Le conflit dans le Golfe s’aggrave à l’approche de la date limite de l’ultimatum saoudien au Qatar

L’ultimatum extraordinaire lancé la semaine dernière au Qatar par l’Arabie Saoudite et ses alliés – l’Égypte, les Émirats Arabes Unis (ÉAU) et Bahreïn – devrait expirer lundi prochain sans signe de résolution de l’impasse de plus en plus tendue.

Le bloc saoudien a imposé un blocus économique, diplomatique et des transports au Qatar au début de juin, l’accusant de soutenir les « terroristes » et les criminels dans la région. Ses demandes comprennent la fermeture de la chaîne d’actualités Al Jazeera et d’autres médias soutenus par le Qatar, l’arrêt de son soutien aux Frères musulmans et à d’autres organisations, et la remise des opposants politiques aux autorités.

Les responsables qataris ont tout bonnement rejeté ces accusations et ont vivement critiqué l’hypocrisie de l’Arabie saoudite et de ses alliés, qui ont soutenu les groupes islamistes de droite au Moyen-Orient et plus largement. Dans un entretien cette semaine avec Sky News, le ministre des finances du Qatar Ali Sharif al Emadi a noté que « Osama bin Laden n’est pas qatari, il est saoudien. Les gens qui ont détourné les avions et bombardé New York, 15 d’entre eux n’étaient pas Qataris, ils étaient des Saoudiens et citoyens des Émirats Arabes Unis ».

Le cheikh Saif bin Ahmed Al Thani, directeur du bureau de communication du gouvernement qatarien, a publié un communiqué vendredi dernier, selon lequel les demandes démontrent que « le blocus illégal » ne portait pas sur le terrorisme, mais visaient à « limiter la souveraineté du Qatar et à externaliser notre politique étrangère ». L’Arabie saoudite exige que le Qatar se plie à la politique étrangère et militaire de Riyad et paie des réparations pour les dommages allégués causés par sa politique.

Le ministre saoudien des affaires étrangères Adel al-Jubeir, qui a rencontré mardi le secrétaire d’État américain Rex Tillerson, a déclaré que les demandes étaient non négociables. « Il appartient aux Qataris de modifier leur comportement et, une fois fait, les choses seront réglées, mais s’ils ne le font pas, ils resteront isolés », a-t-il tweeté.

Cette attitude dure a été reprise par l’ambassadeur des ÉAU en Russie, Omar Ghobash, qui a indiqué mercredi dans un entretien avec le Guardian que le bloc de quatre nations envisageait des sanctions plus sévères sur le Qatar, y compris des sanctions secondaires pour partenaires commerciaux du Qatar.

« Une possibilité serait d’imposer des conditions à nos propres partenaires commerciaux et leur dire que si vous souhaitez travailler avec nous, alors vous devez faire un choix commercial », a déclaré Ghobash. Il a également soulevé la possibilité d’expulser le Qatar du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ce qui, a-t-il a déclaré, était certainement en discussion.

Interrogé sur la question de savoir si le conflit diplomatique pourrait conduire à un conflit militaire, Ghobash a déclaré que le risque n’était « pas de notre côté ». En réalité, le blocus agressif dirigé par les Saoudiens constitue lui-même un acte de guerre qui a été suivi d’un ultimatum conçu pour être rejeté. Le Bahreïn a accusé le Qatar d' « escalade militaire » après que la Turquie le week-end dernier a transporté par avion des véhicules blindés au Qatar et a laissé entendre qu’elle pourrait y envoyer plus de soldats. La Turquie a rejeté une demande de retirer ses troupes.

Ce conflit a conduit à un désaccord ouvert à Washington alors que Tillerson cherche à mettre fin aux conflits déclenchés entre les alliés américains dans le Golfe par le soutient apporté par le président Donald Trump à l’Arabie saoudite. Après que les demandes du bloc dirigé par l’Arabie Saoudite aient été rendues publiques, Tillerson a déclaré le week-end dernier qu’elles seraient « très difficiles à réaliser pour le Qatar », mais a suggéré que la liste comprenait « des domaines importants qui constituent une base pour un dialogue continu conduisant à une résolution ».

Les propos de Tillerson l’ont opposé à Trump qui a soutenu le blocus, en disant qu’il était « difficile mais nécessaire ». Trump a effectivement donné le feu vert aux actions agressives de l’Arabie saoudite contre le Qatar dans le cadre de la politique de plus en plus hostile de Riyad envers l’Iran qui affecte tout le Moyen-Orient.

L’Arabie saoudite et ses alliés mènent une guerre brutale au Yémen contre les rebelles Houthis prétendument soutenus par l’Iran et appuient la guerre américaine en Syrie visant à expulser le gouvernement du président Bashar al-Assad soutenu par l’Iran et la Russie.

La tentative de Tillerson de désamorcer l’impasse dans le Golfe est soutenue par le Pentagone et le Département d’État, qui sont profondément préoccupés par les implications pour l’immense base aérienne américaine d’Al-Udeid au Qatar, qui abrite 11 000 soldats américains et le quartier général avancé du Commandement central américain.

Alors que le Pentagone a sans aucun doute des plans contre l’Iran, son objectif actuel est de déjouer les plans de l’Iran en Syrie alors que la « guerre contre le terrorisme » contre l’État islamique (ÉI) devient plus ouvertement un conflit pour éliminer le régime d’Assad. Les avions de guerre américains qui bombardent la Syrie partent de sa base au Qatar. Le Pentagone a fait savoir sa désapprobation du blocus en approuvant une vente de 12 milliards de dollars d’armes de pointe au Qatar ce mois-ci.

Dans une lettre adressée à Tillerson, le sénateur républicain Bob Corker, président du Comité sénatorial des relations extérieures, a annoncé vendredi que Trump avait soutenu le blocus saoudien en déclarant qu’il « refuserait le consentement » à toutes les ventes d’armes américaines aux pays du Golfe jusqu’à ce que leur différend soit résolu. Il a écrit que le conflit entre les États du Golfe « ne sert qu’à nuire aux efforts de lutte contre l’ÉI et pour contrer l’Iran ».

La menace d’arrêter les ventes d’armes ne s’appliquerait pas aux transactions déjà approuvées, mais pourrait affecter le contrat d’armes offensives à 110 milliards de dollars destiné à l’Arabie saoudite qui a été convenu lors du voyage de Trump à Riyad le mois dernier. Alors que le gouvernement Trump pourrait ignorer le protocole existant qui dispose qu’il devrait demander l’approbation de Corker, la lettre du sénateur montre que d’importantes sections de l’establishment politique américain considèrent le conflit entre les alliés des américains dans le Golfe comme une catastrophe.

Un éditorial du New York Times a appuyé fortement la menace de Corker contre la vente d’armes comme « une façon de mettre fin à l’impasse et de forcer une sorte de résolution ». Il a qualifié le conflit de « dangereux » car détournant l’attention de la lutte contre l’ÉI et d’autres défis sérieux ; il a averti que « rien de bon ne peut venir de ce conflit si on le laisse persister ».

Les divisions étalées publiquement à Washington par rapport à la position des États-Unis face au conflit du Golfe mettent en évidence le caractère imprudent, incohérent et en crise de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient comme partout ailleurs. Un quart de siècle de guerres dirigées par les États-Unis dans la région a laissé des millions de morts, détruit des sociétés entières et déstabilisé profondément le système des États-nations imposé par les impérialismes français et britannique après la Première Guerre mondiale.

L’impasse entre le bloc saoudien et le Qatar ajoute un autre déclencheur potentiellement explosif aux poudrières existantes, en particulier en Syrie et au Yémen, qui pourraient déclencher un conflit régional et international impliquant toutes les grandes puissances.

(Article paru en anglais le 29 juin 2017)

 

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