Les bombardements américains en Syrie et en Afghanistan:

Une nouvelle étape dans la répudiation du droit international

Le lancement de missiles sur la Syrie par le régime Trump le 7 avril, suivi par le largage de sa plus puissante arme non nucléaire en Afghanistan, marque une nouvelle période dans l’effondrement du droit international.

Depuis la première guerre du Golfe de 1990-1991, le militarisme américain débridé de présidents successifs – George H. Bush, Clinton, George W. Bush, Obama et Trump – a mené l'humanité au point où les règles de la guerre adoptées après les pertes massives et les horreurs de la dernière guerre mondiale sont bafouées sans ambages.

L'administration Trump n'a fait aucune tentative pour fournir des prétextes juridiques aux bombardements. Comme l'ont clairement révélé les déclarations du président Donald Trump et du vice-président Mike Pence, le but principal des attaques sur la Syrie et l’Afghanistan était de démontrer qu'il n'y a pas de limite à la violence que les États-Unis sont prêts à employer, de manière totalement unilatérale, pour défendre les intérêts de l'impérialisme américain.

Une agression flagrante

L'attaque du Pentagone contre la Syrie était en violation flagrante du droit international. La Charte des Nations Unies adoptée en 1945, après deux guerres mondiales, ne prévoit que deux cas où l'utilisation de la force militaire est justifiée: l'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU et la légitime défense après une attaque armée. Aucune résolution du Conseil de sécurité n'a cautionné les attaques américaines et Washington n'a pas évoqué la légitime défense.

Lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU convoquée suite à l'attaque américaine, Washington et ses alliés ont balayé d’un revers de main les déclarations du gouvernement syrien niant toute responsabilité dans l'utilisation présumée d'armes chimiques, et ils ont passé sous silence le fait que les forces soutenues par les États-Unis en Syrie ont utilisé de telles armes dans le passé. Sans aucune preuve, les États-Unis ont accusé le gouvernement syrien, comme à Ghouta en 2013.

L'ambassadeur de la Syrie à l'ONU a qualifié l’attaque aux missiles d’ «acte flagrant d'agression», en violation «de la charte des Nations Unies ainsi que de toutes les normes et lois internationales». En réponse, l'ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Nikki Haley, a déclaré avec mépris: «Lorsque la communauté internationale échoue constamment à remplir son devoir d'action collective, il arrive un moment où un État doit agir seul».

En d'autres termes, les États-Unis soutiennent qu'ils ont le droit de mener une guerre agressive contre tout pays de leur choix, à moins que la «communauté internationale» accepte de «remplir son devoir», c'est-à-dire de subir le diktat américain.

L'article 2 (4) de la Charte des Nations Unies interdit «la menace ou ... l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État». L'article 51 tolère uniquement: «[le] droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales».

Et même dans ce cas, l'article 2 (7) précise: «Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État». Cela s’applique à une attaque au gaz, même prouvée, lancée par un gouvernement sur son propre territoire.

Selon Marjorie Cohn, professeure émérite à l'École de droit Thomas Jefferson: «La Syrie n'avait attaqué ni les États-Unis ni aucun autre pays lorsque Trump a ordonné la frappe aux missiles... Donc, Trump a commis un acte illégal d'agression contre la Syrie quand il a lancé ses missiles».

Même s’il s’avère que le gouvernement syrien a mené une attaque à l’arme chimique, cela ne fournirait pas une base légale aux frappes américaines. Comme l’a noté la professeure de droit de Notre Dame, Mary Ellen O'Connell: «L'utilisation d'armes chimiques en Syrie n'est pas une attaque armée contre les États-Unis».

Le président américain et son équipe sont coupables du crime principal pour lequel des nazis de premier plan ont été jugés au tribunal de Nuremberg en 1946: la conduite d'une guerre d'agression. L'article 6 a) de la Charte du tribunal militaire international, sur lequel reposait la poursuite de Nuremberg, qualifiait les actes suivants de «crimes contre la Paix»: «la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent».

Tout aussi significative est l'acceptation d’office des crimes de guerre américains par d'autres puissances impérialistes, y compris l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Cela signale leur volonté de suivre le précédent américain dans la poursuite de leurs propres intérêts.

Une arme illégale

Tout aussi illégal a été le largage de la «bombe à effet de souffle massif» de dix tonnes (baptisée «mère de toutes les bombes» par l'armée américaine), supposément sur des tunnels construits par les «forces de l'État islamique» près de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan.

L'utilisation du plus gros engin explosif à être employé par les États-Unis depuis la démolition d'Hiroshima et de Nagasaki par des bombes atomiques dans la Seconde Guerre mondiale s’est faite dans le plus grand mépris pour des victimes civiles.

En vertu du droit humanitaire international, toute opération militaire, même cautionnée par l'ONU, doit obéir aux règles de «nécessité» et de «proportionnalité». Tout d'abord, l'ampleur de la force militaire doit être nécessaire pour faire face à la menace évoquée.

Deuxièmement la règle de la proportionnalité interdit «une attaque qui pourrait entraîner une perte accidentelle de la vie civile, des blessures aux civils, des dommages aux objets civils ou une combinaison de ceux-ci, ce qui serait excessif par rapport à l'avantage militaire concret et direct prévu».

Troisièmement le droit humanitaire international interdit l'utilisation, ou la menace d'utilisation, de toute arme ou tactique lorsque le but principal de l'opération est de terroriser la population civile.

De toute évidence, l’emploi de la «mère de toutes les bombes» était disproportionné par rapport à toute menace que poserait le nombre relativement restreint de combattants de l’État islamique censés être présents dans la région. Il a été conçu pour terroriser le peuple afghan et le reste du monde.

Il s'agit d'un crime de guerre en dépit du fait qu'en Afghanistan les États-Unis opèrent militairement sous le prétexte de la «guerre au terrorisme» qui a été entérinée par l'ONU en 2001 suite aux attaques terroristes du 11 septembre en Amérique. La résolution 1373 du Conseil de sécurité de l'ONU exigeait que les États luttent contre le terrorisme «par tous les moyens», donnant ainsi le feu vert aux États-Unis pour qu’ils agissent en véritables prédateurs dans leurs efforts pour prendre le contrôle des régions riches en ressources et stratégiquement vitales du Moyen-Orient et d’Asie centrale.

Un quart de siècle de guerres criminelles

La doctrine belligérante de «L’Amérique d’abord» mise en avant par l'administration Trump amène à un niveau supérieur la campagne lancée par l'impérialisme américain pour utiliser sa suprématie militaire mondiale pour rétablir l'hégémonie dont il disposait après avoir vaincu ses principaux rivaux – l'Allemagne et le Japon – dans la Seconde Guerre mondiale.

Au cours du dernier quart de siècle, depuis la liquidation de l'Union soviétique, les États-Unis et d'autres puissances impérialistes se sont déjà arrogé le prétendu droit d'attaquer ou envahir d’autres pays pour renverser des gouvernements en place.

Dans la première guerre du Golfe contre l'Irak, l'administration George H. Bush a justifié son invasion de l'Irak sous le prétexte frauduleux de la défense du «petit Koweït». Aidé par la complicité de la Russie et l'abstention de la Chine, Washington a obtenu du Conseil de sécurité de l'ONU que les États soient habilités à utiliser «tous les moyens nécessaires» pour forcer l'Irak à quitter le Koweït. Cela est rapidement devenu un feu vert pour une offensive meurtrière qui dépassait largement ce mandat, entraînant un démembrement partiel de l'Irak par une coalition dirigée par les États-Unis.

Le Conseil de sécurité de l'ONU, une clique dominée par les grandes puissances impérialistes, s'est révélé être un convoyeur de guerre. Néanmoins, afin de faire sauter toute contrainte juridique, même formelle, les États-Unis et leurs alliés ont avancé deux doctrines pour renverser l'interdiction de la guerre agressive adoptée après la Deuxième Guerre mondiale: les interventions «humanitaires» et «l'autodéfense préventive».

Lors des attaques de l'OTAN sur le Kosovo et d'autres parties de l'ex-Yougoslavie dans les années 1990, l'administration Clinton a opéré illégalement en dehors de l'ONU, sous le couvert de l'OTAN. Les États-Unis, après avoir aidé à fomenter la dissolution de la Yougoslavie, ont adopté une posture «humanitaire» en disant vouloir protéger les minorités de l'agression serbe, mais ils n'ont pas été en mesure de forcer le passage d’une résolution de soutien par le Conseil de sécurité de l'ONU.

En 2005, une tentative a été faite pour légaliser ces opérations militaires «humanitaires» et outrepasser l'article 2 (7) de la Charte des Nations Unies qui interdit toute intervention dans les affaires internes d’autres pays. Les États-Unis et ses alliés, notamment la Grande-Bretagne, ont évoqué la «responsabilité de protéger» pour faire passer une résolution à l'Assemblée générale des Nations Unies, sous le prétexte qu’il fallait empêcher les gouvernements de commettre «le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité». Cependant, une telle utilisation de la force doit encore être approuvée par le Conseil de sécurité de l'ONU.

Dans la récente attaque sur la Syrie, malgré les assurances du président Trump qu’il était motivé par le sort de «beaux bébés», les États-Unis ont agi seuls, sans même chercher à faire entériner l’intervention par l'ONU.

La doctrine de la «guerre préventive», explicitement exclue par la Charte des Nations Unies, a été promulguée par la Maison-Blanche de Bush en 2002. Sa criminalité a été soulignée en mars 2003 avec l'invasion de l'Irak et les mensonges sur les «armes de destruction massive».

La doctrine Bush renversait la position élaborée dans la Charte de l'ONU voulant que la légitime défense ne puisse être invoquée qu’en cas d’attaque armée ayant déjà eu lieu. Les États-Unis ont réclamé le droit d'attaquer tout État qu'il juge avoir le potentiel de poser un danger à un certain moment dans l’avenir.

L'invasion de l'Irak a entraîné la mort d'innombrables milliers de personnes innocentes et a mis en branle des processus catastrophiques qui ont englouti le Moyen-Orient depuis. Elle a été menée par les États-Unis et ses alliés les plus proches («la coalition des pays volontaires») sans autorisation préalable du Conseil de sécurité de l'ONU. La guerre a été lancée malgré les protestations de millions de personnes, y compris des centaines d'avocats et d'experts juridiques qui l'ont dénoncée comme une guerre d'agression illégale.

Le caractère bipartite de cette criminalité a été démontré par le discours du président Obama en décembre 2009 – ironiquement pour accepter le prix Nobel de la paix – dans lequel il a embrassé la doctrine Bush. Obama a déclaré le droit exclusif des États-Unis de mener une «guerre préventive» contre tout ce qui pouvait constituer une «menace» aux intérêts de Washington. Il a cherché à énoncer une doctrine plus large pour cautionner les guerres d'agression en déclarant: «Les nations continueront de voir l'usage de la force comme étant nécessaire et justifié d’un point de vue moral».

Dans la plus récente attaque menée contre la Syrie, l’Administration Trump a mis de côté toute prétention à la légitime défense contre une menace que poserait le régime syrien – alors ou à l'avenir – et n'a pas daigné invoquer la doctrine de la guerre préventive utilisée par Bush et Obama.

La présidence de Trump représente à la fois la poursuite et l’intensification de l'utilisation illégale de la force militaire par l'impérialisme américain. Trump a balayé toute prétention à respecter le droit international et affirmé le droit sans entrave de Washington d'utiliser son arsenal militaire partout et chaque fois qu'il le choisit.

Avec l’effondrement du cadre légal de l’après-Deuxième Guerre mondiale, le danger d'une autre guerre mondiale augmente. Analysant l'attaque contre la Syrie, le WSWS écrivait ceci: «Dans ses efforts pour renverser le déclin à long terme du capitalisme américain, la classe dirigeante américaine a bombardé ou envahi un pays après l’autre et déclenché des conflits régionaux qui se transforment rapidement en confrontations avec des rivaux plus importants, y compris la Chine et la Russie».

Comme l’écrivait Léon Trotsky en 1934, suite à l'effondrement du prédécesseur de l'ONU, la Société des Nations, les contradictions insolubles du système capitaliste mondial des États-nations sont de nouveau «en train de confronter l'humanité à l'éruption volcanique de l'impérialisme américain».

(Article paru en anglais le 29 avril 2017)

 

 

 

 

 

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