pétition, signée par 40.000 personnes et accueillie par la ministre du Travail, qui réclame qu'une nouvelle convention collective doive être rétroactive à la fin du dernier contrat de travail et que la loi anti-briseurs de grève s'applique à l'industrie de la construction. 

Même si ces deux clauses réactionnaires montrent que les travailleurs de la construction sont loin d'être «privilégiés», comme le répètent sans cesse les médias de la grande entreprise, les patrons de l'industrie et le gouvernement, la pétition des syndicats représente une pure diversion qui vise à isoler davantage les travailleurs de la construction des autres sections de travailleurs, dont ceux du secteur public, et à empêcher qu'ils se préparent à défier une loi spéciale.

Depuis des décennies, au Québec, comme dans le reste du Canada et à travers le monde, les syndicats sont devenus des gendarmes industriels qui imposent les demandes du patronat et qui sont grassement rémunérés pour leurs services. 

Cela est clairement démontré par l'industrie de la construction au Québec. En 2013, la commission Charbonneau avait révélé les liens incestueux qui existent entre les patrons de la construction et les chefs syndicaux, dont les relations étroites entre les bureaucrates syndicaux qui dirigent le riche Fonds de solidarité du Québec, le plus important Fonds de capital de risques au Québec, et les chefs de la construction.

Si le nombre de journées de grève en construction – comme dans les autres secteurs d’activité – a été quasi nulle depuis les années 1980 (la grève générale illimitée de 2013 était la première depuis 1986), c'est surtout parce que les syndicats travaillent avec acharnement pour étouffer toute lutte ouvrière. 

Pour contrer les mesures de droite du gouvernement Couillard et son arsenal de lois anti-ouvrières, les travailleurs de la construction doivent prendre la direction de leur propre lutte en opposition aux appareils syndicaux et se préparer à défier la une loi spéciale. Ils doivent faire de cette lutte le fer de lance d'une contre-offensive industrielle de toutes les sections de la classe ouvrière au Québec et au Canada pour la défense des conditions de travail et des services publics.

 

 

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