Perspectives

L’inégalité sociale et le brasier de Grenfell Tower

L’incendie de Grenfell Tower à Londres est un événement qui résume tout ce qui est pourri dans la société capitaliste contemporaine – pas seulement en Grande-Bretagne, mais dans le monde entier.

Plus de 100 personnes – le nombre définitif pourrait être beaucoup plus élevé – ont péri brûlées parce qu’elles étaient de la classe ouvrière et pauvres. Elles ont été assassinées en vue de certaines personnes parmi les plus riches du monde par une élite dirigeante motivée par un appétit insatiable d’argent approprié par l’escroquerie, le vol et le vandalisme social.

La propagation inexorable de l’inégalité sociale surpasse tout ce qui a été vu précédemment dans l’histoire. Près d’un tiers des londoniens vivent dans la pauvreté, et la plupart d’entre eux travaillent. Les riches et les pauvres vivent à proximité, mais ils pourraient aussi bien vivre sur d’autres planètes.

La spéculation mondiale sur l’immobilier à Londres est telle qu’il existe 20 000 « logements fantômes », valant chacun plusieurs millions, qui n’ont jamais été occupés par leurs propriétaires, alors que le prix moyen d’une maison, 675 000 £, la met hors de portée de millions de gens.

Les habitants de Grenfell Tower vivaient dans un piège mortel construit dans l’une des régions les plus défavorisées du Royaume-Uni, située dans la circonscription la plus riche, où le prix moyen d’une maison mitoyenne dépasse les 4 millions de livres sterling.

La municipalité dirigée par les conservateurs, au lieu de rendre Grenfell Tower plus sûre, a présidé à un lifting cosmétique pour rendre la bâtisse plus agréable à la vue des riches du quartier qui la considéraient comme une verrue susceptible de faire dégringoler la valeur de leur propriété.

Les entreprises impliquées, Rydon et Harley Facades, ont installé des panneaux en aluminium et en polyéthylène pas chers qui n’étaient pas résistant au feu – afin d’économiser 5 000 £. Aucun système de gicleurs n’a été installé.

Le ministre des Finances Philip Hammond a reconnu que les matériaux utilisés sont déjà interdits. Pourtant, c’est le gouvernement conservateur qui a créé le terrain pour ce genre de comportement criminel grâce à un processus de déréglementation de la sécurité dans la construction des logements et à la suppression d’une série de recommandations de sécurité faites après des incendies antérieurs.

Il y a trois ans, le maire de Londres d’alors, Boris Johnson, a fermé dix casernes de pompiers, avec la suppression de 552 postes de pompiers et 14 camions. Il a rétorqué à ceux qui ont mis en cause sa décision, « allez vous faire voir ».

Mais l’origine du meurtre de masse à Grenfell Tower remonte encore plus loin. Ceux qui se trouvent parmi les accusés comprennent Margaret Thatcher, qui a commencé le processus de transformation de la Grande-Bretagne en un désert social et de Londres en une aire de jeux pour les riches ; Tony Blair, qui s’est donné pour tâche de compléter la « Révolution de Thatcher », y compris par la vente d’un million de logements HLM tout en accumulant un portefeuille immobilier de 27 millions de livres sterling pour lui-même ; et David Cameron, qui a déclaré une « époque d’austérité » pour la classe ouvrière et qu’il allait faire un « bûcher des réglementations » pour ses amis financiers de la City, membres des conseils d’administrations britanniques et parmi les propriétaires fonciers qui infestent le Parti conservateur.

Pour rendre justice à l’infamie de tout cela, il faudrait un Engels moderne, l’homme qui a écrit :

« Et ce qui est vrai de Londres, l’est aussi de Manchester, Birmingham et Leeds, c’est vrai de toutes les grandes villes. Partout indifférence barbare, dureté égoïste d’un côté et misère indicible de l’autre, partout la guerre sociale, la maison de chacun en état de siège, partout pillage réciproque sous le couvert de la loi, et le tout avec un cynisme, une franchise tels que l’on est effrayé des conséquences de notre état social, telles qu’elles apparaissent ici dans leur nudité et qu’on ne s’étonne plus de rien, sinon que tout ce monde fou ne se soit pas encore disloqué. »

S’il n’est pas encore « disloqué », c’est seulement parce que l’effusion de colère contre ce qui s’est produit ne trouve aucune expression politique. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour demander la démission de la Première ministre May et ont demandé que les coupables soient traduits en justice. Ils ont accueilli la promesse de May d’ouvrir une enquête publique par des dénonciations d’une affaire étouffée.

C’est dans ces conditions que le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn a publié une lettre ouverte à May lui prêtant son soutien pour son enquête. Sa lettre offre à notre « chère Première ministre » le soutien des travaillistes à sa promesse d’une « enquête publique complète et indépendante » – à la seule condition que cela « se fasse dans le cadre des dispositions de la Loi de 2005 sur les enquêtes ».

Cette enquête est une fraude. Amnesty International a exhorté tous les membres de la justice britannique à ne pas participer à toute enquête organisée sous les auspices de cette Loi parce qu’elle serait « contrôlée par l’exécutif qui est habilité à bloquer l’examen public des actions de l’État ».

Des dizaines de milliers de gens ont signé une pétition exprimant leur manque de confiance dans une telle enquête publique, en accord avec Sophie Khan, l’avocate qui a représenté les victimes d’un incendie d’une tour à Camberwell en 2009, qui a déclaré : « Je suis très inquiète de la raison pour laquelle Mme May s’est déclarée si vite en faveur d’une « enquête publique ». De quoi est-elle au courant qu’il faudrait cacher ? »

Corbyn n’en fait aucune mention. Au lieu de cela, il suggère, de la façon la plus servile, que l’enquête devrait avoir un mandat de « portée suffisante […] pour s’assurer que toutes les leçons nécessaires soient apprises. »

Il ne dénonce pas une fois la dissimulation effectuée par le gouvernement ou son rôle dans les événements menant à la conflagration de Grenfell Tower. Au lieu de cela, il affirme poliment sa conviction que « les politiques et les priorités de votre gouvernement dans les domaines du logement social et de la sécurité publique sont des cibles légitimes pour mes critiques ». Il ajoute, non moins servilement : « J’espère que nous partageons la détermination de découvrir les vérités qui sous-tendent cette tragédie », puis il plaide pour une « consultation anticipée » avec la Première ministre.

La seule mesure pratique qu’il propose est que May fournisse des « informations concernant d’autres plans d’aide financière » au-delà des 5 millions de livres annoncés jusqu’à présent et il l’invite à faire preuve d’« une attitude de générosité et de compassion par rapport aux coûts des frais funéraires et en veillant à ce que les familles vivant en dehors du Royaume-Uni puissent se rendre ici pour assister aux funérailles et participer également à l’enquête ».

La réalité ici défie la satire. Corbyn ne veut rien de plus que de montrer à nouveau qu’il est « raisonnable » devant la classe dirigeante à un moment où son gouvernement privilégié est au bord de l’effondrement et où il se présente lui-même et le Parti travailliste comme l’autre solution. Dieu nous en préserve, il pourrait être accusé d’articuler l’indignation répandue dans la population et de vouloir lui donner une direction politique !

Que dirait un véritable dirigeant d’un mouvement ouvrier à un tel moment ?

Il demanderait pourquoi les coupables, y compris Johnson, les dirigeants conservateurs de la municipalité et tous ceux impliqués dans la rénovation de Grenfell Tower, n’ont pas été arrêtés et interrogés.

Il dresserait une liste de ceux qui devraient être inculpés et le ferait publier et porter à la connaissance du grand public.

Surtout, il insisterait sur le fait que le gouvernement conservateur minoritaire n’a pas le droit d’exercer le pouvoir et lui demanderait sa démission immédiate.

Il favoriserait un programme socialiste de mesures de redistribution radicales pour s’occuper du cauchemar social créé par le capitalisme.

Corbyn n’a rien fait de tout cela. Les réformes minimales qu’il avance sont déterminées par ce qui selon ses calculs peut être accordé en restant dans les paramètres de l’ordre social existant – ce que la classe dirigeante peut raisonnablement rendre à ceux qu’elle a pillé afin de préserver la paix sociale.

Le pillage criminel de la richesse de la société n’est pas simplement de la responsabilité de quelques mauvaises personnes. C’est l’expression de l’essence même de la société capitaliste, qui repose sur une exploitation de classes impitoyable. Comme Marx l’a affirmé, « [l’]accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé ».

La lutte contre l’inégalité sociale et les horreurs qu’elle produit est la lutte pour le renversement révolutionnaire du système de profit.

(Article paru en anglais le 19 juin 2017)

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